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Les organisations paysannes dans les élections en Haïti

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Haïti est un pays où la paysannerie tient une place importante dans la répartition démographique. 60% de la population vit à la campagne. Les paysans et leurs organisations tiennent ainsi une place importante dans la démocratie haïtienne. Comment participent-ils aux élections ?

Dans  plusieurs pays du monde, le milieu paysan est très présent dans  la géographie électorale. En France,le milieu agricole offre d’étonnantes possibilités si l’on veut étudier son comportement électoral. Dans son article « Comment votent les paysans français ? », Joseph Klatzmann souligne que « le milieu agricole offre des possibilités incomparables pour les études de géographie électorale. Il est en effet des communes peuplées presqu’uniquement d’agriculteurs. En analysant la répartition des voix, dans ces communes, on apprend comment votent les électeurs paysans ». « On ne peut faire de même pour aucun autre groupe social, car il n’existe pas de bureaux de vote dont les électeurs soient uniquement des ouvriers ou des commerçants ou des membres des professions libérales », soutient-il.

Ces observations semblent dans une certaine mesure pouvoir convenir à Haïti. Cependant, pour Jean Michel Castor, professeur d’informatique de gestion à l’Université d’État d’Haïti, la démocratie haïtienne est relativement faible, surtout en milieu paysan, ce qui empêcherait toute étude sérieuse. Selon lui, le vote en Haïti se révèle être une marchandise, et se fait – dans la plupart des circonscriptions électorales – monnayer. « La République d’Haïti ne semble pas être prête pour des élections démocratiques. Le choix des échantillons pour une étude s’avère être difficile et c’est la presse et les candidats ayant le plus d’argent qui influencent les électeurs dans chaque circonscription », dit-il.

Quoiqu’il admette l’importance des sondages et autres études électorales, il souligne qu’en réalité, leurs résultats dépendent dans la plupart des cas des sources de financements. « Dans les grandes démocraties, là où les populations sont instruites et ont acquis une culture démocratique, les statistiques jouent un grand rôle dans un processus électoral. Elles permettent entre autres de mesurer les tendances et les intentions de vote. Cependant, ces sondages et autres études sont le plus souvent menés à l’avantage de ceux qui les financent », argue-t-il.

La paysannerie haïtienne, une « société méprisée » ?

Depuis la formation de la société haïtienne, beaucoup d’analystes considèrent que la paysannerie haïtienne a toujours été « l’en-dehors » de la société et de l’État, et a donc été rejetée. Géraldo Saint-Armand, dans son article « Partis politiques et comportement électoral des masses populaires dans les présidentielles haïtiennes de 1990 à 2011 », jette un coup d’œil sur l’histoire de ce rejet. « Ce rejet va se cristalliser d’une manière qui en fera le fondement de l’institution sociale de « la société du mépris ». Gerin, un des généraux, membre de la nouvelle classe dirigeante au lendemain de l’Indépendance, avait déclaré que même devant la loi le fils d’un paysan n’était pas l’égal du sien. Son assertion va se matérialiser à travers une société de non-droit où le social qui caractérise le lien entre les élites et les masses populaires va dresser tout un ordre ségrégatif où la majorité de la population est reléguée à l’invisibilité ou dans le fameux « pays en dehors » décrypté largement par Gérard Barthelemy ».

D’un autre côté, pour Dimitri Jean-Baptiste, étudiant finissant en Sciences politiques et relations internationales, dans la démocratie haïtienne, le vote n’est pas l’expression d’une volonté propre des paysans, les politiciens utilisent des stratégies pour manipuler les masses paysannes. « Les politiciens haïtiens utilisent certaines stratégies de manipulation de masse pour gagner les voix des paysans aux urnes. D’emblée, il faut dire que la masse paysanne ne vote pas, ses voix sont gagnées aux moyens de la ruse et du détournement de ses propres valeurs », affirme-t-il.

« Un procédé en trois étapes est généralement utilisé pour tromper les paysans et s’emparer de leurs voix. La première stratégie que les politiciens utilisent pour gagner les voix des paysans est celle de leur promettre monts et merveilles dans le milieu, le plus souvent des choses qu’ils savent pertinemment ne pas être en mesure d’accomplir. La confiscation de leurs cartes d’identification (cartes électorales) vient en second lieu. Cette pratique permet de s’accaparer des votes avant même la tenue du scrutin. Et enfin, ils détournent l’idéal de cohésion sociale (tèt ansanm) existant dans le milieu paysan pour les mettre dans une ambiance de groupe, de « konbit » électoral, en supportant collectivement un candidat qui après son élection, adressera leurs problèmes », explique l’étudiant.

Une organisation de planteurs, l’ASIDC

L’Association des Irrigants de Dory-Cavaillon (ASIDC), dans le Sud du pays, est souvent approchée par des candidats lors des élections locales. Pour Fritz Aladin, – planteur, responsable de l’organisation, mais aussi économiste de formation, professeur de sciences physiques à l’école classique, –  l’association est apolitique, mais offre souvent une tribune aux candidats qui veulent présenter leurs projets. Après avoir entendu les propositions du candidat, chacun est libre de faire son choix, mais l’organisation ne s’engage pas, et il en est l’exemple.

« Lors des dernières élections, un agronome s’était porté candidat et il a exposé par-devant nous ses projets. Nous en avions discuté et conclu que leur réalisation serait bénéfique pour notre secteur. J’ai alors alors décidé de le soutenir, mais à titre individuel », raconte-t-il. Pour lui, pas question de rester en retrait des élections, en tant que citoyen, il doit participer, la démocratie en dépend. « En dehors des élections, il ne devrait y avoir aucun autre chemin pour arriver au pouvoir », affirme-t-il.

Clovesky André-Gérald PIERRE

cloveskypierre1@gmail.com

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