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LÉGITIMITÉ POLITIQUE EN L’ABSENCE D’UNE CONSTITUTION

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Ce n’est pas la première fois que Haïti se retrouve au bord du chaos.  Cependant, depuis l’assassinat du Président Jovenel Moïse, cette nation s’enfonce dans un vide constitutionnel et une crise de leadership sans précédent qui ne semble guère pouvoir trouver de solution. La crise qui s’annonce concerne la fin du mandat constitutionnel de l’administration actuelle le 7 février 2022 et l’absence présumée d’un mécanisme approprié pour la remplacer.

D’un point de vue juridique, les experts haïtiens conviennent qu’il n’y a aucune disposition dans la Constitution et dans les lois haïtiennes qui traitent de la façon de remédier à ce vide présidentiel dans le contexte où il s’est produit.  L’actuel Premier Ministre, le Dr Ariel Henry, a écrit dans un tweet:

D’autres dirigeants haïtiens rejettent catégoriquement cette proposition.  Ils soutiennent que quelle que soit la légitimité du Premier Ministre Henry, elle expirera le 7 février 2022, date à laquelle la présidence du regretté président Moïse prendra fin. La Constitution d’Haïti soutient ce point de vue, affirment-ils.  Ici, il faut également rappeler une interprétation juridique concurrente de la Constitution, à savoir que le mandat du Président Jovenel aurait déjà expiré le 7 février 2021 et qu’il gouvernait contre la volonté de la Constitution d’Haïti avant son assassinat.  Cette interprétation a trouvé de nombreux adeptes, dont certains experts juridiques d’Haïti, des représentants du système judiciaire haïtien, et des experts des Facultés de droit de Harvard et de Yale aux États-Unis.

De tout ce débat, il resort que la confrontation potentielle qui se profile à l’horizon politique d’Haïti ne semble pas concerner le mandat légal puisque, quelle que soit la façon dont on interprète la Charte constitutionnelle, le droit légal de gouverner de l’administration Jovenel aurait expiré soit l’année dernière ou expirera cette année, précisément le mois prochain.  L’impasse semblerait donc plutôt celle de la légitimité politique en l’absence des droits constitutionnels.  Cette observation nous amènerait à la question suivante :De quelles autres sources la légitimité politique dériverait-t-elle ?  Comment la science politique pourrait-elle influencer le débat en Haïti pour trouver une solution à la fois fondée sur la science et acceptable pour toutes les parties prenantes concernées ?

Selon les politologues, la légitimité est le carburant qui soutient la stabilité politique.  C’est l’un des ingrédients essentiels qui expliqueraient le droit d’un régime à exister et à gouverner.  En l’absence d’une Constitution ou de lois régissant cette matière, la science politique se réfère à la légitimité en tant qu’action politique reflétant l’intérêt public.  En d’autres termes, la légitimité politique repose sur l’approbation de l’opinion publique, même si les actions peuvent s’écarter de l’intérêt individuel.

Le célèbre sociologue allemand Max Weber a proposé deux autres façons d’aborder la légitimité lorsque la forme juridique n’est pas disponible : a) la légitimité traditionnelle fondée sur les traditions et coutumes. On parle de la continuité du leadership basé sur les principes historiques et l’autorité de la tradition, et b) la légitimité charismatique fondée sur le charisme et les attributs personnels du leader.

La légitimité morale, a déclaré Mark Suchman, est un concept intrinsèquement normatif, qui se concentre sur la question de savoir si les gens doivent traiter un régime comme digne de respect et d’obéissance.  En d’autres termes, Schuman voit la légitimité en termes d’attitudes et de croyances des sujets. Bernard Williams, un célèbre philosophe anglais, a défendu une théorie de la légitimité à deux composantes : a) que les institutions assurent l’ordre et la stabilité, et b) que l’emprise sur le pouvoir ait du sens pour les citoyens.

Dans la littérature contemporaine sur la légitimité politique, en particulier la littérature qui se concentre sur les sociétés démocratiques, la légitimité ne fait jamais référence à l’idéologie ou aux besoins des dirigeants ; au lieu de cela, elle repose sur les desiderata des personnes gouvernées.  Selon John Locke, la légitimité politique n’est possible que si le gouvernement bénéficie du consentement des gouvernés, et ce consentement ne peut être rendu que par la loi de la majorité. La source ultime du pouvoir et de l’autorité d’un gouvernement est le peuple, et tous les gouvernements légitimes doivent reposer sur son consentement.

La crise de légitimité politique pour diriger le gouvernement haïtien après le 7 février 2022 n’est pas du tout une crise si l’on considère les recommandations de la science politique sur la façon de résoudre ce problème.  Qu’il n’existe aucun moyen constitutionnel de mettre en place un gouvernement légitime, cela peut être résolu en trouvant un accord consensuel entre les acteurs pour choisir un tel gouvernement. Ce gouvernement, cependant, prendrait des mesures politiques qui reflèteraient l’intérêt public. Un accord consensuel ne signifie pas nécessairement un accord total, mais plutôt un accord reflétant le choix de la majorité.  En outre, l’intérêt public est défini par rapport aux actions qui apportent la paix, la stabilité, qui sont acceptables par la majorité, et qui assurent la sécurité et augmentent le bien-être de tous les citoyens.

Le Premier Ministre Ariel Henry peut désormais détenir un pouvoir coercitif, mais il ne semble pas jouir d’un pouvoir politique légitimequi accroîtraitla confiance fondée sur la raison et la coopération volontaire.  En outre, si le Premier Ministre n’obtient pas un consensus plus large de la majorité, si la perception de sa gestion de l’État reste inchangée quant à son incapacité à assurer la sécurité et à agir dans l’intérêt public, que son manque perçu de charisme pour inspirer le peuple et apporter l’espoir à une nation en désespoir persiste, peu importent le soutien et l’approbation tacite de la communauté internationale, il serait un dirigeant illégitime.  Heureusement, de nos jours, Haïti et les pays dits amis d’Haïti connaissent très bien tous les stigmates et les conséquences négatives qu’un manque de légitimité politique peut avoir dans les affaires nationales d’Haïti.  J’espère qu’on neva pas reprendre ce chemin.

Par Prospère Charles[1], PhD


[1]Dr. Prospere Charles : Professeur à L’Université Tuskegee en Alabama, USA. Il est aussi un Prof. Chercheur à l’Université Quisqueya en Haïti, et le Présidentdu 1804 Institute à Washington, DC. USA.

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