Financement des gangs en Haïti : Un de l’ONU met en cause d’anciens hauts dignitaires de l’État !
6 min readLes gangs, paraît-il, sont au service de certains acteurs politiques et économiques dans le pays. Le dernier Rapport du Groupe d’Experts du Conseil de Sécurité des Nations Unies sur le dossier d’Haïti pointe du doigt l’ancien président Michel Joseph Martelly, l’homme d’affaires Reynold Deebs, l’ancien Sénateur Youri Latortue et l’ancien député Victor Profane comme étant des personnalités du secteur politique et économique qui financent les bandes armées en Haïti, soit en nature, soit en espèces.
À en croire le Groupe d’experts des Nations Unies à l’origine de ce rapport, l’influence des politiciens et de certains hommes d’affaires ne peut être contestée.
Le cas de Reynold Deeb
Le Groupe d’experts a des preuves selon lesquelles Reynold Deeb, Directeur général du Groupe Deka, un important importateur de biens de consommation, qui fait l’objet de sanctions par un État Membre, finance des membres de gangs pour protéger son entreprise et assurer le transport des marchandises qu’il importe. En 2017, M. Deeb a payé un chef de gang afin de pouvoir mener librement ses activités dans l’un des principaux ports, indique le rapport du Groupe d’experts. « Plus récemment, d’après plusieurs sources indépendantes, M. Deeb a utilisé des membres de gangs pour faire pression sur certains douaniers du port afin que ses conteneurs ne soient ni inspectés ni interceptés, ce qui lui a permis d’éviter certains droits d’importation, a-t-il poursuivi.
« M. Deeb, un affairiste »
Durant la période de septembre et décembre 2019, toutes les activités économiques ont été paralysées à travers le pays en raison du phénomène « peyi lòk». Des barricades étaient érigées un peu partout à travers les axes routiers de la capitale. La libre circulation des personnes paraissait difficile, voire impossible. Il y avait une forte demande pour les produits de première nécessité dans le pays, comme le rappelle le Conseil de Sécurité à travers le Groupe d’experts. « Affairiste, M. Deeb, profitant de la forte demande de produits alimentaires, a soudoyé des députés, qui ont ensuite payé des chefs de gangs pour que ceux-ci dispersent les manifestants pour débloquer les rues afin de permettre l’entrée de ses marchandises dans le pays », explique-t-il en soulignant pourtant que l’homme d’affaires Reynold Deeb supportait à l’époque l’opposition politique qui était à la base du mouvement « peyi lòk».
Michel Joseph Martelly
L’ancien Chef d’État d’Haïti qui a dirigé le pays entre 2011 à 2016, à savoir Michel Joseph Martelly fait partie des acteurs politiques qui financent les bandes armées en Haïti, selon le rapport. L’interprète de « Bandi legal » «s’est servi des gangs pour étendre son influence dans les quartiers afin de faire avancer son agenda politique, contribuant ainsi à entretenir un climat d’insécurité dont les effets se font encore sentir aujourd’hui », affirme le Groupe d’experts de l’ONU. «Le Groupe d’experts a reçu des informations selon lesquelles, pendant son mandat, M. Martelly a financé plusieurs gangs, tels que Base 257, Village de Dieu, Ti Bois et Grand Ravine, notamment en leur fournissant des fonds ou des armes à feu ».
À en croire le Groupe d’experts citant plusieurs sources, « M. Martelly a créé la Base 257, qui a été financée et armée au fil du temps pour empêcher les manifestations contre le pouvoir à Pétion-Ville, notamment à partir de 2014». Le Groupe d’experts précise aussi que « ce gang est régulièrement mêlé à des meurtres, des enlèvements, des vols et au trafic de drogue ». M. Martelly, d’après le Groupe d’experts, est également passé par des intermédiaires, notamment des fondations ou des membres de sa garde rapprochée, pour établir des relations et négocier avec d’autres gangs. « Ainsi, Arnel Joseph, l’ancien chef du gang de Village de Dieu, a déclaré qu’il s’entretenait régulièrement avec un intermédiaire travaillant dans l’unité de protection rapprochée de M. Martelly, ajoutant que cet intermédiaire lui donnait des armes à feu et d’importantes sommes d’argent», indique le Groupe d’experts. Il poursuit : « Dans une vidéo, Ti Lapli, l’un des chefs actuels de Grand Ravine, explique que l’ancien Président a remis à Tet Kale (ancien chef de Grand Ravine) un fusil Galil 5,56 mm appartenant à la police et un fusil de même type à Chrisla, chef du gang Ti Bois. Après l’assassinat de Tet Kale, Ti Lapli a récupéré l’arme ».
