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La croissance démographique en Haïti à l’heure de la globalisation

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La population haïtienne connaît au même titre que la démographie mondiale une croissance exponentielle depuis ces dernières décennies. Selon les Nations Unies, les pays en retard d’équipement connaissent collectivement une croissance démographique annuelle d’environ 2,4%, tandis que le développement économique peine à voir le jour. Faut-il donc s’inquiéter de la forte croissance démographique en Haïti ? Le sociologue haïtien Jean Claude CHÉRUBIN, professeur à l’Université Quisqueya, répond dans une interview accordée à la rédaction du journal Le Quotidien News.

La population haïtienne a plus que doublé dans les cinquante dernières années. En 1971, elle était estimée à environ 4,76 millions selon le groupe « les données mondiales », pour atteindre 11,54 millions en 2021. De plus, ce phénomène s’est accompagné d’une forte urbanisation, avec environ 57% de la population qui vit dans les grandes villes du pays, et qui croît à une vitesse de l’ordre 2,8% par an. En même temps, le pays fait face à de nombreuses crises, en particulier à une grave crise économique où le pays reste le seul PMA de son hémisphère et est en pleine récession.

Pour le sociologue Jean Claude CHÉRUBIN, professeur de sociologie politique, qui fait cours sur le thème « Mondialisation et relations internationales » à l’Université Quisqueya,  la croissance démographique ne constitue aucunement un problème pour le pays, et ce sont les mauvaises conditions économiques qui doivent être changées. « S’il faut s’inquiéter au sujet d’une croissance, ce serait surtout de celle de l’économie dont la faiblesse hypothèque l’évolution démographique. L’exemple de pays comme la Chine illustre bien notre propos. Après une politique de contrôle à la baisse, elle est passée à la faveur de son essor économique à une stratégie incitative en matière de procréation », plaide le professeur.

Selon lui, la démographie n’est plus un critère pertinent dans les réflexions autour de la pauvreté. « Depuis la critique des théories malthusiennes la démographie comme critère explicatif déterminant de la pauvreté a perdu de sa pertinence. Quoi qu’on ne puisse écarter toute corrélation entre les deux, l’important demeure la richesse produite et sa répartition équitable. À ce titre, une forte démographie peut se révéler un avantage en terme d’une meilleure dotation en facteur travail surtout si le niveau d’éducation et l’âge de la population rendent disponible des ressources humaines de qualité »,estime-t-il.

La globalisation contre le progrès en Haïti

« L’ordre mondial capitaliste », avec sa Division Internationale du Travail (DIT), a assigné aux pays comme Haïti un rôle de « de pourvoyeur de main-d’œuvre à bon marché », selon le professeur CHÉRUBIN. « L’insertion subalterne de notre pays dans l’ordre mondial capitaliste est à l’origine de notre existence de peuple », dit-il. Pour lui, cette situation est, depuis 1915, la cause de la destruction du monde rural haïtien, en favorisant « la pénétration d’un sous capitalisme industriel », ce qui a conduit à l’exode massif des paysans haïtiens.

En effet, l’émigration semble être pour plus d’un, l’unique moyen d’espérer une vie meilleure. Les paysans quittent les campagnes pour s’installer dans les villes, et l’émigration massive hors des frontières du pays touche toutes les classes et catégories sociales. « À l’heure de la globalisation, l’attrait du marché international accentué par la paupérisation inexorable des couches diverses de la population a provoqué un transfèrement de l’horizon du mieux-être ou même de la survie de l’Haïtien hors des frontières nationales », explique le sociologue.

Un phénomène global

Haïti est loin d’être la seule nation à être touchée par ces problèmes. L’urbanisation et la migration sont des phénomènes qui touchent presque toutes les régions du monde, à un niveau ou à un autre. Avec le réchauffement climatique, la migration touche les populations autant animales qu’humaines. Déjà en 2020, le monde comptait plus de 4 millions de déplacés climatiques, et le nombre augmente de jour en jour. Selon les Nations Unies, rien qu’en mai dernier, la planète a atteint « le sinistre record de plus de 100 millions de personnes dans le monde, déplacées de force ».

Avec une population mondiale qui ne fait que croître, ces phénomènes ne feront que s’accentuer. En 2011, la population mondiale avait franchi la barre des 7 milliards d’individus, et elle devrait atteindre 9,7 milliards d’ici à 2050.À ce même horizon 2050, selon les prévisions, environ 66 % de la population mondiale vivra dans des villes.

Pour le professeur Jean Claude CHÉRUBIN, Haïti est une victime collatérale d’un système qui engendre les inégalités. « Il est clair qu’Haïti comme les autres pays du Sud global subit les dommages collatéraux d’un système de prédation extrêmement inégalitaire qui saccage la planète, détruit notre écosystème et met en danger la civilisation humaine. Les États faillis ont encore plus de mal à contrôler leur territoire et assurer la satisfaction des besoins de base de leur population.  On devra cesser de penser Haïti en terme de souveraineté moderne pour assumer son statut de forme politique périphérique sous tutelle internationale. Peut-être faudra-t-il inventer un autre concept pour rendre compte de cette entité qui a dérivé vers un chaos administré pour ne pas lui demander ce qui manifestement est étranger à ses attributs réels », dit-il.

Pour lui, le pays tente de survivre en développant une économie informelle et des mécanismes de survie et de solidarité en situation précaire, cependant, sous « l’effet pervers de la mondialisation », ces mécanismes se dégradent de façon accélérée. « C’est pourquoi, dit-il, il y a un risque certain d’effondrement. On devra s’inspirer de ces stratégies élaborées tout au long de l’histoire dans la perspective d’un relèvement national ».

Selon le professeur, même si le pays est effectivement en proie à de multiples crises, les données concernant sa population et son économie sont peu fiables. Pour lui, la faiblesse de l’État empêche tout recensement ou autres données permettant de mieux planifier, et dans une telle situation, il convient de se poser les bonnes questions, les bonnes équations, afin d’éviter les mauvaises solutions. « Le recensement de la population, dit-il, est avant tout un dispositif biopolitique qui répond à des exigences de politique publique. Ce qui signifie l’existence d’une bureaucratie d’État fonctionnelle en lien à ses fonctions extractives, distributives et/ou répressives. Convenons qu’on est loin d’un tel modèle. Cessons donc de faire comme si et posons-nous les bonnes questions. Quelles perspectives pour un État failli dans cet ordre mondial en effondrement accéléré » ?

Le plus récent recensement de la population en Haïti, faut-il le souligner, date de 2003.

Clovesky André Gérald PIERRE

cloveskypierre1@gmail.com

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