lun. Déc 2nd, 2024

Le Quotidien News

L'actualité en continue

De Gou Lakay à Anne Gou Lakay : voyager au cœur d’une très petite entreprise culinaire en Haïti

9 min read

Durant ces 5 dernières années, nous pouvons  constater sur les différents réseaux sociaux la création d’une multitude de Très Petites Entreprises (TPE) dans divers secteurs  dont le voyage, la mode, l’artisanat et la restauration. Si ces TPE sont à nos portes, difficile de savoir si elles ont un statut légal que ce soit au niveau du Ministère du Commerce et de l’Industrie (MCI) ou au niveau du Ministère des Affaires Sociales et du Travail (MAST) car ces derniers ne publient pas des statistiques relatives au nombre d’enregistrements des entreprises notamment celles de notre cas d’étude. Ce qui explique même leur négligence dans la vie  économique de notre société.

Dans le secteur de la restauration, les étudiants et  étudiantes, par exemple de l’Ecole Hôtelière d’Haïti et de l’Académie Haïtienne des arts Culinaires (ACHAC), après avoir bouclé leurs études qui deviennent des professionnels et professionnelles, créent de TPE dans un double objectif : subvenir à leurs besoins et créer une demande auprès de certains jeunes. D’autres s’inscrivent  plutôt dans une démarche de partage de compétence et de passion. Pour elles, l’apport économique est relégué au second plan. Dans les 2 cas précités, ces jeunes entreprises créent des emplois temporaires  et achètent des produits locaux, et,  du coup, contribuent au produit intérieur brut (PIB) du pays. C’est dans cette veine, la professionnelle en Cuisine et en Hébergement Anne Martine Michel crée sa TPE Anne Gou Lakay (légalement reconnue par l’Etat) en vue de partager son savoir-faire et sa passion. Cet article pourrait servir de point d’ancrage de sensibilisation pour les acteurs publics et privés sur l’importance de ces entreprises.  

De Gou Lakay à Anne Gou Lakay : un autre nom, une autre vision et la même passion

La question de très  petites entreprises ne fait pas l’objet d’études et de recherches par les spécialistes en économie ou en management. Il n’y a pas une définition propre de ce que c’est une TPE voire quelles  sont ses caractéristiques et sa taille. Elle n’a pas non plus une méthode de gestion que l’on puisse reconnaître a priori. Elle est plutôt liée à la philosophie et l’objectif de son responsable. Il serait donc difficile de s’inscrire notre intervention sur un ordre théorique, ce qui aurait servi de cadre d’orientation.

L’entreprise Gou Lakay a été créée le 27 avril 2018 sans avoir eu une reconnaissance légale auprès des autorités étatiques.  Il s’agissait d’organiser des événements  festifs et culinaires une ou plusieurs  fois chaque année pour des jeunes professionnels, des couples, des jeunes mariés et des amis. Les 2 premières éditions étaient une réussite en dépit des contraintes d’ordres économique et organisationnel. Entre le sourire des préposés à l’accueil et le service, l’ambiance conviviale et l’attente des poissons boucanés, la clientèle profitait l’instant présent pour se voyager ailleurs, se rencontrer e, s’échanger et se familiariser. On s’en souvient de cette parfaite communion que ce soit en plein air à Nazon et à Christ-Roi ou que ce soit fermé à Amistoso garden. A cette époque, Gou Lakay était à la fois  le nom de  l’entreprise et le nom de l’événement.

Sa principale raison d’être était de valoriser l’art culinaire haïtien dans une perspective de développement culturel et touristique. Culturel dans le sens qu’elle renforce le lien entre les Haïtiens et leur terroir. Et, touristique, par l’attractivité, la singularité, la qualité de ce savoir-faire de notre gastronomie. Ce qui favorise le déplacement de quelques dizaines de personnes de différentes communes de l’arrondissement de Port-au-Prince à chaque manifestation culturelle pour reprendre les propos de la gestionnaire de cette TPE dans un entretien accordé à l’agence en ligne MagHaïti le 29 novembre 2018.

A la 3ème édition qui s’était déroulé à Christ-Roi, l’organisatrice parle d’un succès en dépit de la situation politique car des gens se déplaçaient dans une ambiance de bon enfant pour construire leurs papilles gustatives et vivre une expérience exceptionnelle. En faisant le tour des tables pour remercier les participants, certains l’interrogent sur la nécessité de garder cette activité en vie et de se faire reconnaitre par l’Etat.  Cette même préoccupation refaisait surface à la 4ème édition le  27 avril 2019 à Amistoso Garden.  Par ailleurs, à cause de la situation politique, plusieurs rendez-vous ont été manqués auxquels on ajoute cette folle maladie : Coronavirus. Entre ces 2 limites, elle en profitait pour affronter le périple de la légalisation de ladite entreprise.

Les démarches d’enregistrement au Ministère du Commerce et de l’Industrie révélaient qu’il faut changer de nom car une autre entreprise a un nom similaire. En conséquence, Gou Lakay s’est transformé en Anne Gou Lakay avec  une autre vision mais la même passion de vous servir. Dorénavant l’entreprise Anne Gou Lakay vous propose différents services dont service de restauration, service traiteur, service de livraison et service d’événement pour toutes vos occasions. Ainsi, pour marquer son 3ème printemps, elle a organisé une édition spéciale le 1er mai dernier toujours dans le sillage de valoriser le terroir haïtien sous son actuelle nomination (Anne Gou Lakay) avec le même slogan Pour le plaisir de vos papilles gustatives !

