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Pour un salaire minimum de 1500 gourdes. Les ouvriers n’en démordent pas, malgré la répression

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Après des semaines de manifestations ouvrières réclamant un minimum de 1500 gourdes comme salaire, le Gouvernement a officiellement proposé  685 gourdes aux ouvriers des industries tournées vers l’exportation. Jugeant la proposition insuffisante, les ouvriers rejettent d’un revers de main ce salaire et poursuivent  leur mouvement de protestation.

Combien de patrons en Haïti regrettent ce temps où les employeurs fixaient eux-mêmes les salaires ! Il aura fallu attendre la fin de l’occupation Étatsunienne d’Haïti pour voir naître la toute première loi qui fixera un salaire minimum, le 10 août 1934 (Loi du 10 août 1934 sur les conditions de travail) 1,50 gourde, le premier salaire minimum reconnu aux ouvriers haïtiens.

Le 6 octobre 2009, le journal officiel de la République, « Le Moniteur », publia une nouvelle loi fixant le salaire minimum à payer dans les établissements industriels et commerciaux à deux cents gourdes par journée de huit heures de travail. Depuis, les gouvernements haïtiens revoient ce salaire à la hausse à chaque fois que les ouvriers le réclament à coups de protestations dans les rues. C’est aujourd’hui 1500 gourdes que les ouvriers revendiquent comme salaire minimum, en plus des avantages sociaux et ils sont accompagnés dans leurs manifestations, entre autres, par de nombreux syndicats d’enseignants et d’agents de sécurité de compagnies privées.

La gratuité tue les entreprises ?

Cette bataille pour un salaire minimum décent renvoie jusqu’aux fondements théoriques de la société capitaliste et de ses entreprises. C’est en tout cas ce que semble soutenir l’économiste Djim Guerrier. Contacté par la rédaction du journal à ce sujet, l’économiste a tenu à rappeler qu’au final, les bas salaires se retrouvent être défavorables aux entreprises. Raison, selon lui, « de plus gros salaires engendrent une augmentation de la consommation des ménages, ce qui signifie techniquement davantage de ventes pour les entreprises et donc plus de profits pour ces dernières ». Ainsi, les bas salaires pour les travailleurs constitueraient une limitation de leur pouvoir d’achat, ce qui entraîne un retard de croissance pour l’économie haïtienne.

D’un autre côté, l’économiste souligne qu’en Haïti, les établissements industriels et commerciaux tournés vers l’exportation, contrairement à ceux qui desservent le marché local, ne sont pas des victimes secondaires des bas salaires. Toujours selon M. Guerrier, le profit de ces entreprises dépend presqu’uniquement des faibles coûts de production, qui peut être traduit tout simplement par les bas salaires, le travail gratuit. Selon lui, cette situation serait ce qui explique la réticence du patronat de ces industries à vouloir céder un salaire décent aux ouvriers. 685 gourdes, un pas, mais insuffisant.

« Ce nouveau salaire minimum reste un salaire de misère », défend l’économiste Guerrier. Selon lui, cette augmentation de salaire n’est en aucun cas proportionnelle à l’inflation qui frappe le pays depuis ces dernières années. « Malgré cette augmentation, le salaire minimum ne garantit toujours pas un niveau de vie où les travailleurs pourront satisfaire leurs besoins de base», a fait remarquer Djim Guerrier.

Par ailleurs, l’économiste a tenu à critiquer tout ce processus de prise décision qui, selon lui, ne fait que démontrer une fois de trop la défaillance des institutions du pays. « La dynamique de cette augmentation traduit,  dit-il, une fois de plus, la faiblesse des institutions. Le processus d’ajustement salarial est clairement défini par la loi. On ne devrait pas avoir à débattre sur le sujet, ni avoir des revendications populaires ».

La dernière raison des rois, le boulet ?

Cette semaine encore, les manifestations ouvrières ont offert en spectacle des scènes de bavures policières. Dans une note datée du 14 février 2022, le Ministère des Affaires Sociales et du Travail reconnu et s’est dit consterné par ces « incidents malheureux survenus lors des mouvements de protestation des ouvriers et ouvrières les 9 et 10 février 2022 ». Aujourd’hui, ce ne sont plus de simples « malheureux incidents » que le Gouvernement déplore, mais un mort et plusieurs blessés.

Ce mercredi 23 février 2022, un journaliste, Lazarre Maxilien, a trouvé la mort après avoir été atteint de projectiles pendant qu’il faisait un reportage sur les manifestations. Selon les manifestants, cet acte aurait été perpétré par des agents de police stationnés dans une usine sur la route de l’aéroport. C’est à travers un message publié sur son compte Twitter que le Premier Ministre, le Dr Ariel Henry, a reconnu et déploré la mort du journaliste. « Je déplore la mort du journaliste Lazzare Maxihen, survenue lors des manifestations des ouvriers, ce mercredi. Je condamne également les violences qui ont causé des blessés. Je présente mes sympathies à la famille du défunt, ainsi qu’aux autres victimes de ces actes brutaux ». Le chef du Gouvernement déplore,  condamne et présente ses sympathies, mais aucune revendication pour que justice soit rendue. Le règne de l’impunité continue ?

La dernière raison des peuples, le pavé ?

Joint au téléphone par la rédaction du journal au sujet des violences perpétrées contre les manifestants, le coordinateur général de la Centrale Nationale des Ouvriers Haïtiens (CNOHA), Dominique Saint-Eloi, y voit la main cachée de certains patrons des sociétés industrielles. Le syndicaliste a dénoncé le comportement de ces chefs d’entreprises qui, selon lui, monnaieraient certaines autorités policières, afin d’entretenir la répression brutale contre les ouvriers manifestants. Selon le syndicaliste, les différents groupes syndicaux engagés dans ces mouvements de protestation entendent porter plainte contre les policiers fautifs et contre l’État Haïtien par devant les juridictions compétentes.

« Pas de concessions en dessous des 1 500 gourdes revendiquées », scande-t-il avec vigueur et ténacité. Confiant dans le fait que l’alliance forgée par les différents groupes syndicaux devrait finir par conduire les patrons de ces entreprises, ainsi que le Gouvernement, à des concessions, les ouvriers entendent poursuivre leur mobilisation, maintient le Coordonnateur de la CNOHA.

Clovesky André-Gerald Pierre

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