Haïti arrivera-t-elle à l’élimination de la malaria d’ici 2025 ?
7 min readDans une interview accordée au journal ‘’Le Quotidien News’’, le coordonnateur national du PNCMFL/UCMIT-MSPP, Dr Marc-Aurele Telfort a fait le point concernant l’évolution de la malaria en Haïti et les différents programmes mis en place par le Ministère de la Santé Publique et de la Population visant à éradiquer cette maladie dans le pays. « Il en est résulté une nouvelle augmentation du nombre de cas (15 862 en octobre 2020), soit environ 40.8 % par rapport 2019. Les départements les plus affectés sont la Grand’Anse (58.39%), le Sud (15.13%) et le Sud’Est (12.74%) », a fait savoir Dr Telfort.
Selon les données fournies par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), la malaria tue plus de deux millions de personnes tous les ans dans le monde sur une population exposée de 2.5 milliards, notamment en zone tropicale où sévit le moustique (anophèle) qui assure sa transmission. Toujours selon l’OMS, cette maladie a des conséquences dévastatrices sur l’état de santé et les moyens de subsistance des populations les plus défavorisées au monde, à cause du faible accès à la prévention et au traitement.
En Haïti au cours de l’année 2020 le paludisme ou la malaria a connu une augmentation de plus 40% par rapport à l’année 2019. Selon le Dr Marc-Aurele Telfort, Haïti et la République Dominicaine sont les deux seuls pays de la région où la malaria est encore endémique aujourd’hui. D’après le coordonnateur national du PNCMFL/UCMIT-MSPP, en raison de la pandémie du nouveau coronavirus le pays a connu nouvelle augmentation du nombre de cas (15 862 en octobre 2020), soit environ 40.8 % par rapport 2019. « Toute l’attention et les ressources du système étaient concentrées sur la préparation et l’organisation de la réponse au COVID-19 associé à la peur de se faire contaminer des prestataires de services, à cause du manque d’équipements de protection individuelle et de la population qui a déserté les établissements de santé », a-t-il expliqué.
Les départements les plus touchés sont : La Grand’Anse (58.39%), le Sud (15.13%) et le Sud’Est (12.74%). De 2019 à 2020 : les dix communes les plus affectées par ordre d’importance sont : Jérémie, Les Abricots, Les Irois, Les Anglais, Boucan-Carré, Petit-Goâve, Bonbon, Bainet, Dame-Marie, Roseaux. Selon le Dr Telfort,le pays avait bouclé l’année 2018 avec 8828 cas et une incidence de 0.7 / 1000 habitants.
« Pendant l’année 2019, les troubles politiques récurrents à partir de février ont beaucoup affecté les activités du programme. Malgré tout, jusqu’à septembre, le nombre de cas n’avait pas dépassé 4 600 et le programme espérait terminer l’année avec environ 5 000 cas. Cependant, avec la cascade d’événements conduisant au fameux “pays lock” causant une paralysie de la plupart des activités de dépistage, de prise en charge, de surveillance épidémiologique, de lutte contre le vecteur, d’encadrement, d’approvisionnement en intrants, le nombre de cas est passé de 4 600 à 10 687 cas avec une incidence de 0.83 pour 1000 habitants », a indiqué le médecin tout en ajoutant que, globalement, le nombre de cas a diminué de 60 % passant de 34 350 en 2011 à 10 687 en 2019 et l’incidence a diminué de 75 % (3.39 à 0.83 par 1000 habitants) pour la même période.
Les programmes mis en place par le MSPP
Dans l’idée d’éradiquer la malaria dans le pays, le Ministère de la Santé Publique et de la Population a mis sur pied un ensemble de programmes à travers tout le pays. « La loi organique de mai 2005 traitant du statut et de l’organisation du secteur de la santé, reconnaît parmi les entités centrales, une Unité de Coordination des Maladies Infectieuses et Transmissibles. Elle coiffe les deux coordinations des programmes de lutte contre les maladies infectieuses, le VIH/SIDA (PNLS) et la tuberculose (PNLT) et du programme de lutte contre les maladies transmissibles par vecteurs, dont la malaria et la filariose lymphatique (PNCMFL) », a mentionné le coordonnateur national du PNCMFL/UCMIT-MSPP, au cours de l’interview. Ce Programme a été élaboré au niveau du Ministère de la Santé Publique et de la Population pour piloter cette initiative d’élimination de la malaria dans le pays.
