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« Du confinement total au meso-confinement » : prolegomenes à un combat contre les « doxosophes » en Haïti sur la problématique du confinement total

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Depuis le début de l’année 2020, l’humanité traverse l’une des crises sanitaires les plus difficiles à combattre de son histoire. Cette redoutable crise a déjà attaqué, dans une certaine mesure, l’un des éléments qui constitue même le fondement de la modernité radicale, à savoir la distanciation spatio-temporelle ou disons mieux le déracinement entre le temps et l’espace. C’est-à-dire que le COVID-19 ne s’attarde pas à saboter l’interconnexion entre le national/international, le local/global qui constitue effectivement l’une des conséquences de la modernité comme l’a si bien dit le sociologue britannique en l’occurrence Anthony Giddens dans son ouvrage intitulé : « Les conséquences de la modernité. »


En outre, le COVID-19 ne s’en prend pas seulement au fondement de la modernité, il s’en prend aussi et surtout à l’un des piliers fondamentaux de chaque société dont il fait son apparition. Cela dit, si avant l’avènement de ce virus les micro-rencontres et les macro-rencontres entre les hommes étaient une nécessité vitale pouvant faciliter la cohésion sociale et l’ordonnancement de la société, mais aussi paradoxal que cela puisse paraître, avec l’apparition sans invitation du coronavirus ; si on veut diminuer le risque d’une propagation rapide, il faut substituer les micro-rencontres et les macro-rancontes par la distance physique qui provoque du même coup une certaine distance sociale. D’où, les humains doivent apprendre à vivre, même si c’est de façon provisoire, sans se rencontrer physiquement. Et voilà ! C’est ce qu’on appelle l’ère du confinement.
Jusqu’à présent, le confinement peut être considéré comme la meilleure stratégie permettant à l’humanité de faire face à ce virus qui se comporte en mode de vedette planétaire. C’est la raison pour laquelle depuis son apparition dans le monde oriental (Chine) jusqu’à son arrivé dans monde occidental (Italie, Espagne, France ou USA…), les dirigeants de ces pays ne s’attardaient pas à appliquer le confinement. De ce fait, pour faire face à ce virus, la situation est la même partout à savoir, confinement, confinement et surtout confinement. Et Haïti dans tout ça ?


Le COVID-19 bouleverse le fonctionnement de la planète, cette situation inédite oblige aujourd’hui à confiner près de deux (2) milliards de personnes à travers le monde. Si la République d’Haïti n’est pas considérée comme la source de ce virus et si elle paraît pour le moment très faiblement touchée par rapport aux chiffres de ses malades, elle semble encore une fois très mal préparée, très mal outillée pour affronter cette pandémie de grande envergure. En ce sens, comment lutter contre le pire à venir que prédisent certains spécialistes de la santé en Haïti? Faut-il recourir au confinement total qui est l’arrêt de toute activité comme c’est le cas pour certains pays à travers le monde ? Cette mesure est-elle faisable en Haïti ? Cette mesure est-elle réalisable en Haïti ? Peut-on demander à la population haïtienne, indigente pour la plupart, de se confiner totalement ? Demander à cette population de se confiner totalement, ne consiste-t-il pas à lui demander aussi de creuser sa propre tombe avec sa pioche de famine entre les mains ? Si oui, quelle stratégie faut-il adopter ? Ne revient-il pas à adopter un micro-confinement ou un méso-confinement en lieu et en place du confinement total ?

L’IMPOSSIBLE ARTICULATION ENTRE LE CONFINEMENT TOTAL ET LA SITUATION SOCIO-ECONOMIQUE DU TERROIR.

Il n’est pas douteux, il est même tout à fait évident que le confinement total serait la stratégie la plus efficace pouvant aider à diminuer le risque du nombre de personnes susceptibles d’être contaminées par le COVID-19. D’ailleurs, l’expérimentation de cette stratégie a permis aux dirigeants de la Chine d’avoir une certaine maîtrise sur le virus. Mais, est-ce que cela veut pour autant dire que les dirigeants haïtiens doivent adopter les mêmes mesures de ceux de l’empire du milieu ? (Sur ce point, le Sociologue Fritz Dorvilier a déjà attiré notre attention sur l’impossibilité d’appliquer le confinement total en Haïti.)


