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Dame violence, une femme à fuir

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Je suis hideuse je le sais, exécrable même, quand on me pousse dans  mes pires retranchements. Je peux être sournoise quand je le veux et vous montrer la nuance qui m’arrange. Vous ne me reconnaissez pas ? Pourtant je vis parmi vous. Oui Carlo, je suis là à chaque fois que tu frappes ta femme. Je suis là Junior quand tu traites ces filles des pires qualificatifs, juste parce qu’elles ont refusé de venir vers toi. Je suis là Robert quand tu les obliges à forniquer avec toi pour qu’elles puissent être embauchées. Je suis encore là quand, malgré leurs protestations, tu les forces à satisfaire les envies que tu portes dans ton bas-ventre. Les femmes, ce sont vos souffre-douleurs et vous n’hésitez jamais à m’appeler quand il s’agit de traiter avec elles.

Vous répétez inlassablement que vous voulez que je m’éloigne de votre vie, mais croyez-moi, c’est vous qui me cautionnez. Pensez-vous avoir fait le nécessaire pour cela ? Croyez-vous que vos petites campagnes de sensibilisation chaque 8 mars, ce soit le moyen idéal pour me chasser de votre demeure ? Vous me prenez à la légère alors qu’il faut de la profondeur pour me vaincre.

Vous voulez que je passe outre de votre société ? Commencez par apprendre à vos fils l’amour et le respect des femmes. Commencez par leur faire comprendre que ces êtres ne sont pas des objets, mais des personnes à chérir. Qu’ils ne les voient pas simplement comme « celle aux grosses fesses ou aux gros seins ». Commencez par leur donner le bon exemple par votre manière de traiter leur mère, leur sœur et même des inconnues que vous croisez dans la rue. Car que fait-on avec un objet ? On s’en sert à volonté bien sûr. De toute manière, il ne peut pas dire non. Demandez-vous la permission à votre casserole de pouvoir vous en servir dans la cuisine ? C’est la même chose quand vous assujettissez cette femme. Vous réduisez à néant sa volonté, sa capacité de dire non. Et c’est à partir de là que moi j’entre en jeu. 

Vous voulez me bannir ? Apprenez à vos filles à avoir confiance en elles. Car croyez-moi, ceux qui se servent de moi pour profiter d’elles comptent en fait sur cette faible estime qu’elles ont d’elles-mêmes pour arriver à leurs fins. On ne peut pas chosifier celle qui sait déjà que sa valeur est inestimable. 

Vous voulez que je me sauve ? Changez votre réaction face à moi. Quand une femme ouvre la bouche pour me dénoncer, moi et tous ceux qui m’ont utilisée contre elle, ne restez pas dans votre mutisme ou à défaut, sortez de cette spirale de culpabilisation de la victime. À ce rythme-là, elles auront honte et peur que l’on découvre ce qu’elles ont subi, alors que ce sont mes acolytes et moi qui sommes à blâmer. Et si elles ont peur, il n’y aura pas de plaintes et vous conviendrez que, sans victime, il n’y aura pas de coupable. Et c’est là que le cercle de l’impunité se resserre.

Commencez par rejeter ces prétendues-excuses spécialement conçues pour me donner raison alors que je suis en faute. « Elle m’a trompé, c’est elle qui m’a séduit, voyez comme elle s’habille, elle m’a frappé… ».  Sachez que rien ne peut justifier que l’on fasse appel à moi.

Dites-moi, vous voulez vraiment que je m’en aille ? Commencez par mettre fin à cette justice commercialisée. Les bourreaux peuvent soudoyer juges, avocats, greffiers, famille de la victime, et même la victime en personne, mais leur certificat de bonne vie et de bonnes mœurs restera intact. Comment voulez-vous qu’ils ne recommencent pas ? Et vous osez me demander de partir ? 

Vous voulez que je me tire ? Sortez de cette hypocrisie totale dont vous faites preuve par rapport à moi. Combien de femmes activistes le jour restent sous le joug brutal d’un homme sanguinaire le reste du temps ? Combien de femmes se vautrent en pointant du doigt leurs semblables quand celles-ci osent s’exprimer ? Combien d’hommes prônent la non-violence dans leurs débats quotidiens, mais pactisent secrètement avec moi ? Combien d’entre vous fredonnent les derniers hits du moment, contre lesquelles je n’aurais aucune retenue si au fond elles n’étaient pas préjudiciables pour la gente féminine. Des chefs-d’œuvre de violence, des hymnes à mon nom, c’est comme cela que je les vois. Si c’est ainsi, je ne suis pas prête de m’en aller.

Aujourd’hui, j’ai fait une grave entorse aux convenances de notre monde. Je vous ai proposé un combo pour pouvoir me vaincre. Libre à vous de savoir si vous le voulez ou pas. Si vous voulez que je laisse les lieux, renforcez vos institutions avant tout. Vous voulez que je vous dise ? Je ne peux pas m’empêcher de rire à chaque fois qu’on appelle au secours. Une femme en détresse doit pouvoir appeler la police sans avoir des excuses comme « Pa gen gaz, a lè sa n pa ka vini, tann li jou… », sans compter que des fois elle peut tomber sur la messagerie vocale.

L’oppresseur doit vraiment se sentir menacé à chaque fois qu’elle se tourne vers une quelconque institution, police, réseau de défense, bien-être social et autres. Il doit savoir qu’il risque gros et qu’on ne passera pas sous silence ses actes. Il doit savoir qu’il paiera cher s’il ose se servir de moi contre une femme. Et c’est l’un des incontournables pour qu’il mette fin à ses pulsions et que, par ailleurs, la femme victime se sente en confiance aussi pour le dénoncer. Ne soyez pas non plus des cancres en termes de suivi. Êtes-vous prêts à le faire ?

Vous voulez que je m’en aille ? Sortez la femme de cette position inférieure à l’homme dans laquelle vous la reléguez dès ses premiers pas dans l’existence. Commencez par donner des chances égales aux femmes dans vos institutions et agissez avec elles par mérite, que ce soit pour le salaire ou les opportunités d’emploi et autres. En somme, aidez-les à consolider leur autonomie et leurs oppresseurs n’auront pas cette échappatoire pour se servir d’elles.

Sortez vos jeunes et vieux de cette spirale de stéréotypes à l’égard des femmes qui ne font que les consumer. Vous me direz comment ? Je ne devrais pas vous aider, mais je vais quand-même vous donner une piste. Bannissez les commentaires sexistes, les hymnes qui, je l’avoue, flattent mon égo, de vos écoles, de vos médias. Au contraire, servez-vous de ces derniers pour redorer l’image de la femme dans votre société. Loin des slogans péjoratifs incitant à la violence, ne croyez-vous pas que des messages de sensibilisation ne seraient pas mieux? Dites-moi.

Je suis à fuir, mais tant que vous ne vous déciderez pas à me chasser de votre demeure, je serai là. N’oubliez pas, je vis dans vos pensées, dans vos actes aussi. Et chaque fois que vous penserez à moi, regardez-vous comme vous êtes et posez-vous la question qui suit : « N’ai-je pas cautionné dame violence ? »

Sterline Vertilus

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