Haïti-Justice : Ces enquêtes qui n’aboutissent pas
5 min readDepuis l’assassinat de Jean Léopold Dominique il y a vingt-deux ans, en passant par l’assassinat du Bâtonnier Monferrier Dorval et le massacre de Delmas 32, jusqu’au crime crapuleux commis sur celui qui fut le 58e Président de la République, Jovenel Moïse, les familles, amis et proches et tous les Haïtiens attendent toujours le mot de la justice haïtienne sur les enquêtes qui ont été diligentées.
Diligentées avec peine, sans même un semblant d’explication donnée par la justice, des enquêtes pourtant très médiatisées finissent par sombrer dans l’oubli, victimes d’un manque de volonté politique et donc refoulées quelque part dans l’inconscient collectif de la population aussi par manque de foi en la justice haïtienne. Me Robinson Pierre Louis, secrétaire général du Barreau de Port-au-Prince, dans une interview accordée à la rédaction du Quotidien News, a affirmé que le processus prend du temps à cause de la lenteur des procédures : un juge est assigné à un dossier, si son mandat prend fin, la procédure est obligée de recommencer avec peut-être un nouveau juge.
Les victimes connues, leurs meurtriers demeurent un mystère
Jean Léopold Dominique, journaliste haïtien, assassiné le 3 avril 2000 dans les locaux de radio Inter dont il était le propriétaire. Opposant farouche à la dictature, il a connu plusieurs fois l’exil pour sauver sa vie. Il s’était opposé au parti Lavalas suite aux nombreuses dérives de ce dernier. Les soupçons, à l’époque, pesaient sur ce parti politique. Mais, il n’y avait pas vraiment de preuves pour l’incriminer. Des pièces importantes dans les dossiers ont disparu. Selon le Réseau National de Défense des Droits Humains, les responsables de ce crime sont très puissants. Vingt-deux années après, on constate que 17 juges se sont occupés de l’affaire. Le dossier se trouve au niveau de la Cour de cassation mais n’a jamais été conclu.
Jacques Roche, de son côté, était chroniqueur et chef de la rubrique culture au quotidien Le Matin. Plus d’un se souvient de son enlèvement suivi de son assassinat ignoble. En effet, il a été enlevé le 10 juillet 2005, retrouvé mort quatre (4) jours plus tard, son corps était couvert de marques de torture, attaché à une chaise. Certes, des personnes ont été appréhendées, mais leur dossier n’a pas vraiment dépassé le stade de l’instruction. Certains suspects se sont évadés, d’autres ont été relâchés sans aucune forme d’explication, a fait savoir Reporters sans Frontières. Pour cet assassinat, la justice n’a toujours pas été rendue. Elle continue de s’enfermer dans son mutisme. L’impunité gagne le terrain.
Jean Richard Louis Charles fut un journaliste haïtien. Il a été assassiné, abattu 9 février 2011. M. Charles a été tué, selon les journaux de l’époque, à l’angle des rues Capois et Romain, au centre-ville. Il avait 29 ans. Les journaux ont rapporté qu’un individu apparemment lié à l’assassinat avait été lui aussi tué le même jour. Mais l’affaire est restée ambiguë. Rien de concluant. Onze (11) années après, le dossier est reste sans suite. Le meurtre n’a toujours pas été élucidé.
Me Monferrier Dorval
Assassiné devant chez lui le 28 août 2020. Plusieurs personnes ont été invitées se présenter au parquet en tant que témoins. Mais très vite au milieu de l’instruction, le dossier été emporté. Me Robinson Pierre-Louis, secrétaire général du Barreau de Port-au-Prince confie au journal Le Quotidien News que le dossier a été reconstitué par la Direction Centrale de la Police Judiciaire (DCPJ), et qu’il se trouve actuellement au décanat du Doyen Me Bernard St-Vil. Ce qui constitue un obstacle au dossier, c’est le problème de local dû à l’insécurité qui règne dans les entourages du parquet de Port-au-Prince. Me Pierre-Louis a aussi fait savoir qu’une revendication est prévue par les membres du personnel judiciaire pour réclamer au Premier Ministre un nouveau local ce vendredi 8 avril 2022, pour que le dossier soit confié à un juge instructeur.
Feu Président Jovenel Moïse
L’ancien Président de fait, Jovenel Moïse, a été assassiné par des commandos, chez lui dans la nuit du 6 au 7 juillet 2021. Ce meurtre a choqué la nation entière. Presqu’un an après, le bilan de l’enquête est assez dérisoire. Plusieurs individus ont été appréhendés en Haïti, c’est le cas de l’ancien chef de sécurité du Palais National, Dimitri Hérard. Mais, on constate que l’enquête n’avance en rien, sauf au niveau international.
Des individus qui sembleraient être des pièces clés dans l’affaire ont quitté le territoire haïtien en hommes libres pour être capturés ailleurs. C’est le cas de Samir Handal, arrêté en Turquis, de John Joël Joseph, appréhendé à la Jamaïque, de Ruldophe Jaar, en République Dominicaine et de Mario Antonio Palacios Palacios. Selon Reuters, M. Palacios aurait déclaré être non coupable. Son avocat, Me Alfredo Izaguirre a fait savoir que son client n’était pas au courant, selon lui, il a tout simplement été amené de la Colombie sur le territoire haïtien. Pour l’instant au niveau national, le dossier se trouve après neuf mois au stade de l’instruction et le mandat du nouveau juge en charge du dossier (Me Merlan Belabre) arrive bientôt à expiration (dans 3 mois au moins). Le pays de son côté attend les coupables.
Le journaliste Diego Charles, la militante Antoinette Duclaire et autres
Diego Charles était un journaliste de la radio Vision 2000 et du média en ligne La Repiblik, tandis que Antoinette Duclaire était la porte-parole de la structure « Matris Liberasyon ». Ils ont été exécutés par des individus non identifiés, avec d’autres personnes, dans la nuit du 30 juin 2021, dans la rue Acacia, à Christ-Roi.
Plusieurs cas de ce genre ont été répertoriés ces dernières années, c’est le cas du journaliste Vladimir Legagneur porté disparu en 2018 à « Gran Ravin », la Police Nationale d’Haïti avait fait savoir que des prélèvements d’ADN devraient être analysés, mais aucun résultat n’a jamais été révélé au grand public, quatre ans après. Néhémie Joseph, journaliste, assassiné le jeudi 10 octobre 2019 à Mirebalais, figure lui aussi, comme de nombreuses autres victimes, sur la liste interminable des assassinats non élucidés. Les enquêtes n’ont abouti à aucun résultat concluant jusqu’à ce jour. Entre-temps, c’est toujours le même refrain qu’on entend: « L’enquête se poursuit ».
Danie Charlestan