Le «roi» Pelé, légende du football, est mort
11 min readDISPARITION – Le légendaire Brésilien s’est éteint à 82 ans. Étoile, ambassadeur au sourire éternel, le « roi » du football a, au-delà de ses records, incarné une flamboyante idée du jeu.
Le football a perdu son roi. Pelé était le soleil du Brésil. Sa chaleur, sa lumière, sa force, sa joie, sa créativité. Sa légende transcende les époques. Le propre d’un artiste. Dans le musée des souvenirs, accrochés en noir et blanc ou défilant en couleurs, cohabitent le millième but inscrit en 1969 dans un stade Maracana incandescent (le match a été interrompu vingt minutes pour lui offrir un tour d’honneur après un penalty victorieux), les courses ravageuses d’un sprinter doublé d’un danseur, mariant puissance, vitesse et élégance. Les feintes et les inspirations géniales de la Coupe du monde 1970, le chef-d’œuvre de sa riche carrière. Pelé le recordman : celui des sacres en Coupe du monde (1958, 1962, 1970), du nombre (officieux) des buts marqués (1285 en 1376 matches, en comptant les matches amicaux). Si certains buts ont été reconstitués en 3D grâce à des témoignages pour tenter de remplacer l’absence d’images, les histoires ont toujours comblé les vides pour repousser la poussière du temps. Embellissant parfois la réalité, elles ont contribué à donner de la force au rêve porté par celui qui s’est éteint.
Sa santé s’était dégradée ces dernières années. Fin 2014, Pelé avait été victime d’une grave infection urinaire. Diminué, il n’avait pu assister à la cérémonie d’ouverture des JO de Rio de Janeiro en 2016. Souffrant de problèmes aux hanches, il avait ensuite été contraint de se déplacer à l’aide d’un déambulateur. Le 6 septembre 2021, le Brésilien a été opéré d’une tumeur au côlon. Depuis, lors de chaque hospitalisation de sa légende (comme le 30 novembre), le Brésil retenait son souffle, se donnait la main pour témoigner son amour, offrir un souffle, redoutant l’heure où un frisson glacial viendrait le transpercer….
Pelé, une vie en ballon. Il est devenu le « roi » un jour de 1958 sous la plume de Nelson Rodrigues. Ebloui par la prestation d’un joueur de 17 ans malingre multipliant les buts et les gestes soyeux, le journaliste et dramaturge brésilien écrivait : « Sur sa poitrine semblent s’accrocher des manteaux invisibles. Placez-le n’importe où et sa majesté dynastique éclipsera toute la cour qui l’entoure. Ce que nous appelons la royauté est avant tout un état d’esprit. Et Pelé a un avantage considérable sur les autres joueurs, le sentiment d’être roi, de la tête aux pieds. Lorsqu’il attrape le ballon et dribble un adversaire, il est comme un câlin. Il a un tel sentiment de supériorité qu’il ne fait pas de cérémonies. C’est un génie incontestable ! Pelé pourrait se tourner vers Michel-Ange, Homère ou Dante et les saluer avec une effusion intime : » Comment vas-tu, collègue ? »»
La couronne, bien portée, ne tombera jamais. Une fois sa carrière rangée, il y eut un « Pelé blanc » (Zico), un « Pélé russe » (Eduard Streltsov), un « Pelé du rugby » (Serge Blanco), une collection de « nouveaux » Pelé, quand d’autres ont pris son nom en hommage, comme Abedi Ayew, l’ancien joueur de Marseille. Preuve de la place unique occupée par la référence, ce « trésor national » qui ne pouvait pas être « exporté », comme l’avait publié dans un décret le président Janio Quadros en 1961 afin de fermer la porte aux assauts répétés du Real Madrid ou de l’AC Milan.
Pelé, le Brésilien le plus connu de tous les temps
D’origine modeste, comme Garrincha, l’enfant boiteux devenu virtuose du dribble (surnommé « la joie du peuple »), Edson Arantes do Nascimento dit « Pelé », surnom qu’il n’aimait pas (« Je trouvais que Pelé sonnait horriblement mal »), attribué durant l’enfance, se trouve vite aimanté par le football. Après avoir longtemps joué avec une chaussette bourrée de papier, il suit les traces de son père, avant-centre à la carrière fauchée par des blessures, puis figure effondrée par la défaite de la Selaçao lors du dernier match de la Coupe du monde 1950 contre l’Uruguay. Ces larmes, Pelé promet de les sécher, pour embrasser un destin hors normes, transformer le drame national en festival. Et devenir selon le M.I.T. MediaLab, laboratoire de recherches américain, le Brésilien le plus connu de tous les temps.
