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Environ 40 ans plus tard, Anita revient sur son parcours de femme de ménage

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Près de quarante ans à porter un tablier comme femme de ménage, Anita, plus connue sous le nom de Tata, personnifie la coriacité. Une véritable dure à cuir. « Je suis fière d’avoir offert à mes enfants ce que je n’ai pas eu de mes parents », se félicite la rivanordaise qui ouvre ce chapitre spécial de « Moun ou dwe konnen » pour ce mois de mars.

Née en février 1966 à la Grande Rivière du Nord, dans une famille nombreuse, Anita Saint Jean est la troisième de cette fratrie de onze enfants, parmi lesquels quatre ont succombé à la mort. Sa mère était commerçante et son père bûcheron. « Je ne me souviens pas avoir vécu une enfance pleinement épanouie. Mais, je garde en mémoire quelques beaux souvenirs de ma petite enfance », dit la quinquagénaire, acceptant de nous accorder cette entrevue chez elle, s’abstenant toutefois de se faire photographier pour des raisons personnelles.

Dans un petit quartier à « Kòlèt » sur la route de Frères, Mme Saint Jean, assise sur la galerie de sa maison de quatre pièces, dont trois chambres et un salon, est toute souriante, enthousiaste à l’idée de s’entretenir avec nous. « Je ne pensais pas que ces gens-là (les journalistes) pouvaient s’intéresser à des gens comme nous, femmes de ménage. Kounya m pral ouvè kò m », lance-t-elle avec beaucoup d’humour. On la reconnait dans le quartier comme une femme aux valeurs hospitalières et généreuses. « Il est vrai que nous ne sommes pas de ces familles fortunées, nous dit-elle, mais nous avons certaines valeurs qui pour moi valent plus que de l’or ».

Du haut de ses cinquante ans, Anita, portant une robe à rayures bleu soutenue à la hanche par un ruban noir bien assorti avec ses chaussures, se plaît à noircir ses cheveux pour ignorer la vieillesse qui frappe justement à sa porte. Encore vigoureuse, elle croit avoir encore une bonne dizaine d’années devant elle avant de déposer son tablier de femme de ménage.

Le souvenir de son premier tablier

« J’avais peut-être seize ou dix-sept ans quand j’ai commencé à travailler comme femme de ménage. Je rentrais à peine de la Grande Rivière du Nord », se souvient Anita, qui venait à l’époque de boucler ses études primaires. Elle rentre à Port-au-Prince avec ses deux aînés en vue de  tâter un peu le terrain pour mieux orienter leur avenir. Hébergée par une tante, grande sœur de sa mère Vélièse, Anita ne se fait pas prier pour se rendre utile à la maison, jusqu’à devenir indispensable. « Étant première fille de ma famille, c’était un impératif pour moi d’entretenir la maison, de prendre soin des plus petits », confesse Anita, qui ne pensait pas qu’elle allait passer toute sa vie à faire le même boulot.

Six mois après sa descente dans la capitale, en décembre 1973, elle se fait remarquer par la patronne de sa tante, lors d’une fête traditionnelle de fin d’année. Un mois plus tard, elle intègre le foyer comme babysitteuse. « Prendre soin des enfants, j’en avais déjà l’habitude. J’étais encore enfant lorsque j’ai commencé ce travail, donc il est évident que j’étais plus que qualifiée », dit-elle, sourire aux lèvres.

Anita Saint Jean portera le même tablier offert par sa patronne pendant plus de quinze ans, avant de le condamner au placard. Pour elle, c’est plus qu’un morceau de toile, mais la matérialisation de son premier salaire, le symbole d’une autonomie économique.

Les risques du métier

Si pour certains, s’occuper d’une maison paraît aussi simple qu’une gorgée d’eau, il n’en demeure pas moins que c’est un métier à haut risque pour un maigre salaire. Pour une jeune femme, le harcèlement et l’attouchement sexuel sont les premiers démons, à en croire Anita. « Ma tante m’a toujours exhortée à ne pas me fier à la gentillesse des hommes parce qu’ils sont des vautours », se rappelle Anita qui, tout au long de sa carrière, n’a jamais voulu travailler de nuit, chez quel que soit le patron, connaissant le danger que cela engendre.

« S’il y a une chose qu’il faut impérativement éviter quand on travaille chez quelqu’un, c’est d’avoir un lien trop étroit avec les hommes de la maison. Trop de politesse dévoile votre innocence et certains n’hésiteront pas à en abuser. C’est pourquoi l’on doit garder ses distances, en étant le plus professionnelle que possible », exhorte celle qui exerce ce métier depuis près de quarante ans. Par ailleurs, il y a l’ego des maîtresses de maison ajouté à leur sadisme qui sont autant de problèmes auxquels une femme de ménage doit faire face, selon Anita qui, au fil des âges, a fini par prendre goût à son travail.

Une mère satisfaite

Mariée à vingt-trois ans, mère de quatre enfants, dont trois filles et un garçon, l’aîné, Anita Saint-Jean a pu offrir à ses enfants une éducation de qualité. « C’est une grâce. Moi qui sais à peine écrire mon nom, j’ai mis au monde des enfants aussi intelligents, s’étonne Anita. Vous n’oseriez même pas imaginer le fils d’une femme de ménage qui révise ses cours avec celui de sa patronne. Pourtant cela a bel et bien eu lieu », affirme-t-elle d’une voix émaillée d’une grande satisfaction.

À souligner que son unique fils est boursier dans une université au Mexique où il étudie la médecine, la deuxième et la troisième sont respectivement en Sciences administratives et en Cosmétologie, tandis que la benjamine est en secondaire III. En effet, « ils sont les fruits de toutes ces années de travail. Je suis satisfaite du chemin parcouru avec eux. Et je crois que mon défunt mari serait tout aussi fier d’eux », se félicite Anita, veuve, deux ans après avoir mis au monde sa benjamine.

Pour se détendre un peu et se libérer des poids des journées de travail, Anita aime bien déguster une bonne pâtisserie devant son écran, en regardant du théâtre haïtien. Toutefois, danser dans sa cuisine en entonnant des cantiques, demeure sa plus grande passion. «Mes filles  refusent que je chante à haute voix dans la maison. Elles disent que je nuis à leur travail. Mais ma voix n’est si mal que ça », dit la directrice de chant d’une chorale, en riant avant de chanter un morceau qui dévoile l’éclat de son âme. « Mais je suis sûre et certaine qu’à mon départ ma voix leur manquera », conclut la vaillante Tata avec le même sourire du début, souhaitant le meilleur à la nouvelle génération.

Statler LUCZAMA

Luczstadler96@gmail.com

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