En effet, si l’on considère la déclaration de certains doxosophes dans la société haïtienne et si on se laisse surtout porter par la naïveté intellectuelle, on va donc finir par comprendre que le confinement total est inéluctablement la stratégie parfaite pour faire face au COVID-19 partout dans le monde. Cependant, si on lit entre les lignes la réalité socio-économique de la société haïtienne, on verra bien que le confinement total n’est pas approprié à sa structure socio-économique. Autrement dit, une observation minutieuse de son sous-système socio-économique, pour parler comme de Talcott Parsons, permettra de répondre à la négative à un éventuel confinement total. Cela peut s’expliquer par plusieurs raisons, mais nous avons choisi de résumer quelques-unes de façon grosso modo dans le cadre de ce présent article.

Primo, il serait une entreprise illusoire de bien vouloir confiner la population haïtienne dans son ensemble. Cela peut s’expliquer tout simplement par le fait qu’il y a un nombre considérable de personnes en Haïti qui vit au jour le jour. À ce titre, ces individus qui gagnent leur vie quotidiennement, à moins de les donner de quoi pour survivre durant le confinement, vont investir les rues afin de trouver de quoi pour répondre aux exigences quotidiennes. De plus, il n’est pas sans savoir qu’avec les maigres ressources économiques de l’État, ce dernier ne pourrait pas répondre aux besoins de ses gens durant le confinement total. Par conséquent, quand on prend en considération la capacité socio-économique de ces gens, il serait extrêmement cynique et homicide de leur demander de rester chez eux sans une assistance économique régulière.


D’ailleurs, il ne s’agit pas de dire aux gens de rester chez eux pour qu’ils puissent rester chez eux. Ils ne vivent pas dans une société sans État, où il y a une auto responsabilisation de soi. C’est-à-dire, l’État doit mettre en place des institutions qui peuvent aider les gens économiquement faible à rester chez eux et il leur faudrait aussi des institutions qui peuvent les forcer d’y rester. A l’instar Marcel Mauss, le COVID-19 est un fait social total global. De ce fait, il leur faut une stratégie totale globale pour y faire face. Or, ils ne sont pas sans savoir que leurs institutions ne sont pas préparées pour faire face à une telle pandémie. Par exemple, la Chine ainsi que les pays occidentaux ont déployé leur armée pour contraindre la population à se confiner. Pendant qu’en Haïti, les policiers ainsi que les « militaires » ne sont pas bien préparés ou bien équipés afin de contraindre ces gens à oublier un peu, soit pour quelques jours, le brillant soleil.


Secundo, l’évidence n’exige pas d’être un spécialiste pour pouvoir remarquer que l’économie haïtienne est en grande partie une économie informelle. Ainsi, le fonctionnement même de cette économie n’est en aucune façon approprié à un confinement total. Au regard de cette économie informelle, RESTER CHEZ SOI serait forcément un grand handicap pour la réserve du pays, sachant que ses citoyens sont des participants actifs, dans une certaine mesure, à cette dernière. D’ailleurs, l’État n’est pas en mesure de contrôler les « ti degaje ». À titre d’illustration, si on a vraiment le sens de la réalité, comment demander aux petits commerçants comme les marchands de pistache, de la canne-à-sucre et du café qui gagnent leur vie au jour le jour, de rester confiner chez eux sans une soutenabilité financière ? Sinon comment ces gens vont-ils subvenir à leurs propres besoins et aux besoins de leur famille ? Donc, il faut sortir de cette irrationalité-là.

Tercio, la fragmentation urbaine qui bat son plein dans la région métropolitaine a donné naissance à de nombreuses bidonvilles où s’entassent plusieurs milliers de personnes qui deviennent de jour en jour incontrôlables. Ces bidonvilles ont engendré du coup la promiscuité, ils sont caractérisés par l’auto-construction ou plus fondamentalement par des constructions anarchiques, sans assistance des autorités locales. Sur ce point, Carrefour feuille, Canaan, Jalousie, pour ne citer que ceux-là, sont des exemples tangibles. Il n’est pas surprenant de trouver 10 personnes dans une chambre de 16m2. Donc, comment demander à 10 personnes de rester confiner dans 16m2 pour une durée indéterminée ? Si on est réellement sensé et si on a le sens du réel, on finira pas comprendre qu’il serait impossible pour les gens de rester à l’intérieur dans les différents bidonvilles du département de l’Ouest surtout. Car, le manque d’eau potable et des denrées de première nécessité constituent un mal endémique pour ces quartiers, ce qui met hors-jeu le confinement total que souhaitent les esprits formels ou formalistes de la société haïtienne.