Pelé demeure l’emblème de la plus belle des Coupes du monde, celle disputée au Mexique en 1970, la première retransmise en couleurs
Pelé a allié la précocité (champion du monde à 17 ans), les succès, la musicalité, la longévité (retraite prise à 37 ans après n’avoir connu que deux clubs, Santos et le Cosmos New York) et la modernité offrant au jeu de basculer dans une dimension physique et technique inédites. Spectaculaire, étourdissant, insaisissable, il demeure l’emblème de la plus belle des Coupes du monde, celle disputée au Mexique en 1970, la première retransmise en couleurs, celle du premier album Panini, de l’expression totale du jeu et d’une somptueuse équipe du Brésil rayonnante dans son maillot or. Un plaisir contagieux illustré par la photo iconique du chef d’orchestre, poing levé dans les bras de Jairzinho après son but inscrit de la tête en finale. Un cliché aussi connu que celui de Mohamed Ali ayant terrassé Sonny Liston avec le célèbre « coup de poing fantôme » en 1965.
« J’ai parfois l’impression que le football a été inventé pour ce joueur magique. Pelé a été le joueur le plus complet que j’aie connu. Deux bons pieds. Magique dans les airs. Rapide. Puissant. Il mesurait seulement 1m73 mais il ressemblait à un géant sur le terrain. Un équilibre parfait et une vision de jeu incroyable », a résumé l’Anglais Bobby Charlton, capitaine des champions du monde 1966. « Pelé a été le seul footballeur qui a dépassé les limites de la logique », a suggéré Johan Cruyff. « Un artiste à mes yeux est quelqu’un qui peut éclairer une pièce sombre. Je n’ai jamais et ne trouverai jamais de différence entre la passe de Pelé à Carlos Alberto en finale de la Coupe du monde en 1970 et la poésie du jeune Rimbaud. Il y a, en chacune de ces manifestations humaines, une expression de la beauté qui nous touche et nous donne un sentiment d’éternité », a un jour dit Eric Cantona.
Pelé, un phénomène qui déplaçait les foules. De mai à juin 1959, Santos en tournée dispute vingt-deux matches dans huit pays d’Europe. En 1962 à Sheffield, 55.000 spectateurs n’ont d’yeux que pour la première superstar du football. Le Times écrit « tenter de le contenir revient à essayer de capturer un puits de lumière dans une boîte d’allumettes. À un moment donné, il semble aussi inoffensif qu’un chat qui dort. Puis, il disparaît dans l’espace à la vitesse d’un félin, passant d’un homme à l’autre pour les laisser dans un labyrinthe à la recherche du ballon. » En 1960 et 1961, il s’offre une escale en France. En 1963, le club promène sa star du Portugal aux Pays-Bas, en passant par l’Allemagne. Histoire de réduire le temps et l’espace pour les spectateurs entre deux coupes du monde. En 1969, à l’occasion d’un passage en Angleterre, le Guardian observe : « La célébrité de l’homme s’est reflétée au coup de sifflet final lorsque son corps robuste a disparu sous une vague de jeunes spectateurs qui ont surgi sur le terrain pour l’engloutir d’admiration. »
Avant l’ère du foot business, Pelé est une affaire qui rapporte
En 1973, Santos remplit les stades en Europe (Angleterre, Belgique, Allemagne, France) en Afrique (Soudan, Egypte), au Moyen Orient… Avant l’ère du foot business, Pelé est une affaire qui rapporte. Santos veut profiter de la poule aux œufs d’or avant son départ. À 35 ans, la star part à la conquête de New York et du football aux Etats-Unis, pour sortir le « soccer » de l’anonymat et tenter d’en faire une place forte. La légende raconte que pour assister à son premier match avec le Cosmos, contre Dallas à Manhattan, Robert Redford a demandé à interrompre le tournage des Hommes du président. « Tout le monde voulait lui serrer la main, prendre une photo avec lui. Dire que vous aviez fait la fête avec Pelé, c’était avoir gagné ses lettres de noblesse », dira Mick Jagger.
Preuve de son rayonnement, deux présidents américains, Bill Clinton et Barak Obama lui rendront ensuite visite au Brésil
Rockstar, Pelé a ses entrées partout à New York. Il sera également invité à la Maison Blanche. Preuve de son rayonnement, deux présidents américains, Bill Clinton et Barack Obama lui rendront ensuite visite au Brésil. Pelé, légende tout terrain. « Le meilleur de tous était Pelé, qui était un mélange de Di Stefano, Maradona, Cruyff et Leo Messi », a synthétisé Luis Cesar Menotti, le sélectionneur de l’équipe d’Argentine championne du monde 1978.
Ses gestes (tel le dribble derrière la jambe d’appui), ses feintes, ses courses folles, ses arabesques, ses envolées en ont fait un joueur en avance sur son temps. Un modèle. Une source d’inspiration. Lui qui a reçu le numéro 10 par hasard lors de la Coupe du monde 1958 en a fait un emblème porté, entre émulation et force d’attraction, de Zico à Maradona, de Rivelino à Platini, de Ronaldinho à Riquelme, de Kempes à Hagi, de Gullit à Totti, de Zidane à Messi, de Baggio à Mbappé. « Pelé est au football ce que Shakespeare est à l’anglais, il le conjugue », a un jour écrit le New York Times. Pelé l’unique symbole d’un foot qu’on voyait moins, qui s’écoutait en famille, se transmettait comme un trésor. En souvenir des moments de rêve partagés…
En force, en finesse, à toute vitesse, au ralenti ou à l’arrêt, avec ou sans ballon, danseur étoile s’appuyant sur une double accélération, du pied droit, du pied gauche, de la tête, Pelé a marqué dans toutes les positions, dessiné tous les angles. Parmi ses buts les plus célèbres figurent ceux inscrits lors du Mondial 1958. Le jeune faon signe un triplé en demi-finales de la Coupe du monde face aux Bleus de Raymond Kopa et Just Fontaine, avant d’illuminer la finale avec un doublé retentissant contre la Suède. Sur le premier but, après avoir effacé le dernier défenseur d’un jongle, il ajuste avec sang-froid le gardien de but, déroule le tapis rouge au premier sacre du Brésil.
