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Le BINUH et le HCDH dressent un rapport accablant sur l’extension des activités des gangs dans l’Artibonite

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La situation socio-sécuritaire ne fait que s’aggraver dans la région du Bas-Artibonite. Les groupes criminels qui y sévissent ont isolé plusieurs villes dans la région, sur le front de mer, ainsi que sur la route nationale #1. Selon un triste bilan établi par le Bureau Intégré des Nations Unies en Haïti (BINUH), plus de 1 690 personnes ont été tuées entre janvier 2022 et octobre 2023, dont 350 tuées, 226 blessées, et 1 118 personnes enlevées.

Ce ne sont pas moins de 20 groupes criminels (y compris les groupes d’autodéfense) qui sévissent aujourd’hui dans le Bas-Artibonite, s’étendant sur une centaine de kilomètres au nord de Port-au-Prince. Faisant usage d’une extrême violence, ces gangs armés ont recours à des pratiques aussi inhumaines que l’utilisation des violences sexuelles contre les femmes et les enfants, l’exécution des populations locales, et ils brûlent des personnes enlevées pour forcer les familles à passer à la caisse. C’est ce qu’a fait savoir le Bureau Intégré des nations Unies en Haïti (BINUH).

Les gangs armés sont un supplice pour les agriculteurs et leurs propriétés, « des cibles privilégiées» selon le BINUH. « Rançonnements, vols de récoltes et de bétails, destruction de canaux d’irrigation, ont contraint plus de 22 000 personnes à fuir leur village pour trouver refuge dans les centres urbains de la région », peut-on lire dans ce dernier rapport du BINUH, « la violence des groupes criminels s’étend en dehors de Port-au-Prince ».

Cette emprise sur cette partie du pays, selon le BINUH et le Haut-Commissariat des Nations Unies aux Droits de l’Homme (HCDH), « favorise assurément la circulation illicite des armes et de la drogue ». Des opérations policières menées fin 2022 et en octobre 2023 ont chassé de leur quartiers généraux plusieurs cellules de gangs, mais n’ont pas eu de résultats probants sur le long terme. Le BINUH estime que ces opérations sont une réponse « inadéquate et inconsistante »  des autorités policières et judiciaires.

Alors qu’au moins huit policiers ont été tués dans cette région entre 2022 et 2023, et que les commissariats et tribunaux ont souvent été la cible des attaques, les résultats du secteur de la justice n’ont pas été plus probants. « Au contraire, de manière symptomatique, l’un des leaders de gangs parmi les plus connus, celui de Kokorat San Ras, a été libéré illégalement en mars 2023 par l’ancien Commissaire du gouvernement des Gonaïves. Ces deux personnes sont en fuite depuis lors », rappelle le BINUH dans son rapport.

Composition et moyens opérationnels des groupes criminels

Les informations sont difficiles à trouver sur le nombre total des membres de groupes criminels. Le Service des Droits de l’Homme (SDH), s’appuyant sur des sources locales, a estimé à environ 750 leur nombre, incluant ceux associés aux groupes d’autodéfense. Composés d’une large majorité d’hommes, les gangs armés comptent également parmi eux des femmes, mais pour l’heure, aucune présence d’enfants n’a été documentée.

Question armement, certains groupes de gangs sont plus armés que d’autres, en fonction de leurs moyens. Selon le SDH, au moins cinq gangs de la région « disposent de fusils semi-automatiques de type AR 15, M1, M4, M16, T65, Galil et de pistolets qu’ils achètent grâce aux rançons des enlèvements et/ou aux détournements de marchandises », peut-on lire dans le rapport. Et pour se déplacer, les moyens varient « en fonction des groupes et de leurs cibles », mais ils se déplacent au moyen de voitures et de motocyclettes. Leurs sources de revenus sont les enlèvements contre rançons, les détournements de marchandises, les vols, les trafics illicites. Par ailleurs, « selon plusieurs analyses, les groupes criminels de l’Artibonite recevraient des appuis d’acteurs politiques et économiques extrêmement influents pour mener leurs activités ».