In fine, le confinement total peut engendrer une psychose de peur et l’angoisse au sein de la population. Certains haïtiens vont penser que s’ils sont infectés par le COVID-19, ils vont mourir de toute évidence, or ce n’est pas ça la vérité scientifique sur la maladie. Une telle conception peut entrainer une situation d’angoisse permanente, voire de suicide. Ainsi, ce mode de confinement va désorganiser totalement les habitudes culturelles de la population haïtienne, comme c’est le cas pour les pays qui sont déjà entrés en confinement total. Cependant, les dirigeants de ces pays, comme la France par exemple, ont intensifié les mécanismes de sensibilisation auprès de la population pour qu’elle puisse s’approprier de ces mesures barrières afin de diminuer la propagation du virus. Or, le plus difficile actuellement en Haïti, c’est de convaincre la population qu’il y a une menace et que cette menace est sinistre. Il serait un exercice périlleux de demander, dans un laps de temps, à la population, ignorante malheureusement pour la plupart, de changer de comportement afin d’entrer dans un confinement total. Donc, le cynisme de certains haïtiens est un élément d’obstacle pour un confinement total.

De plus, il y a certains doxosophes ou des demi-savants de 250 caractères qui arrivent même jusqu’à dire que le COVID-19 ne s’en prend pas aux noirs ou aux pays tropicaux. C’est-à-dire, malgré la menace est bel et bien évidente, ces « doxosophes », privés de toute capacité d’analyse scientifique, continuent à diffuser certaines idées fausses dans les médias et sur les réseaux sociaux. Telle est de façon grosso modo les éléments caractérisant l’antithèse ou l’infaisabilité du confinement total en Haïti. Maintenant, il est temps de concevoir, même si c’est très brièvement, les stratégies qu’il faut adopter par rapport à notre réalité dans ce contexte mondial de confinement.

DU CONFINEMENT TOTAL AU MESO-MICRO-CONFINEMENT
Aucun gouvernement responsable en Haïti ne peut envisager le confinement total. Toutefois, un méso-confinement ou un micro-confinement accompagné d’une certaine soutenabilité financière et économique mérite d’être envisagé. Avant d’expliquer, sans tourner autour du pot, le bien fondé et l’opérationnalisation de ce mode de confinement, il s’avère nécessaire de clarifier ce concept. D’abord, nous entendons par méso-confinement dans le cadre de cet article, une sorte de confinement par commune, où il n’y aura plus d’interconnexion entre les communes. C’est dire que les communes vont replier sur elles-mêmes afin de fonctionner en vase clos. C’est-ce qu’on appelle, si l’on veut, une forme de confinement sectoriel. Dans ce mode de confinement, il n’y a pas un arrêt définitif de toutes les activités comme c’est le cas pour le confinement total. Il suffit purement et simplement de déconnecter les communes entre elles. À partir de là, l’interconnexion entre les départements, entre les communes ne tiennent plus. Ensuite, nous entendons par micro-confinement, comme son nom l’indique, le plus mince des confinements. C’est une sorte de confinement entre les quartiers, où il y a une sorte de déconnection entre les quartiers au sein d’une même commune.


