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Colonisation, néo-colonisation, néo-libéralisme, l’enfer d’Haïti et  le fonctionnement des organisations internationales mis à nu ou en filigrane (4e partie)

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Venons-en au cœur de la machine internationale, les institutions financières et commerciales:

La Banque Mondiale:

Je suis toujours amusé, quand j’entends certains de mes compatriotes français attribuer à la Banque Mondiale, les malheurs de la Grèce ou de tout autre pays.  Comme s’il existait une entité à part, la Banque Mondiale aurait un fonctionnement totalement indépendant de chacun des pays industrialisés. Mais la Banque Mondiale c’est aussi le gouvernement français, c’est la France avec un poids colossal pour tout ce qui concerne l’orientation globale de l’institution et ses stratégies pour les pays de l’ancien pré carré colonial français et aussi sur le reste du monde. Pour la France, le Directeur exécutif pour le Fonds Monétaire International assure aussi le rôle de Directeur exécutif pour la Banque mondiale. Il n’y a pas d’ambiguïté le dispositif français est bien garant à la fois de leurs orientations respectives et de la continuité entre les deux institutions. Vous le connaissez ce directeur ? En avez-vous entendu parler dans les médias ? Jamais. Vous connaissez sa position ? La stratégie qu’il défend au sein de chacune de ces deux institutions qui cadrent notre vie économique quotidienne? Et nos députés ceux qui sont censés être nos représentants la connaissent-ils cette position internationale de la France? Pas plus.  Les représentants du peuple français sont-ils au courant des stratégies et du fonctionnement de ces institutions qui sont pourtant le moteur central du dispositif capitaliste néolibéral qui façonne le monde? À part quelques militants bien sûr que non.

Le Conseil des Gouverneurs de la Banque Mondiale est constitué des Ministres des finances des pays membres. Je rappelle que les peuples n’élisent pas les ministres des finances.  Le système de gouvernance comprend vingt-cinq administrateurs.  En 2020, cinq administrateurs étaient  désignés par chacun des cinq plus grands actionnaires : USA, France, Japon, Allemagne, Royaume Uni. La Chine, la Fédération de Russie et l’Arabie Saoudite désignaient aussi chacun leur propre administrateur. Le reste des administrateurs sont élus par des groupes d’autres membres, en Afrique un administrateur représente automatiquement plusieurs pays.  Ce sont les administrateurs qui approuvent les prêts.  Par exemple 4,7 milliards de dollars pour le COVID dans 54 pays et ils ont engagé environ 157 milliards de dollars sur 15 mois. La Banque Mondiale  emprunte avec la caution de ses plus gros actionnaires, dont la France qui cautionnerait  pour environ 400 millions de dollars.

Si vous voulez savoir ce que fait la Banque Mondiale vous pouvez bien sûr aller sur son site internet.  Vous aurez toutes les informations brutes présentées de manière très administrative, très lisse.  Mais si vous voulez entrer un peu plus dans les détails et avoir des informations sur les impacts de ses actions, je vous recommande d’aller sur le site du CADTM (Comité pour l’annulation des dettes illégitimes). Je serais curieux de savoir combien de députés consultent les nouvelles et analyses de ce site. 

Comme dans le cas du FMI, les failles, à la fois politiques et théoriques, de la Banque Mondiale ne peuvent être dissociées des réalités du pouvoir au sein de l’institution. Les États-Unis sont le premier pouvoir de la Banque, où ils exercent 15,7% des droits de vote, ce qui leur confère un droit de veto effectif sur les grandes décisions politiques en raison de leur capacité à mobiliser leurs alliés européens. La domination du Nord riche est toujours d’actualité, les pays à revenu élevé comptent  environ 60% des voix, donc la majorité automatique, les pays à revenu intermédiaire moins de 35 % et les pays à faible revenu   environ  5 %. La structuration de la domination est bien en place.  De plus, quand en qualité de cadre de la  Banque Mondiale vous devez présenter  un projet au board,  vous pouvez être sûr que les questions les plus rudes et le refus de certaines composantes vont venir du bureau du directeur exécutif de l’ancienne ou de l’actuelle puissance dominante de la région géographique concernée. Vous ne passerez pas un projet contre l’avis du bureau du Directeur exécutif de la France pour l’Afrique de l’ouest ou contre celui des USA pour un projet en Amérique centrale.  Les intérêts des grandes puissances sont bien gardés.

