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Le Pouvoir judiciaire semble condamné à une disparition programmée, selon Camille Edouard Junior

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Depuis deux semaines, les locaux du Palais de Justice de Port-au-Prince, abritant plusieurs institutions judicaires importantes, sont occupés par un groupe de gangs armés. Ce énième affront aux plus hautes institutions publiques, apparemment, montrent combien l’État haïtien est incapable d’assumer ses responsabilités. À en croire l’ex-ministre de la Justice et de la Sécurité Publique, Camille Edouard Junior, dans les conditions actuelles, le pouvoir judiciaire n’est pas seulement menacé, mais il est aussi condamné à une disparition programmée.

Les locaux du Palais de Justice, situés sur la route du Bicentenaire ou le Boulevard Harry Truman, abritent le Tribunal de Première Instance de Port-au-Prince, un vaste ensemble comprenant le décanat du doyen, les cabinets d’instruction, les salles d’audience et les greffes, ainsi que son parquet, couramment appelé Parquet de Port-au-Prince, très connu du fait de son importance, du volume et du type de dossiers parfois ultrasensibles qu’il traite. Y sont également logés la Cour d’Appel de Port-au-Prince ainsi que son parquet, et au final le Barreau de Port-au-Prince. Ces deux dernières institutions avaient déjà été délocalisées, rappelle Me Camille Edouard Junior lors d’une interview exclusive accordée au journal Le Quotidien News, tout en soulignant que depuis un certain temps les avocats avaient réclamé la délocalisation du Palais de Justice proprement dit, pour le bon fonctionnement des tribunaux de manière générale. « En effet, rappelle-t-il, les services les plus convoités que sont les greffes et les parquets logés là-bas sont régulièrement vandalisés ».

Dans cet espace se retrouvant aujourd’hui aux mains des bandits se trouvent un volume important d’archives auprès des greffes, des cabinets d’instruction et du parquet. « Ce sont entre autres les pièces, des corps des délits, les procès-verbaux, les actes administratifs, judiciaires et extrajudiciaires », explique l’ex-ministre. Étant donné qu’il s’agit du plus grand tribunal du pays, ce sont des dossiers d’une extrême importance pour la justice dont la disparition peut entraîner des conséquences importantes pour la suite des procédures, s’inquiète l’ancien titulaire du MJSP.

Ainsi, le pouvoir judiciaire risque d’être confronté à plus grande échelle à un du problème récurrent de vandalisme et de vol de pièces ou autres documents en résultant d’enquêtes en cours. On se souvient que les cambriolages répétés des locaux dudit Palais de Justice ont rendu difficiles voire impossibles les avancées sur des enquêtes de grande importance, comme celles concernant l’assassinat du Bâtonnier Monferrier Dorval ou la mort du Président de la République feu Jovenel Moïse. Cette fois, le nombre de procédures qui risquent d’être entravées est à ce jour difficilement estimable puisque désormais la totalité des archives du bâtiment échappe au contrôle de l’appareil judiciaire. Comble de l’ironie,  les bandits se sont peut-être octroyés eux-mêmes une amnistie générale en faisant disparaître toutes les pièces judiciaires qui se trouvaient là-bas et qui pouvaient les mettre en cause face à la justice, recouvrant ainsi le statut de citoyens modèles aux casiers vierges alors qu’ils détruisent, pillent, rançonnent et assassinent.

Par ailleurs, les attaques contre les professionnels de la justice sont monnaie courante, le nombre hallucinant d’assassinats ou d’enlèvement d’avocats et de magistrats qui exercent principalement dans la juridiction de Port-au-Prince est source de grande inquiétude pour l’existence même de la justice en Haïti. La disparition des preuves, le cambriolage des tribunaux, l’assassinat des professionnels, avocats ou magistrats, les enlèvements, les intimidations et les menaces, étaient déjà de graves sources de préoccupation pour tout le secteur, comme le reconnaît le président de l’Association Nationale des Greffiers Haïtiens (ANAGH), Martin Ainé. Quant aux assaillants appartenant au gang dénommé « 5 secondes », dit-il, ces derniers revendiquent ouvertement l’attaque, prétextant répondre ainsi aux autorités judiciaires qui accordent la priorité aux prisonniers d’un autre gang afin de les libérer, au mépris des leurs. 

Selon la définition webérienne de l’État, il revient à celui-ci de détenir au nom de la nation le monopole de la violence légitime. Une telle revendication ne représente pas le droit de l’État, mais plutôt son devoir, qui est celui de mettre en œuvre la totalité de ses capacités et des moyens disponibles pour faire appliquer la loi sur tout le territoire en général et dans ces zones comme le Bicentenaire dont que contrôlent les gangs en particulier. « Aujourd’hui, déplore le professeur Camille Edouard Junior, la Présidence, la Primature, les ministères sont des coquilles vides et plus  aucune autorité n’est l’incarnation du pouvoir répressif ou coercitif de l’État nulle part. Cette dernière attaque contre le Palais de Justice a été commise pour signifier que celui-ci n’a plus la capacité d’assurer la sécurité de la population, y compris des agents de la justice ». De l’avis du professeur, « dans de telles conditions, le pouvoir judiciaire ne s’en trouve pas seulement menacé, il est tout simplement condamné à une disparition programmée ».

En effet, les conséquences  de cette occupation et prise en otage du Palais de Justice peuvent se répercuter autant sur la sécurité de la population en général que sur celle de ceux et celles qui travaillent dans ces locaux en particulier. Vu les possibles documents volés par ces malfrats, certains fonctionnaires travaillant sur des questions sensibles en matière de sécurité publique se retrouvent carrément exposés aux représailles des bandits. De plus, au moins six véhicules de police, un véhicule officiel et un autre appartenant au Corps Diplomatique sont tombés entre les mains de ce gang opérant surtout dans la 3e circonscription de Port-au-Prince. La police n’ayant publié que tardivement le numéro de ces plaques, plusieurs exactions ont déjà pu être commises entre temps et le danger que représentent ces véhicules pour la population n’est toujours pas écarté.

Face à cette situation, l’ex-ministre et professeur Camille E. Junior met en garde la jeunesse contre le sentiment de résignation qui  peut s’installer dans les esprits selon lequel tout est perdu d’avance, tout est foutu, tout est corrompu. « La situation va empirer si l’on ne veut pas consentir à des sacrifices de rupture, il faut s’armer de courage pour exiger et obtenir un changement de leadership dans le pays au niveau de toutes les institutions politiques », exhorte le professeur de droit. Le triste constat est qu’effectivement la Justice en Haïti est la principale victime dans la descente aux enfers du pays. Les dérives politiques, institutionnelles, morales et même sociales qui s’accumulent depuis des années mettent en péril l’existence même du pouvoir judiciaire dans l’État haïtien.

Daniel Toussaint

danieldavistouss@gmail.com

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