Youri Latortue et Victor Profane
Youri Latortue, ancien Président du Sénat de 2017 à 2018, exerce un contrôle considérable sur la vie politique et économique du département de l’Artibonite, notamment par le recours à des gangs, comme Raboteau, qu’il finance et arme, a révélé le Groupe d’experts précisant que M. Latortue avait financé le gang de « kokorat sans ras » un groupe extrêmement violent du département de l’Artibonite, en collusion avec Raboteau. « M. Latortue a eu recours à des gangs pour assurer sa protection rapprochée et détruire des biens », selon le Groupe d’experts.
De 2016 à 2020, Prophane Victor a été député de Petite Rivière, dans le département de l’Artibonite, une région où les niveaux de violence et de contrôle des gangs sont en augmentation, rappelle le Groupe d’experts. « Pour assurer son élection en 2016 et son contrôle sur la région, M. Victor a commencé à armer des jeunes de Petite Rivière, qui ont ensuite formé le gang Gran Grif, actuellement le plus important du département de l’Artibonite et principal responsable de violations des droits humains, y compris de violences sexuelles », selon le Groupe d’experts qui ajoute que « M. Victor a continué à soutenir Gran Grif jusqu’en 2020, date à laquelle le gang et lui se sont brouillés à la suite de promesses non tenues faites pendant la période électorale». À présent, « M. Victor soutient des gangs rivaux et des groupes d’autodéfense dans la région », a en croire le rapport qui rappelle par ailleurs que M. Victor et M. Latortue font l’objet de sanctions par le Canada.
Détournement des fonds Petrocaribe
Le Groupe d’experts a aussi mis les projecteurs sur la dilapidation des fonds Petrocaribe. « Les fonds Petrocaribe ont été détournés, perpétuant la pauvreté et l’instabilité sociale. Les pires détournements ont eu lieu pendant le mandat présidentiel de M. Martelly, de 2011 à 2016, qui a coïncidé avec le mandat de Laurent Lamothe en tant que Ministre de la planification et de la coopération extérieure et Premier Ministre, de 2012 à 2014», rappelle le Groupe d’experts précisant que M. Lamothe, l’ordonnateur principal pour le décaissement des fonds, a délivré des autorisations pour un montant total de 668,8 millions de dollars pour 149 projets. « M. Martelly et Lamothe ont été contraints de démissionner, mais pas en même temps, en raison des manifestations publiques nationales contre la corruption. En 2022 et 2023, M. Lamothe a fait l’objet de sanctions par deux États Membres, et M. Martelly, par un État Membre », peut-on lire.
Les rapports d’enquêtes officiels haïtiens
D’après le Groupe d’experts, les rapports d’enquête officiels haïtiens ont conclu que, sur le montant total de 1 738 691 909 dollars alloué aux projets, environ 92 % avaient été dépensés sur la base d’autorisations douteuses et que pratiquement aucun projet n’avait été réalisé. « Le pays s’est retrouvé dans l’impossibilité de régler ses problèmes économiques et sociaux et, en août 2023, il consacre encore 10 millions de dollars par mois au remboursement du prêt, alors qu’il voit à peine les retombées des projets eux-mêmes », déplore le Groupe d’experts.
Contacté par ce dernier, M. Lamothe a nié avoir détourné les fonds Petrocaribe. « M. Lamothe a répondu qu’il avait été blanchi de ces accusations et qu’à aucun moment il n’avait été l’ordonnateur du fonds. Il a également déclaré que « le fonds était géré par le Bureau de monétisation des programmes d’aide au développement, sous la supervision du Ministre des finances, en toute autonomie. Les fonds ont été alloués aux projets sous la direction du Président, qui préside le Conseil des ministres », a-t-il dit au Groupe d’experts.
Jackson Junior RINVIL