Depuis les années 90, la Banque a mis en œuvre les programmes d’ajustements structurels voulus par le FMI.  Je m’arrête un instant sur les ajustements structurels. Les mots ont un sens. Il s’agit bien d’ajuster les structures nationales d’un pays. Pour des institutionnalistes dont je suis, la première question est ajuster les structures pour quoi avec quels objectifs ? La première réponse du FMI est pour des raisons d’équilibre budgétaire. Là encore tout économiste un peu sérieux pourra vous répondre mais l’équilibre peut être obtenu par un accroissement des recettes, un changement de la fiscalité et pas nécessairement une réduction des dépenses publiques. À ce niveau, la discussion cesse ou devient agressive, vous voulez baisser les profits du capital par une fiscalité accrue, vous n’y pensez pas ! Car l’objectif non annoncé, c’est bien l’accroissement des profits des entreprises privées, des profits du capital. Mais cela va encore plus loin car il y a derrière ces ajustements, la modification de la maîtrise du pouvoir financier. Des structures publiques donnent du pouvoir à l’Etat démocratique ou non. Des structures privées donnent du pouvoir au secteur privé et à son système de financement, elles donnent le pouvoir aux banques. Les organisations internationales se sont rendues compte que c’était difficile à défendre publiquement la dénomination « ajustement structurel », de fait elle se fait beaucoup moins présente dans les médias et dans les documents, pourtant ni l’objectif ni les pratiques n’ont changé.  La Grèce en est évidemment l’exemple parfait, mais ce qui se passe en France avec le secteur de la santé et celui de l’énergie ne l’est pas moins. Les ajustements structurels sont toujours à l’œuvre partout dans le monde.

Si la Banque mondiale reste un puissant moteur d’implantation, elle est loin d’être la seule ; quasiment toutes les institutions financières internationales sont entrées dans ce cadrage néolibérale, à l’exception de la Chine qui utilise d’autres outils et d’autres moyens de domination. En Haïti, les ajustements structurels, avec leurs conditionnalités pour les projets supportés par les organisations internationales, ont été un désastre par exemple pour l’éducation privatisée à 80 %, pour la santé, pour l’agriculture mettant en compétition les paysans pauvres haïtiens avec les surplus de l’agriculture mécanisée et chimicisée à outrance des États-Unis….

Le Fonds Monétaire International. Le FMI. Le cerveau.

Le FMI a pour fonction officielle « d’assurer la stabilité financière dans le monde, la coopération monétaire internationale (droit de DTS), faciliter le commerce international (OMC), promouvoir l’emploi et une croissance économique durable, et faire reculer la pauvreté dans le monde ». C’est sur son site officiel. Ça a le mérite d’être clair, le recul de la pauvreté est son dernier objectif, après 68 années d’existence il est pour le moins difficile de dire que cet objectif soit atteint. C’est bien là où est le problème, le premier objectif c’est la stabilité financière, le dernier c’est la réduction de la pauvreté.

Qu’est-ce que la stabilité financière ? Dans quel cadre? Avec quel objectif ?  Au bénéfice de qui ?  Dit comme ça, la stabilité financière, cela semble une évidence, les ressources doivent équilibrer les dépenses. Mais d’où viennent ces ressources ?  Derrière il y a tous les systèmes de fiscalité et tous les systèmes d’exploitation des ressources naturelles. À quoi servent les dépenses ? Et là on retrouve toutes les dérives des systèmes de redistribution non équitable.  Comme toujours, ces belles formules, qui à la limite peuvent satisfaire tout le monde, se veulent rassurantes, voire très humanistes, alors  qu’elles masquent des pratiques qui maintiennent  et même exacerbent des rapports dominants /dominés.

Cette fonction de stabilité monétaire est la couverture d’une stratégie immuable depuis la création du FMI, promouvoir et garantir la stabilité et le développement du système capitaliste et aujourd’hui en défendre la stratégie néolibérale. La stabilité n’est envisagée que dans ce seul système.  Stabilité est vraiment le mot clé. Dans les discussions avec des collègues du FMI, j’ai toujours été frappé par l’angoisse, à la limite de la peur, rien qu’à l’idée de changer de paradigme. À la simple question pourtant banale : nous n’avons qu’une planète aux ressources limitées, comment pouvez-vous défendre un système fondé sur la croissance permanente ?  Comment pouvez-vous défendre la reconduction du système existant quand il a généré tant de pauvreté et d’inégalité, tant de guerres et que la population de la planète ne cesse de croître, il va bien falloir envisager une autre redistribution ?  Question tétanisante pour des personnes qui ont toutes au moins des bacs plus six, c’est peut-être aussi pour cela. Ils restent sans voix ou toujours avec la même réponse : notre système fonctionne, certes mal mais il fonctionne, il suffit de l’améliorer.  Cela fait plus de deux siècles que des gens souvent très intelligents tentent en vain d’améliorer le système capitaliste, vous vous croyez plus intelligents qu’eux ? Pourquoi refuser de réfléchir sur un autre système, un autre paradigme ? Impossible ! Ils n’ont jamais appris cela dans leurs grandes écoles, et comment remettre en cause le système dans lequel ils vivent, ils ont appris à le reproduire ou tout au plus à tenter de l’aménager à la marge ? Puis après tout, pourquoi se poser ces questions quand on en est les bénéficiaires.

