À la Croix-des-Bouquets, les écoles profitent de l’accalmie fragile pour fonctionner
5 min readLa situation sécuritaire à la Croix-des-Bouquets, malgré une baisse du nombre d’affrontements entre gangs rivaux depuis quelques mois, affecte encore la reprise des activités scolaires. Entre délocalisation et crainte des parents d’envoyer leurs enfants à l’école, la vie de la commune qui se situe seulement à quelques kilomètres à l’Est de Port-au-Prince peine à reprendre son cours.
« Depuis avant la fin officielle du calendrier scolaire 2021-2022, le chantage des gangs armés dans la zone ainsi que leur violence avaient contraint certaines écoles à fermer leurs portes. Celles-ci essayaient de profiter des rares journées de calme pour ouvrir leurs portes », raconte Antchyca qui habite le centre-ville de la Croix-des-Bouquets. Malgré une reprise au ralenti depuis le 9 janvier dernier, l’absence d’un climat apaisé maintient la ville dans l’inquiétude. « On entend souvent des détonations très tôt. Certains matins on n’entend rien, tout paraît normal, mais ce qui est sûr, c’est qu’on ne passe pas une seule journée entière sans entendre chanter les armes », s’indigne-t-elle.
Depuis décembre 2022, beaucoup d’écoles avaient commencé à dispenser leurs cours à travers tout le pays. Le 12 décembre dernier, le Ministère de l’Éducation Nationale et de la Formation Professionnelle (MENFP) avait indiqué que 66% des institutions scolaires du pays avaient repris leur fonctionnement. Avec une école qui fonctionne au gré des conjonctures de chaque zone, c’est à présent le sauve-qui-peut généralisé dans le système éducatif haïtien. Mais de son côté, le MENFP tente de faire de son mieux en remaniant le calendrier scolaire et en prévoyant un total de 142 jours d’école dans le nouveau calendrier scolaire, soit du 3 janvier au 4 août 2023.
Une vie chamboulée
L’ambiance de l’activité scolaire dans les rues de la Croix-des-Bouquets n’est plus pareille. Les nuées d’élèves dans les rues à la fin des cours, les difficultés du transport à cause des stations surbondées, les enfants qui doivent entreprendre de longs trajets pour se rendre dans les grandes écoles des villes avoisinantes, sont des choses qu’on ne voit plus à la Croix-des-Bouquets. Et pour survivre, plusieurs écoles ont dû se délocaliser, chacun connaît au moins un exemple. « L’école tente de reprendre timidement au centre-ville de la Croix-des-Bouquets. Mais selon mes constats, plusieurs écoles du centre-ville et de Duval ont délocalisé vers la Commune de Tabarre, Santo ou Lilavois, comme c’est le cas des Collèges Lavoisier et Etzer Vilaire », explique Beaulière, professeur à la Croix-des-Bouquets.
« La plupart des enfants du quartier ont déménagé vers Mirebalais ou d’autres zones pour pouvoir aller à l’école. Des enfants qui vont à l’école le matin à la Croix-des-Bouquets sont rares », raconte Lormina, nostalgique. « Dans mon quartier, seule l’école nationale Charlotin Marcadieu a commencé à vraiment fonctionner ce lundi 16 janvier. Toutes les autres sont fermées, ou délocalisées », explique Antchyca.
Pour Michel qui est enseignant, la situation dans les salles de classes n’échappent malheureusement pas à la pression de la conjoncture. Avec les détonations à répétition, la concentration n’est pas au rendez-vous. « J’enseigne dans deux écoles, et dans les deux cas, les présences sont assez irrégulières. De plus, j’ai constaté une absence de concentration et un sentiment de frustration parmi les élèves, surtout chez ceux qui auront à subir les examens d’État », explique Michel qui est également étudiant à Tabarre, ville touchée, elle aussi, par la violence des gangs armés.
Indiana, elle, n’est plus professeure particulière, une des nombreuses conséquences de cette crise de sécurité. « Je ne donne plus de cours particuliers parce que les enfants ont laissé le pays à cause de l’insécurité. Leurs parents ont dû partir pour deux ans, mais je sais qu’ils ne reviendront pas », se dit-elle.
« Les écoles qui recommencent à fonctionner demandent aux élèves de venir en cours sans uniforme, et pour essayer de combler les jours perdus, rajoutent des heures de cours et fonctionnent également le samedi », a fait savoir Indiana.
Une reprise encore au ralenti
« Dans mon quartier, je compte cinq institutions scolaires. Aucune d’elle n’était ouverte avant ce mois de janvier. Cette semaine, trois d’entre elles ont rouvert leurs portes », explique Lormina de la Croix-des-Bouquets, elle qui essaye tant bien que mal de boucler ses études en Génie Industriel. Pour Beaulière qui est directeur d’une école professionnelle à Santo, les affaires sont paralysées. « Après les affrontements de gangs rivaux en avril 2022, l’école a dû fermer ses portes. Nous avions tenté de reprendre au cours du mois de juillet, mais la crise sociopolitique nous a contraints à annuler la reprise. Nous espérons reprendre au début du mois de février à venir », a-t-il confié à la rédaction du journal Le Quotidien News.
Mise à part l’insécurité et la peur qui l’accompagne, la crise économique elle non plus n’épargne pas les parents, et contraint beaucoup d’enfants à rester à la maison, ou à se replier dans les villes de province, celles dont l’accès est encore possible. « Sincèrement, en tant que professeur, je crains que la qualité de l’enseignement soit à son plus bas cette année. D’une part, la plupart des professeurs ont arrêté, soit par crainte de l’insécurité ou parce qu’ils ont laissé le pays ; et d’autre part, certains parents peinent à avoir de quoi régler les frais de scolarité, et des enfants sont sur le point de perdre le peu que cette année scolaire a à leur offrir », s’indigne le professeur Michel.
De son côté, le Gouvernement ne se lasse pas de promettre, et entend faire de l’éducation une priorité. « En dépit des faibles moyens de l’État, mon Gouvernement a veillé à ajuster les salaires des enseignants du secteur public au cours de l’exercice fiscal passé. Au-delà des grands dossiers qui interpellent la nation pour l’année 2023, il est indispensable que l’éducation soit au centre des grands projets de développement du pays », a déclaré dans un Tweet le Premier Ministre Ariel Henry au matin du 9 janvier.
Clovesky André-Gérald PIERRE
cloveskypierre1@gmail.com