Conseil de Sécurité de l’ONU : L’intervention militaire demandée par le Gouvernement haïtien est encore dans l’impasse
6 min readDepuis la Résolution 2653 du Conseil de Sécurité de l’ONU adoptée le 21 octobre 2022, l’éventualité d’un consensus international autour d’une intervention militaire en Haïti a peu à peu cédé la place à l’élaboration de régimes de sanctions, tant au niveau bilatéral qu’international. Trois mois après, l’intervention militaire souhaitée par le Gouvernement et le Bureau Intégré des Nations Unies en Haïti (BINUH) ne pointe toujours pas à l’horizon.
L’activité criminelle ne cesse de se répandre en Haïti, et atteint chaque jour des proportions inquiétantes. Dans son intervention lors d’une séance du Conseil de Sécurité de l’ONU ce 24 janvier 2023, Helen La Lime, représentante spéciale du Secrétaire Général de l’ONU en Haïti et cheffe du Bureau Intégré des Nations Unies en Haïti (BINUH), a indiqué que l’activité des gangs armés en Haïti a un objectif précis, elle « s’inscrit dans des stratégies bien définies visant à assujettir les populations et à étendre le contrôle territorial ».
Selon la cheffe du BINUH, les gangs ont instauré un climat de peur dans le pays, et leurs actions ont – de façon délibérée – contribué à accélérer une crise humanitaire en bloquant l’accès à la nourriture, à l’eau et aux services de santé en pleine épidémie de choléra. « Les gangs ont de plus en plus recours au meurtre délibéré d’hommes, de femmes et d’enfants avec des tireurs d’élite positionnés sur les toits. Des dizaines de femmes et d’enfants âgés d’à peine dix ans ont été brutalement violés, dans le cadre d’une tactique visant à semer la peur et à détruire le tissu social des communautés sous le contrôle de gangs rivaux », a-t-elle déclaré.
Pour la diplomate, le Gouvernement essaye tant bien que mal de contrôler la situation en accompagnant les forces de police. « La PNH reste une priorité pour le Gouvernement, avec une augmentation de près de 50 % de l’allocation budgétaire pour l’année en cours à 162 millions de dollars. Le mois dernier a vu la 32e promotion de cadets entrer dans les forces de police : 714 officiers supplémentaires, dont 174 femmes ». Cependant, pour Mme La Lime, l’intervention militaire dans le pays est plus que jamais nécessaire, et elle la recommande vivement au Conseil de Sécurité.
La cheffe du BINUH a ses raisons
Les doutes existent sûrement autour des résultats d’une éventuelle opération militaire étrangère en Haïti, cependant, il est évident que la situation est intenable et qu’il faut des réponses efficaces. L’activité scolaire est complètement menacée par la violence des gangs armés. Après avoir été mise à mal dans toute la région de la Plaine du Cul-de-sac depuis avril 2022, ce n’est qu’au début janvier 2023 que certaines écoles ont repris leurs activités pour une année scolaire qui aurait dû commencer en septembre 2022.
« Bien que 90% des écoles fonctionnent maintenant, des milliers d’enfants, en particulier ceux qui vivent dans les zones touchées par les gangs, n’ont pas encore commencé l’année scolaire, alors que des témoignages de plus en plus nombreux font état de recrutements de mineurs par les gangs », rappelle Helen La Lime, au Conseil de Sécurité de l’ONU.
« La réalité est que sans ce déploiement international, opérant de manière intégrée avec la Police, les effets très positifs du processus politique et des sanctions resteront fragiles et susceptibles d’être inversés en Haïti », argue-t-elle par devant le Conseil. Pour la Représentante Spéciale du Secrétaire Général, les Haïtiens « souhaitent massivement cette assistance afin de pouvoir vaquer à leurs occupations quotidiennes en paix ». « La population vit dans la peur et n’est que trop consciente des limites des forces de police », explique-t-elle.
Une communauté internationale divisée
Au niveau du Conseil de Sécurité de l’ONU, l’intervention militaire en Haïti ne fait pas l’unanimité. Pour le Canada, pressé par les États-Unis d’Amériques de prendre le commandement d’une opération militaire, l’heure est à d’autres méthodes plus efficaces que l’intervention militaire, et appelle le Conseil à prendre leçon des erreurs du passé « qui n’ont pas réussi à apporter une stabilité à long terme aux Haïtiens ». Par ailleurs, la République d’Albanie, fidèle alliée des États-Unis depuis des décennies, dit soutenir sans réserve l’intervention en Haïti, alors que le Brésil qui vient de rebasculer à gauche avec le retour au pouvoir de Luiz Inácio Lula Da Silva, seules des solutions dirigées par les Haïtiens sont susceptibles d’être efficaces à long terme.
Les sanctions internationales – solution de repli pour plusieurs États – semblent porter leurs fruits selon plus d’un au niveau du Conseil de Sécurité. C’est le cas pour le Royaume-Uni qui reconnaît leur importance, et qui recommande son élargissement à d’autres personnes responsables du climat de violence dans le pays. Pour la France, ces sanctions sont certes dissuasives pour les criminels et leurs complices, mais elles ne peuvent pas, à elles seules, tout résoudre.
De son côté, le représentant permanent adjoint de la Fédération de Russie au Conseil, Dimitry Polyanskiy, se montre pessimiste quant aux réelles répercussions de ces sanctions. « En parlant d’Haïti, nous percevons ces sanctions comme une tentative des États-Unis et du Canada d’influencer les processus nationaux en Haïti de la manière dont ils en ont besoin », a-t-il déclaré mardi lors de la réunion du Conseil de Sécurité.
Tout en reconnaissant que la criminalité reste le problème majeur à l’ordre du jour haïtien cette année, le diplomate russe émet ses réserves sur le bien-fondé des régimes de sanctions bilatérales, et demande de revenir vers le Comité des sanctions prévu par la Résolution 2653, et d’agir au niveau multilatéral. « Ces mesures ne peuvent être interprétées comme la volonté de la communauté internationale, car une telle volonté ne peut s’exprimer qu’à travers les décisions du Comité des sanctions 2653 que nous avons créé récemment. Nous sommes convaincus que le comité des sanctions commencera à travailler de manière plus solide, c.-à-d. identifier les véritables sources de financement des bandes haïtiennes et les itinéraires des livraisons illégales d’armes à l’île ».
D’un autre côté, dans son rapport au Secrétaire Général le 17 Janvier, la cheffe du BINUH a expliqué que, dans l’ensemble, « le public haïtien a bien accueilli ces annonces (de sanctions bilatérales), et de nombreux appels ont été lancés sur les médias sociaux pour que d’autres personnes soient sanctionnées ». « Dans le cadre du dialogue piloté par les parties prenantes haïtiennes, plusieurs organisations politiques ont suspendu leur coopération avec les personnes sanctionnées et les groupes politiques auxquels elles étaient associées, notamment le Parti haïtien Tèt Kale, auquel appartenait le Président défunt Jovenel Moïse », a-t-elle écrit au Secrétaire Général des Nations Unies.
Clovesky André-Gérald PIERRE
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