Avant d’expliquer les mécanismes qu’on devrait mettre en place pour pouvoir opérationnaliser ces modèles de confinement en Haïti, il importe de faire une remarque à double facette. Dit autrement, il nous faut une double précision. La première des choses c’est que le lecteur doit se mettre à l’esprit qu’il est en train de lire une proposition qui n’est pas une recette salvatrice ou une baguette magique pour combattre le COVID-19 en Haïti, il s’agit purement et simplement d’une proposition avec toutes les conséquence qui en résultent. La deuxième des choses c’est qu’il nous manquerait d’honnêteté intellectuelle si nous n’avouons pas que cette proposition est purement originale, c’est l’observation de la société haïtienne qui nous l’inspire et elle n’a jamais été expérimentée nulle part.
Le micro-confinement semble plus approprié aux conditions matérielles d’existence de ce peuple que le confinement total, d’ailleurs il ne vit pas de la même manière que les autres pays qui sont confinés totalement, par exemple la Chine. La question qu’il faut poser maintenant est la suivante : comment l’État doit-il procéder pour rendre réel ce mode de confinement ?
D’abord l’État doit mettre en place des mécanismes d’intervention pour fermer les transports intercommunaux afin de couper le rapport entre les différentes communes. Ainsi, les transports publics que ce soit en voiture ou autre doivent-être suspendus au moment de cette crise sanitaire. Par rapport à la densité des communes, il serait moins difficile de contrôler la propagation de l’épidémie sans pour autant adopter un confinement total qui serait synonyme des dizaines de millier de morts en Haïti (la faim). Il est surtout important de mentionner que ce méso-confinement n’est pas synonyme de laisser-faire ni de laxisme étatique non plus. Les « ti degaje » qui attirent beaucoup de gens comme les discothèques, les boites de nuit, les salles de sport …devraient être fermées. Les programmes comme : chawa pete, tisourit, bodègèd ; atè plat seraient également suspendus durant l’ère du méso-confinement. D’ailleurs, les déplacements doivent être contrôlés par les autorités locales et les notables des quartiers. Les gens peuvent déplacer au sein de leur commune et de leur section communale, cependant il est un devoir impérieux pour les autorités locales de bien vouloir rappeler ces individus qu’ils sont en période de confinement.


Ensuite, il faut dire que ce méso-confinement serait un leurre si l’on pense que c’est l’État central à lui seul qui doit s’impliquer. Bien au contraire, ce sont les autorités locales qui peuvent rendre effectif ce modèle de confinement. Donc, l’implication des Maires, des CASEC, des ASEC et les notables seraient d’une grande utilité afin de pouvoir contrôler le fonctionnement de chaque commune. La possibilité de convaincre les habitants de chaque commune de respecter ce méso-confinement c’est la proximité entre ces habitants et les dirigeants locaux. Contrairement au confinement total qui pourrait impliquer le délaissement, le laissé-pour-compte, le méso-confinement implique la proximité entre les dirigeants locaux et les habitants afin d’établir une relation de confiance réciproque. Parce que tout simplement sans ce sentiment de confiance réciproque, le méso-confinement ne serait pas possible. Par exemple, il y a beaucoup de gens qui mettaient en doute la présence du COVID-19 dans ce pays car la personne qui a déclaré l’existence des deux premiers cas confirmés en Haïti, en l’occurrence son excellence le président Jovenel Moise, n’inspire pas confiance. D’où la nécessité d’avoir un ensemble de dirigeants crédibles.
Puis, la soutenabilité financière et économique de l’État est d’une grande importance pour la réalisation du méso-confinement. Cela dit, l’État doit mettre en place un programme d’aide en termes de nourriture et d’autres produits de première nécessité afin d’aider les personnes les plus vulnérables du point de vue économique. Il faut un programme d’aide ciblé et plus intense pour les populations les plus démunies. Il convient de mettre régulièrement à leur disposition des ressources alimentaires . Pour y arriver, l’État doit passer nécessairement par les autorités locales.


Enfin, pour rendre opérationnelle cette proposition qui n’a jamais été expérimentée nulle part à notre connaissance, il nous faut d’autres manières de convaincre les sujets sociaux haïtiens qu’ils affrontent un ennemi invisible et très redoutable à combattre. Il faut mettre en place des stratégies communicationnelles pour forcer les gens à prendre conscience afin qu’ils puissent changer de comportement. Les professionnels de l’opinion doivent inviter des spécialistes compétents en la matière pour pouvoir sensibiliser la population face à la menace que représente cet ennemi invisible qu’est le COVID-19. Par exemple, il faut donner la parole aux : médecins, épidémiologistes, virologues, les travailleurs sociaux, les psychologues ainsi que des sociologues confirmés dans le dessein de convaincre les individus que la menace est bel et bien présente, par conséquent un changement de comportement est nécessaire pour le bien-être individuel et collectif. Il faut intensifier ces genres d’actions parce que tout simplement le cynisme et l’ignorance de certains de nos compatriotes est un élément très dangereux face au risque de la propagation du COVID-19.

Écrit par le Sociologue Francky MICHEL dit Cannavaro le 11 avril 2020 depuis Paris

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