Les groupes d’autodéfense

Les vingt groupes criminels recensés dans la région du Bas-Artibonite ne sont pas des gangs, selon le rapport. Parmi eux, se trouvent également des groupes d’autodéfense, opposant une « réponse communautaire » aux attaques des gangs. Selon le SDH, la « coalition de Jean Denis », l’un des plus importants groupes d’autodéfense, compterait une cinquantaine d’individus. Au niveau de l’armement, ils possèdent « généralement des armes blanches (notamment des machettes et des couteaux) et quelques fusils récupérés lors des confrontations avec les gangs ».

Par ailleurs, ils contribuent, dans cette région du pays, à détourner des armes devant être livrées aux gangs locaux, généralement achetées auprès de gangs de la capitale. « Des actions récentes menées par des groupes d’autodéfense pour empêcher l’approvisionnement en armes des groupes criminels, ont permis d’exposer certains de ces réseaux », peut-on lire dans ce rapport. Pour se déplacer, la plupart des groupes d’autodéfense empruntent des chemins de traverse, à pied, car ils ne disposent pas de moyens, à l’exception de la coalition Jean Denis qui possède des motocyclettes.

Abus des droits de l’Homme

L’extrême brutalité des gangs armés entraîne la dégradation de la situation des droits de l’Homme dans le pays. Entre enlèvements, meurtres et attaques contre les villages rivaux, et autres, le bilan est lourd. Entre janvier 2022 et octobre 2023, au moins 110 attaques des gangs contre des villages rivaux « ont été documentées dans 17 localités de l’Artibonite, occasionnant la mort et des blessures à plus de 292 personnes ». D’un autre côté, sur la même période, les attaques sur les routes ont causé plus de 85 victimes, soit tuées, soit blessées. Parmi les 1 118 personnes enlevées dans le Bas-Artibonite au cours de cette période, 75% des enlèvements ont été commis au cours d’attaques contre des véhicules de transport en commun.

Les violences sexuelles sont de plus en plus commises par les gangs armés, généralement « comme une arme pour répandre la peur et punir les populations locales vivant dans des villages « rivaux ». Les conséquences psychosociales et financières de ces différents actes criminels sont désastreuses. « La peur de prendre les transports en commun pour sortir de leur village ou pour se rendre sur les marchés ainsi que les cauchemars persistants sont régulièrement cités par les victimes comme des séquelles des enlèvements. Dans certaines circonstances, ces séquelles sont si profondes qu’elles peuvent mener au suicide », lit-on dans ce rapport.

Un cas cité par le BINUH et le HCDH, celui de Darleine, 22 ans, enlevée à Liancourt en mars dernier. « En mars 2023, elle prend le bus pour se rendre à Petite Rivière de l’Artibonite. Sur le chemin, son bus est attaqué par le gang Gran Grif. Darleine est enlevée puis séquestrée plus de deux semaines. Au cours de sa captivité, elle a été battue, brûlée et violée à de multiples reprises. Quelques semaines après sa libération, n’ayant pas pu surmonter le traumatisme de son enlèvement et des violences sexuelles qu’elle avait subies, elle s’est pendue dans sa chambre ».

Recommandations

Face à cette situation, dans ce rapport, les deux instances onusiennes recommandent le « renforcement des forces de police et le déploiement le plus rapidement possible de la mission multinationale d’appui à la sécurité ». Elles considèrent aussi primordiale que le Conseil de Sécurité des Nations Unies mette à jour la liste des personnes et entités visées par des mesures de sanctions. Elles recommandent aux autorités haïtiennes de « remplir leurs obligations internationales et respecter leurs engagements en matière de droits de l’Homme ». Enfin, elles considèrent indispensable que « les acteurs internationaux, en accompagnement des autorités haïtiennes, adaptent leur mode d’assistance aux populations, dans la mesure où la violence se propage dans un milieu rural connaissant une faible présence des services de l’État ».

Clovesky André-Gérald PIERRE

cloveskypierre1@gmail.com

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