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Des professeurs de droit constitutionnel désapprouvent le projet de référendum constitutionnel avancé par le pouvoir en place

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Lors d’une conférence-débat organisée par le Barreau de Port-au-Prince à, des grandes figures du droit public sont intervenues sur la question des changements constitutionnels en Haïti. Ces intervenants profitent de l’occasion pour désapprouver le projet de référendum du gouvernement.

Le projet de référendum prévu pour le 27 juin prochain suscite une vague de réactions au sein de la société haïtienne depuis quelques jours. Plusieurs secteurs de la vie nationale remettent en question cette voie que désire suivre le gouvernement. C’est dans ce contexte que le Barreau de Port-au-Prince a organisé ce débat permettant d’analyser le projet sous toutes ses coutures et mieux exposer les conséquences potentielles d’une telle décision. Dans son discours d’introduction, le Président de la commission scientifique du Barreau de Port-au-Prince, Me Léon Saint-Louis, a déclaré qu’« une réforme constitutionnelle dans une démocratie doit, en principe, interpeller tous les citoyens, tous les secteurs de la vie nationale ».

Mirlande Manigat, partageant cet avis, affirme qu’une Constitution ne saurait être préparée sur la base d’un référendum : « On ne peut pas organiser un référendum sur un texte complet », clame-t-elle. Selon elle, ce n’est pas techniquement possible, ou juridiquement acceptable et c’est contraire à l’idée voulant que le referendum signifiât laisser la parole au peuple.

Si la professeure de droit constitutionnel reconnait que les amendements font partie de notre histoire constitutionnelle, elle déclare toutefois que le projet de changement de Constitution proposé par gouvernement ressemble plutôt à un plébiscite qui repose sur l’idée de l’adhésion à un homme, le peuple étant d’accord avec tout ce que propose le chef de l’État. « Le plébiscite est délétère pour la démocratie parce que Vincent l’a utilisé, et François Duvalier aussi. On a deux exemples au cours du 20ème siècle, d’utilisation de plébiscite sous prétexte de référendum », lâche-t-elle. Le référendum populaire, à son avis n’est pas synonyme de démocratie et peut créer l’antichambre à l’autoritarisme.

Un projet illégal et inconstitutionnel

À la question de savoir s’il fallait modifier ou abroger la Constitution de 1987, Dr Blair Chéry affirme que l’article 284 de cette même loi-mère décrit dans son article 204, les procédures liées à sa modification. « On ne peut pas modifier la Constitution, en dehors de la Constitution », clame-t-il. Il affirme aussi qu’il n’y dans le pays ni création d’un nouvel Etat, ni révolution pour justifier un changement de Constitution. Quant à Me Bernard Gousse, lors de son intervention sur la question de la légalité juridique du référendum, il a déclaré clairement que ce dernier est illégal et inconstitutionnel. Ayant exploré toutes les conditions qui pourraient justifier ce processus, il est parvenu à la conclusion que les conditions politiques pour une telle décision n’étaient pas réunies.

Me Gousse a pris comme exemple le Chili pour expliquer certains cas où la Constitution d’un pays a dû être changée. En effet, selon lui, lorsque la Constitution héritée de Pinochet a été contestée, le peuple a été amené à voter par référendum en 2020. Toutefois, il a été invité à voter non pas un texte, mais sur la question de la possibilité de changer de Constitution. « Avant même que l’on ne touche au texte, on a posé la question aux citoyens », souligne-t-il. Les changements de Constitution, affirme Me Gousse, n’ont jamais été autocratiques, mais ils ont plutôt toujours été le fruit de débats de société et non pas le produit de petits cercles d’intellectuels.

« Il faut des débats intellectuels mais il faut ensuite que ces débats descendent sur la place publique de façon à ce que la société civile se les approprie. Ce n’est qu’alors on pourra oser toucher à ce qui existe au vu de ses défauts », plaide Me Gousse en faisant allusion à l’expérience française des années 1989, 1990 et 1991 lorsqu’il fallait rédiger le Traité de Maastricht de la Constitution Européenne.

Il faut rappeler, par ailleurs, que  les ténors du Barreau de Port-au-Prince ne semblent pas être les seuls à désapprouver le référendum du gouvernement en place. En effet, sur son compte Twitter, le Bureau intégré des Nations Unies en Haïti (BINUH) a laissé entendre récemment que le processus n’était pas suffisamment inclusif, participatif ni transparent. « L’appropriation nationale du projet de Constitution exige l’engagement d’un éventail plus large d’acteurs politiques, sociétaux, en incluant aussi les groupes de femmes et les religieux dans tout le pays », peut-on lire. Le gouvernement continuera-t-il de fermer les yeux sur tant de réserves et de contestations ?Ketsia Sara Despeignes

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