Selon lui, le programme est organisé en une coordination nationale, une coordination dans chacun des départements et au niveau local à travers les communes du pays. Ces coordinations ont permis de mettre en place un réseau de 893 établissements de santé sur les 1080 du système de soins et 58 cliniques privées libérales qui collaborent avec le programme, poursuit-il. « Un cadre d’orientation stratégique a été mis en place à travers un Plan Stratégique National multisectoriel d’Élimination de la Malaria (PSNEM) pour l’éradication de la malaria d’ici à 2022, maintenant différée pour 2025 », a confié Dr Marc-Aurele Telfort.
Les interventions de ce plan, d’après le Dr Telfort, s’organisent autour de cinq axes. Il s’agit de la communication pour le changement de comportement et la mobilisation communautaire, la prise en charge des cas, qui implique que chaque cas de fièvre soit dépisté pour malaria dans les 24 heures et en cas de confirmation, traité immédiatement, le suivi et l’évaluation et la surveillance épidémiologique, où chaque cas de malaria confirmé et la tendance générale sont notifiés et investigués pour remonter au foyer de transmission et aux cas de contacts secondaires éventuels pour les traiter également, jusqu’à l’interruption de la transmission à travers chaque commune du pays, la surveillance entomologique et la lutte anti- vectorielle qui consiste à monitorer la bionomie et les habitudes du moustique pour pouvoir s’en protéger et réduire sa présence massive dans les foyers identifiés. Une attention particulière est mise sur des populations clés comme les femmes enceintes et les enfants de moins de cinq ans qui bénéficient d’une distribution de moustiquaires imprégnées dans les cliniques prénatales.
« A côté de ces interventions routinières, les aires à forte transmission de la malaria font l’objet d’interventions massives en santé publique comme : la pulvérisation intra domiciliaire d’insecticides, la distribution de masse de médicaments antipaludiques et la distribution de masse de moustiquaires imprégnées d’insecticides à longue durée d’action (MILDA) », précise-t -il, soulignant que le financement et l’assistance technique pour les activités spécifiques du programme proviennent à 75 % de la coopération externe.
« Aussi, en fonction de la durée moyenne de vie des moustiquaires au niveau des ménages dans les aires en strate 3 et 4, une distribution de masse de MILDA est réalisée tous les trois ans en moyenne à l’intention de la population générale à raison de 2.4 à 4 par ménage. Une campagne de distribution est en cours actuellement touchant123 sections communales de strate 3 et 4 référant à 42 communes situées dans huit départements du pays, à l’exception du Nord et du Nord’Est ».
Si l’on en croit ces propos, cette campagne de communication exécutée par l’Institut Panos et conduite techniquement par l’Organisation Internationale pour la Migration est prise en charge financièrement par l’Organisation Haïtienne de Marketing Social pour la Santé (OHMASS). La distribution des moustiquaires doit prendre fin avant la fin de décembre 2020, précise-t-il. « Les résultats attendus de la campagne rejoignent les directives du plan stratégique qui veulent que 80 % des membres de la population vivant dans des zones à fort risque de transmission dorment sous une moustiquaire imprégnée, comme le recommande l’OMS, en vue de réduire le niveau de risque », avance le coordonnateur national du PNCMFL/UCMIT-MSPP.
« D’importantes mesures de renforcement ont été réalisées au niveau du programme ces dernières années. Le plan stratégique national multisectoriel a été révisé pour s’adapter à la réalité de la conjoncture. Un solide système de surveillance épidémiologique et des outils technologiques efficaces au niveau du système d’informations ont été mis en place. Un cadre d’orientation technique a été défini pour l’organisation de la surveillance entomologique et la lutte antivectorielle », laisse entendre le médecin.
Pour au moins les deux prochaines années, le programme doit s’atteler à faire le plaidoyer pour afficher davantage la volonté politique à travers un meilleur support budgétaire public (au moins 60 % du financement du programme), espère-t-il. « Un plaidoyer sera également mené auprès de la société civile, des autres secteurs étatiques et les des collectivités en vue d’obtenir leur contribution à cet engagement du pays », a annoncé le coordonnateur national du PNCMFL/UCMIT-MSPP tout en avançant que la collaboration avec le secteur privé libéral devrait permettre d’intégrer une proportion importante (40 %) de la prestation de ce sous-secteur dans la réponse à la malaria.
Ce plaidoyer, selon M. Telfort, a pour but de contribuer à atteindre les cibles intermédiaires dans le processus d’élimination de la malaria dans sept communes en 2020 (17 sont actuellement éligibles), dans quarante-deux communes en 2022 et 146 communes en 2025. « Haïti et St-Domingue se sont engagés à son élimination en 2022, mais cette échéance a été reportée à 2025. Il s’agit de d’arrêter la transmission des cas indigènes à travers tout le pays (zéro cas et incidence zéro) », a affirmé le médecin.
Cluford Dubois