De ces nouveaux services, cette entreprise culinaire ouvre la voie à un public plus large et cherche à se positionner sur un marché hautement concurrentiel. Elle est donc disponible à desservir les organisateurs de séminaire, de conférence, d’exposition, de colloque, d’atelier de travail, de cérémonie de graduation ou  de mariage ou bien encore de funérailles… Pour Anne Martine Michel, la gestionnaire de cette TPE, il s’agit d’une stratégie pour mieux valoriser sans son savoir-faire et construire son identité. Elle attend les contrats pour l’évaluer, la juger et l’aider à grandir. Si elle communique à la rue des fourreurs, elle ne se loge et ne se logera  pas à la course aux étoiles ou aux hibiscus mais à son destin ; son désir de cuisiner. Donc, elle veut vous régaler, vous émerveiller et prendre sa vitesse de croisière, son envol…

D’un point de vue communicationnel, Anne Gou Lakay change légèrement son logo pour être plus près de son aimable clientèle et que cette dernière se l’approprie et se la reconnaisse en tant qu’une partie de son identité et de son être. Il peut s’agir en réalité d’un travail de longue haleine car s’approprier un élément ou une image c’est un construit. C’est une dynamique en cours d’esthétisation.  Anne Gou Lakay est référencée sur plusieurs plateformes dont Facebook, Instagram et a un compte gmail. Vous pouvez l’aimer pour rester connecter avec elle ou la suivre ou du moins l’écrire voire placer votre commande à travers son compte (annegoulakay@gmail.com). En dépit de cette volonté manifeste, quelle est la situation économique et financière d’une TPE en général ?

Pour ce qui concerne l’aspect économique  et financier de ces TPE, la situation semble préoccupante car elles font face à de grandes difficultés. Elles n’ont pas un fonds propre. Elles s’activent par projet. Et ce dernier est généralement supporté par des amis proches et/ou de la famille. Dans ce carrefour, les gestionnaires de ces très petites entreprises comptent beaucoup plus sur le support familial et amical pour non seulement obtenir des prêts pour réaliser leur activité mais aussi pour leur organisation  qu’une institution de financement (publique ou privée). Or, tant bien que mal, elles sont dans l’obligation d’embaucher temporairement 2 ou 3 personnes à chaque activité. De plus, elles achètent des produits locaux ce qui circule de l’argent dans notre économie. En fin, à la fin de l’année fiscale, ils vont faire leur déclaration d’impôt. Donc, ils contribuent  tant bien que mal à l’augmentation du Produit intérieur brut (PIB) du pays.

Dans le cas d’Anne Gou Lakay, la gestionnaire avait déjà proposé aux institutions bancaires d’octroyer des prêts à ces entreprises suivant leur profil et leur actif dans ce même entretien qu’elle avait accordé à l’agence en ligne MagHaïti. Cette proposition nous laisse croire que son entreprise n’est pas exempte des difficultés économiques que traversent les jeunes qui veulent monter  des entreprises pour subvenir à leurs besoins. On pourrait se demander alors quelle est la place de l’entrepreneuriat dans les politiques de l’Etat et des institutions de prêts ? Comment peut-on penser le développement d’un pays sans faciliter la création d’emplois dans tous les secteurs ? La passion doit péremptoirement déboucher sur une ouverture économique afin que la passionnée puisse y vivre et subvenir à ses principaux besoins préliminaires. Un manque à gagner ou un manque à (re)penser !

Si l’on constate la création d’une ribambelle de très petites entreprises sur les réseaux sociaux ces 5 dernières années, leur mode de gestion ou de management n’est pas régulée. De plus, elles ne font pas l’objet de débat dans les médias ou d’études dans les milieux professionnels et universitaires. Leurs existences sont méconnues. Ce qui montre le désintéressement de l’Etat et des professionnels à leur égard or elles participent grandement dans la valorisation des métiers, aident les commerçant à écouler leurs produits, emploient temporairement 2 ou 3 personnes lors de la réalisation des activités, contribuent à l’augmentation de l’assiette fiscale du pays et sont une porte de sortie pour bon nombre de jeunes. Pourtant, elles sont en difficulté économique et peinent à organiser une activité sans l’octroi d’un prêt familial ou amical. Or, les TPE jouent un rôle essentiel dans l’expérience entrepreneuriale de certains jeunes et favorisent la valorisation de certains métiers. C’est le cas de la Très petite entreprise Anne Gou Lakay qui met en avant une professionnelle et son savoir de cuisiner après des études en restauration et en hébergement à l’Ecole Hôtelière d’Haïti. Elle cherche à se faire voir, à se positionner sur un marché concurrentiel difficile,   à créer une offre et la diversifier, et,  à créer une clientèle et à la fidéliser. Combien de ces entreprises qui submergent dans ces conditions  entrepreneuriales et économiques si difficiles ? Combien qui y restent dans les tiroirs par manque de modèle de réussite ? Combien de temps devrions-nous encore attendre pour que l’Etat puisse être en mesure  de définir une politique entrepreneuriale capable de répondre aux exigences des TPE ? Le secteur privé ne devrait-il pas une partie prenante ?  L’université ne devrait-elle pas jeter son dévolu sur  ces entreprises pour en faire des études de cas  et nous proposer un modèle de management voire ses principales caractéristiques ?  Ne pourrait-on pas commencer par le grand Sud du pays qui vient d’être dévalisé par un séisme de magnitude 7.2 ? Il s’agissait de Anne Gou Lakay dans le cadre de notre réflexion, qu’en est-il de Resèt Kreyòl, une initiative gastronomique des étudiantes et étudiants de l’IERAH-ISERSS, de Daphc’Art et de Ti Chef ?

Orlando Henry

Master II  en Développement  Territorial Durable, spécialité Management du Tourisme et des Loisirs 

Université  de Corse Pasquale Paoli 
Licence en Patrimoine et Tourisme
Université d’État d’Haïti

Laisser un commentaire