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Haïti-sécurité : une invasion des gangs armés ?

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La situation d’insécurité prend des proportions insoupçonnées. Chaque nouvel assaut des gangs armés porte à croire que c’est l’apogée avant que le record ne soit surpassé. Les victimes se comptent autant parmi la Police Nationale d’Haïti que parmi la population. Une situation qui ne rassure pas.

Pillages, enlèvements, meurtres, le chaos semble régner dans le pays. Autrefois principalement à l’abri des boucliers humains des quartiers populaires, les territoires contrôlés par des bandits armés s’élargissent de plus en plus et du même coup, les zones de non-droit se multiplient. Mais plus que cela, les gangs envahissent aussi les réseaux sociaux : défis lancés, déclarations à la population, démonstrations de force comme lors de l’échec de l’opération des policiers à Village de Dieu. Parfois aussi, une exhibition d’armes à feu : des armes que les forces de l’ordre du pays sont loin de posséder.

Ainsi, le banditisme en Haïti grandit en puissance, ce qui fait que plusieurs craignent que, dans quelques années, tout le pays ne devienne un vaste espace de non-droit. En effet, le champ libre laissé à l’insécurité qui ne cesse de gagner du terrain, fait des chefs de gangs des gens conscients de leur puissance et qui n’hésitent pas à le montrer. Ils sont reçus dans les radios, ils ont leur mot à dire dans le bon fonctionnement du pays et ont le pouvoir de faire régner la peur et de suspendre des activités dans plusieurs secteurs du pays.

L’ère du banditisme. Sommes-nous face à un gouvernement de bandits ?

Selon un rapport fourni le 16 juin 2021 par le Centre d’Analyse et de Recherche en Droits de l’Homme (CARDH), environ 10 000 déplacés ont été enregistrés au cours de la première moitié du mois de juin. Parmi ces gens, environ 2000 proviendraient des affrontements de Martissant, dont 507 garçons, 582 filles, 426 mineurs et 50 nourrissons qui, fuyant leurs foyers, se seraient réfugiés au centre sportif de Carrefour. Selon Reeky Louis, coordonnateur général de « Formons le Collectif Groupe » (FC Groupe), une centaine de ces gens auraient été répertoriés à Gressier, milieu dans lequel évolue le groupe. Ces personnes, dont certains ont pu rejoindre leurs familles en province, auraient reçu l’assistance que permettent les moyens du groupe.

Il n’en reste pas moins que des milliers de gens vivent en réfugiés dans leur propre pays. Selon le CARDH, ils seraient 60 000 à avoir besoin d’assistance humanitaire à Martissant et au Bas-Delmas. Le nombre des enlèvements aussi aurait augmenté de janvier à juin : environ 231 rapts, parmi lesquels 14 ressortissants étrangers. Le centre qualifie la situation actuelle d’Haïti de « Consécration du règne de la criminalité ‘généralisée’ ».

Cette situation fait penser à la prédiction faite par Michel Soukar à la Radio Métropole. L’historien a annoncé que, dans 5 ans au maximum, si nous ne faisons pas un changement avec tous les moyens dont nous disposons, il y aura des chefs de gang dans tous les quartiers. « Quel que soit votre quartier de résidence, c’est un chef de gang qui vous donnera l’autorisation de rentrer et de sortir de chez vous », a-t-il déclaré.

Et de fait, certains de ces chefs de gang se présentent en victimes et en révolutionnaires. C’est le cas de Jimmy Cherizier, dit Barbecue, qui n’hésite pas à revendiquer les récents pillages perpétrés dans le pays. Suivi de plusieurs de ses « soldats » lourdement armés, il prononce un discours filmé en invitant la population à continuer de prendre ce qui lui revient de droit. Il dénonce aussi le fait que cette minorité qui, selon lui, prend en otage le pays, est la même qui distribue les armes afin que les quartiers populaires s’affrontent à leur avantage.

L’historien Michel Soukar ne s’est pas contenté de prédire, il a aussi pointé du doigt les membres du Gouvernement dans une autre déclaration faite à Signal FM, déclaration qui, aujourd’hui encore, est plus qu’actuelle. « Nous avons aujourd’hui un État capturé par des bandits. L’État est lui-même un ‘Etat bandit’ », déclarait-il. Pour lui, il est impensable qu’on puisse prouver que des membres du Gouvernement sont impliqués avec des bandits et que rien ne leur arrive. Parlementaires, membres de l’exécutif, aucun suivi n’a été fait et aucun d’eux n’a connu la prison, selon Michel Soukar. « Tout pays où il y a l’impunité garantie pour les grands voleurs, est un pays condamné. C’est un pays où l’État est le lieu même de la haute délinquance », assène l’écrivain.   

Le CARDH partage un peu cet avis et déclare l’administration de Jovenel Moïse responsable et complice de cette situation puisqu’elle omet ses obligations de droits humains consistant à respecter, protéger et mettre en œuvre.

Cette situation pousse certains à préférer les bandits à l’incertitude de ne pas savoir à qui ils ont affaire. C’est le cas d’une camarade de l’Université. Résident dans un quartier populaire, elle a confessé : « Je préfère encore me savoir entourée de bandits, au moins je sais à qui j’ai affaire et à quoi je dois m’attendre ». Elle déclare s’être forgé cette opinion en observant un gang de son quartier, majoritairement constitué de policiers. « Certains bandits sont parfois arrêtés dans la matinée et au cours de l’après-midi, une voiture officielle les dépose dans le quartier », déclare-t-elle, indignée.

Il ne reste plus qu’à espérer que vienne le jour où ce peuple prendra son destin en mains puisque les faits démontrent qu’il n’y a pas grand-chose à espérer des autres acteurs.

Ketsia Sara DESPEIGNES

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