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La diplomatie haïtienne est en danger : que faire dans le contexte post-Covid 19 ?

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Nul n’a besoin d’être spécialiste en évaluation de l’administration diplomatique et consulaire pour comprendre qu’Haïti souffre d’un déficit de représentation à l’extérieur. Je me rappelle encore les promesses de la diplomatie d’affaires qui ont fini par ne satisfaire principalement que l’appétit des parlementaires corrompus et des hauts fonctionnaires puissants de l’État. La diplomatie haïtienne continue d’en payer le prix fort.

Il n’est plus à démontrer que la diplomatie haïtienne est l’expression la plus achevée de l’incompétence en termes d’incapacité à répondre de manière satisfaisante à sa mission fondamentale. Par exemple, le récent article du sociologue Smith Augustin « nécessité d’une nouvelle diplomatie haïtienne en République dominicaine » en dit long sur le cas haïtiano-dominicain. Toutefois, en règle générale, ladite incompétence est à la fois morale et professionnelle. En ce sens, certains de nos représentants n’ont dans le champ diplomatique ni la capacité professionnelle ou technique ni la rigueur morale ou éthique requises.

Nombreux sont nos consuls et vice-consuls qui n’ont aucun titre universitaire et des agents consulaires sans le certificat de fin d’études secondaires. Dans de nombreux cas, ils ne parlent même pas la langue du pays de mission et ceci les empêche minimalement d’interagir tant avec les autorités locales ou centrales qu’avec les acteurs de la société civile qui interviennent sur place.

À défaut d’une réforme en profondeur, le titulaire du Ministère des Affaires Étrangères et des Cultes doit se confronter au besoin d’apporter d’importants changements de redressement de la diplomatie haïtienne. C’est du moins le point de vue de Ricarson Dorcé, chercheur assistant à l’Université Laval (Québec, Canada). En effet, le gouvernement haïtien, à travers le chancelier Dr Claude Joseph, un professeur compétent et dynamique ayant brillamment rehaussé l’image de la diplomatie haïtienne en Espagne, doit urgemment s’attaquer aux problèmes du statut intérimaire de la majorité des chefs de poste et de mission, de la rotation des agents du personnel, voire de la double nationalité de certains d’entre eux.

Nombreux sont nos représentants qui se trouvent à leur poste dans un pays étranger au-delà du temps réglementaire, soit pour plus de trois à cinq ans. Un diplomate ayant vécu trop longtemps dans un pays ne devient-il pas trop proche ou complaisant avec des acteurs de ce dernier au point d’avoir un souci amoindri de protéger les intérêts fondamentaux de son pays ? Autrement dit, un diplomate qui passe plus de cinq ans dans un pays étranger, qui possède parfois la nationalité de celui-ci, ne court-il pas le risque de devenir contre son pays un agent double ou un espion ? Pourquoi certains de nos diplomates passent toute leur carrière dans un seul pays ? Pourquoi ne pas appliquer à nos diplomates le principe conventionnel de rotation, tandis que les ambassadeurs de la France, du Canada et des États-Unis, entre autres, passent rarement plus de quatre ans en Haïti ?

Avons-nous encore des diplomates loyaux et fidèles aux intérêts nationaux ? Nos diplomates qui sont également détenteurs d’une autre nationalité, que ce soit celle du pays de mission ou d’un pays tiers, ne perdent-ils pas la légitimité d’être de dignes représentants d’Haïti ? Dans la foulée, même si les Conventions de Vienne sur les relations diplomatiques (article 8) et consulaires (article 22) permettent que, dans des conditions exceptionnelles et justifiées, un pays autorise qu’un de ses ressortissants représente chez lui un autre pays, la règle est claire : les membres du personnel diplomatique et consulaire ont, en principe, la nationalité du pays accréditant ou d’envoi.

Richenel Ostiné, spécialiste en administration et politiques de l’éducation, nous a livré ses inquiétudes dans un entretien qu’il nous avait accordé : « J’ai peur que certains de nos représentants à l’étranger ne travaillent pour le compte des services de renseignement du pays accréditaire, au détriment des intérêts d’Haïti. J’ai peur qu’ils ne transmettent de fausses informations au Président de la République d’Haïti afin d’orienter l’action de ce dernier en fonction des intérêts du pays accréditaire. J’ai peur enfin que certains de nos diplomates ne transmettent des renseignements relevant du secret d’État au service de renseignement du pays accréditaire ».

Par ailleurs, au-delà de ces inquiétudes liées à la question de la double nationalité, de l’incompétence et des conflits d’intérêts majeurs qui peuvent avoir des impacts négatifs sur notre souveraineté nationale, il faut également situer la diplomatie haïtienne dans le contexte des relations internationales post-Covid 19. La crise sanitaire et sociale que traversent actuellement les différentes sociétés aura une incidence dans les relations entre les États. Le monde ne sera pas à l’abri d’une nouvelle crise financière et géopolitique. Il y a aussi le spectre d’un souverainisme identitaire qui risque de consumer les États dans une fièvre populiste et xénophobe. Les populismes d’extrême droite et d’extrême gauche, qui connaissent un nouveau souffle depuis quelque temps, pourront connaitre leur apogée.

L’Histoire nous rappelle que le monde change toujours à la suite des grands drames de portée internationale. Ce fut notamment le cas après la pandémie de la grippe dite espagnole de 1918 suivie de la crise financière de 1929. Face à ces nouveaux enjeux internationaux, comment renouveler, en conséquence, notre personnel diplomatique et consulaire ? Souhaitons que le gouvernement haïtien opte enfin, à travers la chancellerie, pour une diplomatie nouvelle reposée sur des cadres universitaires, compétents, dynamiques et surtout sans ambiguïté patriotique.

Fritz Laventure

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