Haïti : Comment les jeunes se débrouillent-ils pour vivre dans une économie en récession ?
4 min readAvec une croissance négative depuis deux ans et des perspectives encore moins bonnes pour l’année en cours, la situation économique haïtienne ne laisse qu’un seul vocable sur les lèvres et sous la plume des experts : récession. Dans cette société majoritairement composée de jeunes, la crise économique frappe de plein fouet ces derniers qui, tout en préparant leur avenir, doivent aussi faire face à leurs besoins présents. Cependant la débrouillardise et le courage de certains, toutes catégories confondues, n’en demeurent pas moins remarquables.
Alors qu’ils représentent plus de 54% de la population haïtienne, c’est-à-dire la majeure partie de la force de travail du pays, les jeunes d’aujourd’hui sont en première ligne devant l’effondrement de l’économie, avec l’inflation, le chômage ou encore la décote de la monnaie locale par rapport au dollar, qui battent tous des records. Les plus déterminés font donc appel à leur ingéniosité et à leur créativité pour parvenir à joindre les deux bouts. « Depuis maintenant deux ans, j’utilise Facebook pour vendre mes appareils électriques. C’est comme ça que je vis, l’internet c’est mon business. Je passe mes journées sur facebook à rechercher des clients auxquels je livre ensuite mes produits à un lieu de rendez-vous convenu », confie Moïse, 27 ans. Il était apprenti ferronnier à l’École Professionnelle et Technique JB Damier jusqu’à la fermeture de celle-ci à cause de l’insécurité au Centre-ville et il a profité de cette vacance forcée pour se lancer, en plein Covid-19, dans ce qu’il appelle « un business beaucoup plus rentable ».
Ronald, étudiant à l’Institut d’Études et de Recherches Africaines (IERAH/ISERSS) est du même avis. « Quand on est jeune, on se doit de travailler, parce qu’on a un avenir à construire. Si tous les jeunes comme moi avaient la volonté d’utiliser les outils qu’ils ont à leur disposition pour fonctionner, les choses iraient mieux je pense », faisant allusion à sa boutique de vêtements et d’articles divers qu’il gère grâce à son compte professionnel WhatsApp. En effet, la vente en ligne a pris de l’ampleur depuis la crise sanitaire de la Covid-19 et certains jeunes, ayant apprivoisé l’internet, ont vite fait de ces nouveaux moyens de communication des outils pour se tirer d’affaire économiquement. « Je dois gagner de l’argent, mais je ne peux pas m’engager avec un travail parce que je fais des études. La vente sur les réseaux sociaux et avec mes collègues à la faculté m’aident donc à avoir quelques revenus de temps en temps », commente Marciabie, une étudiante de l’Institut National d’Administration, de Gestion et des Hautes Études (INAGHEI) qui vend des articles de beauté, vêtements et chaussures à ses camarades de l’Institut tout en utilisant ses profils sur différents réseaux sociaux pour faire du marketing.
D’autres ont tout simplement adapté leurs activités afin de gagner davantage. Dina, une jeune enseignante au niveau primaire, témoigne : « À l’heure actuelle quel que soit le travail que tu fais, tu es obligé d’avoir quelque chose en parallèle, car ce que le patron te donne comme salaire ne suffit pas. Le coût de la vie augmente démesurément par rapport aux salaires ». Pour s’en sortir, elle décide de vendre à ses élèves des confiseries durant leur recréation, mais aussi des plumes, crayons et autres matériels dont ces derniers ont souvent besoin.
Les déplacés du Sud de la capitale ont également souffert de l’arrêt de toute forme d’activité économique dans leur zone désormais aux mains des bandits. Caleb, un ancien étudiant au Centre de Formation pour l’École Fondamentale (CFEF) de Martissant n’a pas pu terminer son cycle d’études. Il s’est donc rabattu sur un poste d’instituteur dans une école privée et dispense parallèlement des cours particuliers à 4 enfants. « La vie chère a augmenté considérablement ces deux dernières années. J’ai dû par deux fois augmenter les tarifs de mes leçons », confie-t-il tout en se plaignant que la direction de son École ne se montre pas aussi compréhensive que les parents de ses élèves.
À en croire Derson, un jeune gonavois bachelier en 2020, la situation ne serait pas mieux dans les provinces. Ce jeune a rassemblé toutes ses économies pour lancer son petit « barber shop » dans la localité de Baie Tortue sur la plus grande île du pays. « J’ai commencé l’année dernière. Je voulais venir à Port-au-Prince mais il y avait tellement de problèmes. En attendant de nouvelles opportunités je me débrouille avec cela », affirme le natif d’Anse-à-Galets.
Face au ralentissement économique, à la flambée des prix, au chômage élevé et aux autres paramètres économiques négatifs qui touchent durement la population haïtienne, la jeunesse s’estime larguée par l’État de plus en plus absent face à ses responsabilités. Sans revenu minimum d’insertion ni allocations d’études, sans programme d’emploi pour jeunes ni de vastes facilités de financement en faveur de l’entrepreneuriat, les jeunes sont donc constamment inquiets pour leur avenir. Ce qui tend à alimenter la migration continue de cette force de travail pourtant vitale pour le développement économique d’Haïti.
Daniel Toussaint
danieldavistouss@gmail.com