L’organisation Ensemble Contre la Corruption (ECC) a publié un rapport alarmant sur le suivi des dossiers de corruption en Haïti. L’enquête, menée de décembre 2024 à juin 2025, a examiné des dossiers transmis par l’Unité de Lutte Contre la Corruption (ULCC) et l’Unité Centrale de Renseignements Financiers (UCREF). L’étude a couvert 12 juridictions de première instance, 3 cours d’appel et la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif (CSC/CA). Les résultats montrent un système judiciaire en grande difficulté.
Selon le rapport, entre 2005 et 2024, l’ULCC et l’UCREF ont transféré un total de 166 dossiers de corruption à la justice. Cependant, l’enquête révèle que soixante-onze (71) dossiers restants, représentant 42.77% d’entre eux, n’ont pas pu être retracés par ECC. Cela signifie que près de la moitié des cas de corruption soumis aux autorités judiciaires ont disparu.
Les raisons de ces pertes sont multiples. Le rapport cite les incendies et les cambriolages des tribunaux, les déménagements fréquents dus à l’insécurité, mais aussi le fait que des juges ou des procureurs partent parfois avec les dossiers dont ils ont la charge. Pour la juridiction de Port-au-Prince, qui a reçu plus de 77 % de tous les dossiers, le tremblement de terre de 2010 et les attaques de gangs armés sont aussi des causes majeures de la perte des archives.
De plus, l’enquête a mis en lumière que les méthodes de classement des dossiers au sein de l’appareil judiciaire haïtien rendent difficile l’accès à l’information. Les archives sont souvent manuscrites et les registres sont de temps en temps perdus ou détruits. Dans certaines juridictions, comme celles des Cayes ou de la Croix-des-Bouquets, aucun des dossiers envoyés n’a pu être retrouvé.
« Sur les 95 dossiers qui ont été localisés (soit 57.23 % du total), très peu ont réellement avancé. Seuls 4 dossiers ont fait l’objet d’un jugement. La majorité des cas restants sont bloqués à différentes étapes : 42 sont chez un substitut du commissaire, 26 sont encore aux greffes des parquets et 11 sont en cours d’instruction », a révélé le rapport.
Pour remédier à ce constat d’échec, l’ECC adresse plusieurs recommandations aux autorités, insistant sur l’urgence de prendre des mesures concrètes. L’organisation préconise de renforcer la sécurité des cours et tribunaux afin d’éviter la destruction et le vol des dossiers, tout en modernisant la justice par l’informatisation des bases de données et la numérisation des archives judiciaires. Il est également recommandé de reconstituer et de retracer tous les dossiers perdus ou manquants.
Par ailleurs, pour garantir une plus grande transparence, l’ECC juge essentiel de publier la loi sur l’accès à l’information. L’organisation insiste sur l’importance de rendre opérationnel le Pôle Judiciaire Spécialisé dans la répression des crimes financiers, permettant ainsi que les dossiers complexes soient traités par des experts qualifiés.
« Sans ces changements, la lutte contre la corruption en Haïti restera un vœu pieux, et l’impunité continuera de régner », conclut le rapport.
Marie-Alla Clerville