Les enfants des rues : les sombres lendemains de la République !
4 min readLes rues de la capitale haïtienne sont aussi fragiles qu’une coquille d’œuf. Y marcher, implique rencontrer toutes sortes de choses et toutes formes de vie. Entre les immondices étalés un peu partout, l’eau des rigoles qui coule, les transports en commun, les marchands et gens ordinaires qui se débrouillent comme ils peuvent ; « le salon du peuple » héberge également nombre d’enfants vulnérables abandonnés à leur sort.
Ce phénomène qui date de plusieurs décennies devient de plus en plus incontrôlable et se manifeste particulièrement dans les plus grandes villes du pays, notamment à Port-au-Prince et au Cap-Haïtien. Après le tremblement de terre du 12 janvier 2010, le nombre d’enfants qui habitent, travaillent ou trouvent un refuge dans la rue a explosé et il est, aujourd’hui, difficile de dire avec exactitude le nombre d’enfants qui sillonnent les rues. Les services de protection de l’enfant et quelques organismes humanitaires essaient parfois de porter secours à quelques-uns d’entre eux, mais cela reste un effort vain, par faute de structures.
Constituant la catégorie la plus vulnérable du pays, les enfants des rues sont livrés à eux-mêmes et exposés à toutes sortes d’atrocités. À un âge où les enfants devraient se retrouver à l’école, certains se retrouvent dans la rue à cirer des chaussures, essuyer et laver les pare-brises des voitures ou tout simplement en train de mendier. Sans éducation, ni aucune moralité, ni logement pour beaucoup d’entre eux, ils se démènent pour survivre dans cette société en manque de repères chaque jour qui passe. Leurs droits fondamentaux sont bafoués : ils sont sous-alimentés, ne disposent pas de soins hygiéniques et sanitaires, sont stigmatisés et discriminés.
Les facteurs socio-économiques et politiques, la maltraitance peuvent, entre autres, expliquer la présence de ces enfants dans les rues. Rencontrés par la rédaction de Le Quotidien News dans les rues de Delmas 33, Michel* et Luna* sont des enfants contraints de vivre dans les rues. Ces « Kokorat » comme on les qualifie couramment, racontent avec une indignation et une fragilité perceptible dans leurs voix de jeunes adolescents leurs aventures dans la rue. Âgés de 17 et 16 ans, Michel* et Luna* travaillent durement tous les jours pour satisfaire leurs besoins primaires.
Michel* est parti habiter le quartier de Canaan, peu après le tremblement de terre de janvier 2010. Sa maison qu’il partageait avec ses parents et ses trois jeunes frères et sœurs s’est effondrée sur son père. Vivant actuellement avec sa mère qui ne peut subvenir à leurs besoins, le jeune adolescent confie qu’il a dû quitter l’école pour prendre soin de sa famille. « Je suis devenu l’homme de la maison, je ne peux pas rentrer les mains vides le soir. Ma famille compte sur moi », souligne-t-il. Michel* dit souhaiter retourner à l’école pour devenir quelqu’un de bien et posséder une belle voiture, comme celles qu’il essuie tous les jours dans les rues.
Luna* quant à elle, qui se dit être déjà une femme, n’a pour foyer que la rue. « La rue c’est ma maison, je me suis sauvée de mon ancien quartier, car “matant” me maltraitait et c’est moi qui m’occupais de tout dans la maison sans pouvoir me nourrir correctement et aller à l’école. Un jour, je suis partie et je n’y retournerai plus », a-t-elle confié au journal. Contrairement à Michel*, Luna* n’a jamais fréquenté l’école et rêve d’y aller mais ce qu’elle gagne dans la rue arrive à peine à la nourrir. « La rue ne rapporte pas beaucoup, et il y a des jours où elle ne rapporte rien. Parfois, les autres me frappent pour me prendre ce que j’ai gagné et c’est le plus fort qui remporte la bataille », soupire-t-elle.
« La rue est fragile et dangereuse. Parfois, je dors sur les galeries avec un œil ouvert. En plus, il y a beaucoup plus de garçons que de filles dans la rue et le travail est très dur. Il ne faut se fier à personne et toujours rester sur ses gardes », se plaint Luna*. « Pour l’avenir, je ne sais pas. Tout ce que je souhaite, c’est aller à l’école et ne plus mourir de faim », conclut la jeune fille qui dort à la belle étoile.
Ils sont très nombreux en Haïti : les Michel* et les Luna*. Ces deux-là ne sont qu’un échantillon des milliers d’enfants qui habitent, vivent, se blessent et meurent dans les rues. En attendant les organismes d’aide à l’enfance et que l’État prenne ses responsabilités, ces marginaux de la société deviennent souvent des adultes frustrés et mal intentionnés. L’indifférence de tout un chacun à l’égard de ces enfants, n’apporte rien de bon pour l’avenir du pays. Tout avance comme si ces derniers étaient inexistants. “Timoun jodi, granmoun demen” dit le vieil adage haïtien. Entretemps, ces enfants des rues grandissent : qu’en sera-t-il de leur avenir ?
Nom d’emprunt
Leyla Bath-Schéba Pierre Louis