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Haïti – Éducation : le fonctionnement des écoles laissé au gré de leurs fondateurs

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L’éducation en Haïti dépend souvent des moyens de ceux qui  fondent des écoles. Les infrastructures, l’environnement, la structure organisationnelle et même le programme ne sont pas assez contrôlés par le Ministère de l’Éducation Nationale et de la Formation Professionnelle (MENFP). C’est ainsi que nous nous retrouvons avec différents types d’écoles : grandes, petites, moyennes, « École Borlette », etc.

Écoles au bord d’une route nationale, écoles sans cour de récréation, écoles dans des quartiers à risque, écoles dépourvues de bibliothèque. On trouve toutes sortes de situations. La zone de construction, les normes à respecter et les outils pédagogiques à avoir sont négligés par beaucoup de formateurs. Parfois, il ne suffit que d’une bonne volonté pour construire une école. Ce qui est sûr, c’est que les établissements scolaires ne manquent pas en Haïti, mais  quand il s’agit d’en trouver un qui remplisse toutes les conditions, l’affaire est tout autre.

Selon Audyl CORGELAS, éducateur, professeur de leadership au Haitian Education and Leadership Program (HELP) et délégué d’Haïti au Fonds des Nations Unies pour l’Enfance (UNICEF), la première chose qui caractérise une bonne école est la capacité qu’elle a de développer chez ses élèves des compétences liées à  la Reproduction, adaptation et transformation, ainsi que des compétences liées à la réalité sociale de l’individu. Toutefois, d’autres facteurs entrent en jeu : l’organisation, le leadership du directeur et ses rapports avec l’équipe des enseignants, les parents et les élèves. Selon l’éducateur, la culture de l’établissement a aussi une grande importance. Il entend par là les méthodes pédagogiques, le fonctionnement administratif, ainsi que  la manière d’impliquer tous les acteurs afin d’avoir de meilleurs résultats. C’est, selon lui, ce qui fait la force des écoles congréganistes : « Chacun rôle est bien défini, on planifie. Ce qui diffère du fonctionnement de certains autres lycées ».

Insécurité, espace géographique et éducation en Haïti

Si les éléments mentionnés sont essentiels pour constituer une bonne école, il faut aussi considérer l’insécurité qui ne manque pas de troubler gravement cet équilibre. L’éducation en Haïti n’est pas épargnée par l’insécurité. Selon Bessy JEUDILUS, étudiante en Sciences de l’éducation, un endroit propice à l’apprentissage est un endroit où l’élève se sent bien et en sécurité. Toutefois, cette sécurité manque cruellement à certains élèves du pays. En effet, dans  de multiples endroits, beaucoup d’écoles n’arrivent pas à fonctionner correctement à cause des affrontements entre les gangs, et les élèves se rendent en classe la peur au ventre, en passant parfois sous les balles. À Port-au-Prince, certaines écoles des zones  affectées par les affrontements, notamment de Martissant et Bas Delmas, ont même dû fermer leurs portes avant la date du 11 juin  prescrite par le MENFP.

Ces mêmes affrontements entre gangs obligent le ministère à déplacer 30 centres d’examens qui se trouvent dans ces zones,  afin d’assurer la sécurité des élèves. Aussi, selon le Directeur départemental de l’éducation de l’Ouest, Fritz DORMINVIL, les élèves de Fontamara et de Martissant seront transférés à Carrefour et ceux de Bas Delmas seront transférés dans d’autres écoles situées plus haut. Ces mesures concernent toutes les écoles officielles.

On a  souvent tendance à se focaliser sur quelques aspects basiques de l’éducation et à en oublier les autres. La situation géographique de l’école importe beaucoup : la sérénité,  le bon air, le calme, tout cela joue un grand rôle dans la qualité de l’éducation. « L’endroit où se situe une école a un effet direct sur son fonctionnement », déclare Audyl CORGELAS. En effet, une école située en milieu instable, peut voir baisser les résultats de ses élèves. Les établissements scolaires situés sur le parcours de manifestations, dans les zones de non-droit, près des prisons, sont parmi les plus concernés et elles ne manquent pas en Haïti. Aussi, on aura beau parler de la grande résilience du peuple haïtien, il y a lieu d’avoir des craintes quant aux résultats des examens officiels de cette année qui a représenté tant de stress, d’instabilité et d’incertitude pour des milliers d’élèves.

Il est difficile de voir un établissement créer pleinement cette atmosphère sereine indispensable au bon équilibre des élèves. La plupart du temps, l’éducation se résume à la quantité de connaissances que l’école peut faire absorber au jeune. Des connaissances souvent détachées de la réalité du pays ou qui ne prennent pas en considération les aptitudes de l’élève. L’aspect psychologique, l’accès aux matériels, aux loisirs, à une bibliothèque sont aussi souvent négligés.

Les punitions qui nuisent

Les punitions constituent un autre aspect nuisible au sein de  l’institution scolaire. L’école ayant la mission d’éduquer et d’instruire, l’usage du fouet dans l’éducation peut être ressenti inconsciemment comme une incitation à la violence. Pourtant, certaines écoles n’hésitent pas à utiliser toutes sortes d’instruments de torture pour punir : ceinturon, rigwaz, morceau de caoutchouc, etc.  Comme l’a dit  la psychologue Verlanda Alexandre  qui déplore l’utilisation du fouet par les éducateurs: « Si tel est le message que nous transmettons à nos enfants, nous n’avons pas alors à nous étonner du taux très élevé de violence dans notre société ». Selon elle, il serait mieux d’apprendre aux jeunes à devenir des citoyens responsables, agissant  en pleine conscience et non par crainte d’une personne ou d’une punition.

Si le fouet est prohibé par certains établissements,  ceux-ci n’utilisent pas moins d’autres formes de châtiment , qui sont tout aussi violentes Toutefois, cela ne garantit pas automatiquement la légitimité de la méthode utilisée. En effet, ces autres formes de châtiment font beaucoup de ravages psychologiques. « Les injures, les mots blessants, les comparaisons négatives sont des moyens utilisés stimuler l’élève, mais ils peuvent gravement détruire l’estime de soi de l’enfant », déclare Bessy JEUDILUS.Toutes ces considérations devraient être prises en compte par le MENFP pour ne pas hypothéquer l’avenir humain du pays.

Ketsia Sara DESPEIGNES

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