Sigge Parling, milieu de terrain suédois mystifié, avouera : « Je ne voulais plus marquer Pelé, j’avais envie de l’applaudir. » Joao Luiz, journaliste brésilien évoquant l’impact de l’impétrant assure : « Il était la lumière au bout du tunnel. Tous les pauvres ont dit : »Ce type a réussi, je peux réussir ». Il a amené le reste du Brésil avec lui. » En multipliant les tours de magie. Florilège. En 1959 avec Santos contre Esporte Clube Juventud, après un festival de jongles permettant d’effacer deux défenseurs et le gardien de but, il pousse le ballon de la tête dans le but vide. En 1961, il signe le « gol de la placa », « le but de la plaque (commémorative) », celle qui fut posée dans les entrailles du stade Maracana en souvenir de l’action d’anthologie contre Fluminense quand, au terme d’un slalom de 60 m, il mystifie six joueurs avant de se jouer du gardien de but. Il reçoit deux standing ovations. En 1976, il signe un retourné modèle d’équilibre et de puissance avec le Cosmos New York contre Miami. Le but inscrit au 1er tour lors de la Coupe du monde 1970 peut également se glisser dans ce survol des buts d’exception. Tel un basketteur lancé vers le panier ou un footballeur américain attrapant la passe de son quarterback, Pelé contrôle de la poitrine une ouverture de Gerson, atterrit en douceur laisse le ballon rebondir avant de tromper le gardien tchécoslovaque. Lors de cette Coupe du monde, il multiplie les coups d’éclat (4 buts, 6 passes décisives ; impliqué dans 10 des 19 buts du Brésil). Et dépose une collection de gestes inoubliables, fruits d’inspirations sublimes : le lob tenté du milieu du terrain contre la Tchécoslovaquie, la tête détournée par Gordon Banks le gardien anglais (« l’arrêt du siècle »), le grand pont sans ballon face au gardien uruguayen Ladislao Mazurkiewicz avant une frappe en déséquilibre à qui il manque quelques centimètres pour franchir la ligne, la passe aveugle pour Carlos Alberto en finale. Avant le basketteur Magic Johnson, le chef d’orchestre des Los Angeles Lakers, le Brésilien venait d’inventer la passe aveugle. Médusé, le défenseur italien Tarcisio Burgnich déclara : « Avant la finale, je me disais : «Il est en chair et en os, comme moi.» J’ai ensuite compris que je m’étais trompé. »
Certains lui reprocheront de n’être jamais sorti de sa zone de confort, de ne pas avoir pris position sur les sujets de société au Brésil
Une fois les crampons rangés, Pelé devient ambassadeur pour l’ONU et l’Unesco, homme-sandwich pour de nombreuses marques, ministre des Sports, sujet de biopics, acteur (dans le film de John Huston « A nous la victoire », avec Sylvester Stallone), chanteur avec un titre sorti pour ses 80 ans »Acredita no veio » (« Écoute le vieil homme ») avec le groupe mexicain Rodrigo y Gabriela), homme sandwich, homme d’affaires (sa marque de sportswear possède des boutiques à New York, Orlando ou Miami)… Fort de cette réussite, certains lui reprocheront de n’être jamais sorti de sa zone de confort, de ne pas avoir pris position sur les sujets de société qui ont entravé le Brésil durant la dictature ou plus tard. Une neutralité, une docilité, des silences qui ont jeté une part d’ombre sur sa légende (« J’aime Pelé, cela ne m’empêche pas de le critiquer. A mes yeux, il se comportait comme un béni oui-oui, sans rien contester, remettre en question, ni juger. Une seule déclaration de Pelé aurait eu un gros impact », regrettait Paulo Cesar dans le documentaire de Netflix intitulé « Pelé »).
Son sourire éclatant, sa stature, son aura auraient pu être de précieux porte-voix mais Pelé assurait que son football était plus efficace. Et s’il savait griffer quand il s’agissait de rappeler qu’il n’y avait pas de la place pour deux sur le trône de plus grand joueur de l’histoire, le fantastique n°10 retiré à Santos depuis plusieurs années après trois mariages et sept enfants est resté jusqu’à la fin dans les limites du terrain et d’un jeu qui l’a couronné roi. Sur tous les terrains de la planète football, les matches vont, ce matin, se jouer avec des joues traversées par le sel des larmes…
Source : Le Figaro