Cela mène à des absurdités comme les ajustements structurels :   réduire au maximum des fonctions publiques pour laisser libre cours au développement privé dont le premier objectif n’est pas le bien public, mais l’accroissement du profit;  affirmer que le privé avec profit coûte moins cher que le public sans profit;  continuer à promouvoir des systèmes de dettes dont on sait qu’elles ne seront jamais remboursées mais dont les remboursements des annuités sans fin est une véritable manne pour les banques privées; prétendre que le marché libre est le meilleur régulateur de la vie économique; laisser s’épanouir les paradis fiscaux, etc. Bref, entretenir en permanence une structure de rapports dominants/dominés et être seulement capable de réduire un peu la domination quand les dominés étouffés commencent à massivement se rebeller.  Le jeu de la tentative de régulation des banques après l’épisode de la crise financière de 2007, puis le retour de la dérégulation quelques années après en est un bel exemple.

         Alors me direz-vous, il faut réformer le FMI. Avec qui ? Avant d’y penser, écoutez une des dernières notes du CADTM: Le directeur général du FMI est assisté d’un conseil d’administration comprenant 24 administrateurs. Les États-Unis, le Royaume-Uni, la France, l’Allemagne, le Japon, la Chine, la Russie et l’Arabie Saoudite y ont un siège permanent.  Au FMI, les États-Unis détiennent 16,5% des droits de vote, ce qui leur donne un droit de veto effectif sur toute modification des statuts ou des principales politiques puisque ce type de modification exige 85% des votes. En clair aucune réforme du FMI n’est possible si les États-Unis n’en veulent pas !   Après les États-Unis, l’Europe est le bloc le plus puissant du Fonds Monétaire, bien que les principaux pays en développement aient désormais collectivement un poids plus important dans l’économie mondiale.  Les pays fondateurs des BRICS ont une part combinée de voix de seulement 10,3%, contre 17,6% pour les quatre pays européens. En fait, les transferts de pouvoir de vote promis depuis longtemps des pays développés vers les pays en développement ont été très marginaux, n’atteignant que 2% depuis la création du FMI.

En résumé, la structure a été bien construite, ceux qui ont le pouvoir, les dominants, le gardent comme pour l’ONU et la Banque Mondiale. Ce n’est pas tout, l’architecture du système mondial est bien montée : le FMI en est la tête et les autres institutions ne peuvent y échapper. Quand un pays veut obtenir des prêts ou des dons de la Banque Mondiale, il doit fournir une multitude de documents et avoir signé sa lettre d’intention (c’est le nom) avec le FMI.  Qu’est-ce que cette lettre d’intention dont personne ne parle ? C’est un document par lequel le pays s’engage à mener une politique économique agréée par le FMI. Evidemment une politique néolibérale et le plus souvent une politique de rigueur budgétaire. L’articulation FMI /Banque Mondiale est institutionnalisée et un Président de la Banque comme Wolfenson qui avait osé esquisser l’idée d’une potentielle déconnexion de la Banque et du FMI s’est vite et fortement fait rappeler à l’ordre. Pas de lettre d’intention : pas de possibilité d’accès aux grandes institutions financières internationales, pas seulement à la Banque Mondiale, mais aussi à toutes les institutions financières internationales. Ce ne sont que de très rares journalistes des pays concernés qui se donnent la peine d’aller chercher ces documents et d’en expliquer les engagements au public. Ni le FMI ni les gouvernements ne les publient dans les médias, ils sont sur le web. Ceux qui savent qu’ils existent peuvent aller les chercher une fois qu’ils ont été signés bien sûr.

Pour en finir avec l’architecture

         Celui qui décide et fixe les règles c’est le FMI, ceux qui orientent dans le sens du FMI et financent :  la Banque Mondiale, l’AFD, L’UE ; l’USAID, les banques régionales de développement, etc., ceux qui construisent les données techniques pour justifier les financements orientés : les agences techniques de l’ONU et les agences techniques bilatérales, ceux qui mettent en œuvre les projets : les États, ceux qui paient les remboursements des prêts : les peuples. C’est une machine maintenant bien rodée depuis 70 ans.  Avec des outils très efficaces pour éviter la déstabilisation du système.

Et il faut encore ajouter le problème de la gestion des ressources humaines de toutes ces Organisation internationales (OI).

         La gestion des ressources humaines est trop souvent considérée comme un sujet parmi d’autres, elle est pourtant une des clés majeures de la continuité du pouvoir de domination des pays les plus puissants. Le niveau d’étude académique requis pour postuler et avoir une chance d’être recruté dans ces institutions internationales est très élevé. Au moins l’équivalent de celui requis pour les cadres supérieurs publics ou privés dans tous les pays. Or, dans les pays appelés pays en développement, les niveaux de rémunération de ces cadres est généralement faible, par rapport à ceux d’une institution internationale. Il peut être de 1 à 10. Quand la personne a été recrutée par l’une de ces OI, l’idée de voir ses revenus divisés par 10 ou par 5 pour retourner travailler dans son pays d’origine est très difficile à envisager, surtout quand votre pays a été soumis à de drastiques ajustements structurels. Alors les staffs des pays du sud font profil bas et appliquent à la lettre les consignes de l’institution, voire les rendent encore plus radicales pour être mieux notés.  Leur capacité à évaluer les problèmes et les dérives n’est pas en cause ici, ni leurs compétences techniques ou leur capacité de travail, mais relever publiquement la dangerosité des méthodes de ces OI pour l’avenir de leur pays serait souvent mettre en danger les conditions de vie de leur famille, d’étude de leurs enfants. Alors, ils sont encore plus libéraux que les cadres venus des pays dominants au détriment de l’appui à leur propres pays… Et ils appliquent les politiques de rigueur budgétaire du FMI et de toutes les autres OI.

 Dans le cas de la Banque Mondiale chaque année, chaque membre du personnel est évalué, et du résultat de cette évaluation dépend non pas une prime mais le pourcentage d’augmentation de son salaire. Je rappelle qu’il s’agit d’une banque et comme dans toutes les autres banques dites de développement, le niveau de décaissement des projets dont vous êtes en charge pèse beaucoup dans cette évaluation. L’impact réel des programmes n’est analysé que beaucoup plus tard, à postériori, par échantillonnage, et n’a pratiquement pas de conséquences sur la vie des « experts ».  Certes, si le projet a été bien préparé avec les futurs bénéficiaires et les cadres nationaux en répondant d’abord à leur demande, c’est positif mais c’est loin d’être toujours le cas. Pour l’institution, ce qui importe c’est de décaisser les projets dans le cadre prévu, suivre à la lettre les règles de l’institution et « l’expert »peut alors espérer continuer sa carrière et conserver des avantages pour lui et sa famille d’un niveau exceptionnel par rapport à ceux de son pays surtout s’il est d’un pays du sud.  Avec un tel système de gestion des ressources humaines il faudrait être très naïf pour croire que la majorité des cadres des pays du sud, ceux qui pourraient le mieux remettre en cause le fonctionnement de l’institution, vont oser monter au créneau pour le changer.

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Et il faut encore ajouter le problème des organisations non gouvernementales (ONG) et de la société civile.

Connaissez-vous un pays qui se soit développé uniquement avec des ONG ? Encore une fois le discours sur les ONG, qui les présente comme une alternative à des administrations publiques inefficaces et corrompues est un discours bien construit et qui a une histoire. Quand dans les années 90 les ajustements structurels se sont mis en place, que les administrations publiques ont été déstructurées et privées de budgets et de ressources humaines adaptées à leurs fonctions, il a fallu combler le vide. Les ONG ont connu une valorisation fulgurante de la part des organisations internationales qui se sont construites un nouveau relais d’intervention. Nombre de ces ONG, bureaux d’études masqués, ont été construites par d’anciens cadres licenciés des ministères par les ajustements structurels. Certes, elles ont eu le mérite indéniable de retenir dans les pays, des cadres et agents qui sans elles auraient certainement pris la route de l’émigration, et l’on ne peut nier l’engagement, le courage et quelques fois l’efficacité de certaines d’entre elles souvent les plus petites pour accompagner des populations en grandes difficultés. Cependant nombre d’entre elles sont devenues des machines à profit voire à corruption avec des stratégies qui sont souvent fondées sur la valorisation de leurs propres employés plus que sur la recherche de réponses à la demande des populations à la base. Transparence et démocratisation interne reste encore un de leurs défis majeurs pour devenir de véritables instruments au service des populations. Il ne s’agit pas ici de nier la nécessité absolue d’accompagner la construction et le renforcement d’organisations de la société civile, bien au contraire, mais à une condition fondamentale qu’elles se construisent sans rapport de domination et d’exploitation donc avec un processus de démocratie affirmée et en totale transparence.

Christian FAULIAU

christianfauliau@yahoo.fr

mars 2024

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