Kerry Norbrun, un jeune qui promet dans le système sanitaire haïtien
6 min readLa figure de proue de Care-Ry, Kerry Norbrun, se livre à cœur joie dans une interview avec Le Quotidien News sur sa passion et ses expériences dans la médecine préventive, en évoquant également les projets qu’il chérit pour rénover le système médical. « …La véritable priorité consiste à améliorer nettement la gouvernance et la gestion… », soutient le jeune médecin, en couverture de « Moun Ou Dwe Konnen ».
Kerry Norbrun est un jeune médecin originaire de Port-au-Prince, plus précisément né à Bois Patate, qui rêve de porter la blouse blanche dès son plus jeune âge. Il s’épanouit dans une fratrie de quatre enfants, dont il est l’aîné. À trois ans, un événement épouvantable survient dans sa vie quand il perd son père Vital Norbrun (décédé), tandis qu’il fait ses premiers pas sur le chemin de l’école. C’est alors que sa mère Marie Weslande Souffrant prend à elle seule les rênes de sa famille.
À Sainte Trinité, il débute son cycle fondamental avant de rejoindre l’institution Le Normalien. Mais c’est à La Jachère où il a fait son préscolaire, qu’il achève ses études primaires. Par la suite, le natif de la capitale enchaînera sept ans d’étude secondaire au Collège Canado-Haïtien. À en croire son témoignage, Kerry s’est toujours distingué en classe grâce à ses performances académiques, notamment en Sciences expérimentales.
Enfant, Kerry chérissait le rêve de devenir médecin afin de pouvoir soigner son oncle atteint d’une pathologie cardiaque. « J’étais vraiment déterminé à étudier la médecine », nous confie le jeune universitaire. Il a vu des gens perdre leurs proches, dont la plupart ont succombé à des maladies chroniques. Partant du constat qu’il y a un vrai problème de santé en Haïti, « je me suis posé la question : pourquoi ce sont toujours les mêmes ? », raconte M. Norbrun qui boucle son cursus à l’Université Notre Dame d’Haïti.
Kerry Norbrun fait de la médecine préventive son véritable fer de lance. Sur les réseaux sociaux, il se montre très actif en prodiguant ses précieux conseils aux internautes qui ne manquent pas de lui témoigner leur gratitude. « Il m’arrive de rencontrer dans les rues des gens qui me disent clairement que c’est grâce à des informations que je publie sur ma page qu’ils sont encore en vie », déclare Kerry, tête pensante de « Care-Ry », une plateforme médicale sur les réseaux sociaux. « Je me rappelle d’une dame qui avait des problèmes d’infertilité. Grâce à mes conseils, elle porte aujourd’hui un enfant. Elle m’a remercié et m’a informé que son fils portera mon prénom », raconte le jeune médecin, fier de ce qu’il entreprend sur la toile.
« J’aime traiter les sujets d’actualité. La plupart du temps, je publie sur des sujets d’obstétrique et de gynécologie, car en Haïti, il y a beaucoup plus de mythes autour des pathologies qui ont rapport avec la gynécologie », explique le blogueur, qui publie ses textes en créole afin de rendre plus accessibles ses contenus. Et d’ajouter, « j’aime surtout aider les gens à comprendre tout ce qu’ils considèrent comme mystérieux en ce qui concerne la santé ».
Kerry Norbrun ne cache pas sa fierté de voir que les Haïtiens savent qu’à travers les réseaux sociaux ils peuvent découvrir les règles de la médecine préventive, que la santé est un cadeau qu’ils ont la responsabilité de protéger. « Ce qui me tient à cœur, c’est l’amour des gens pour la page. On dirait que c’est quelque chose qu’ils attendaient », confie Kerry, qui souhaite se spécialiser en gynécologie.
Un système médical incapable de répondre aux besoins de la population
D’après Kerry Norbrun, lauréat du prix « Angajman » en 2020, le système sanitaire haïtien n’est pas en mesure de répondre aux besoins de la population. « Les conditions ne sont pas réunies pour porter secours aux malades dans les hôpitaux de la capitale, voire dans les zones reculées du pays », se désole Kerry, critiquant le faible budget alloué au domaine de la santé, qu’il juge insuffisant pour créer de meilleures conditions de travail pour les personnels de santé. « La plupart des personnels quittent le pays pour aller exercer leur métier à l’étranger, dans des conditions plus favorables »,indique-t-il.
Comment garantir le droit à la santé à une population qui vit dans la précarité ? Au médecin Kerry de répondre : « Il faut qu’on ait un budget qui vise à instaurer une couverture universelle. Seulement un tiers des naissances ont lieu dans un établissement de santé. Cela donne la mesure des efforts que les pouvoirs publics et les donateurs doivent déployer pour encourager les femmes à se rendre aux consultations prénatales et à enfanter dans un espace médicalisé », par exemple. Si l’on s’en tient à ses informations, le taux de la mortalité infantile en Haïti est trois fois supérieur à la moyenne en Amérique Latine, et les moins de cinq ans courent le risque de contracter une maladie évitable comme la diarrhée ou la pneumonie. Par conséquent, selon lui, il est impératif de partir du patient en pratiquant une gestion axée sur des résultats, c’est-à-dire d’améliorer la situation sanitaire de la population.
« Il convient d’inciter les patients à recourir aux services de santé, de revaloriser la rémunération du personnel et d’offrir à ce dernier des conditions de travail appropriées en limitant les taches autres que les soins, et pour finir, de rétablir le lien entre la population et le système régulateur (l’État) », soutient le lauréat de la catégorie « Innovation Médicale », récompensée par « JCI TOYP » en 2021. « C’est pourquoi, conclut-il, la véritable priorité consiste à améliorer nettement la gouvernance et la gestion de manière à mettre en place un dispositif efficace et à instaurer une couverture sanitaire universelle ».
Questionné sur la nécessité d’un Ordre des Médecins en Haïti, Kerry informe que le projet de loi sur la question est au Parlement depuis 2012. En Haïti, il n’existe pas encore ces trois entités que sont l’Ordre des Médecins, le Collège des Spécialités, le Conseil Universitaire des Écoles de Médecine, qui, selon le Dr Philippe Desmangles, soutiennent la formation et la prestation médicale. Et leur absence explique pourquoi la pratique de la médecine est aussi aléatoire.
« Si un médecin veut exercer à l’étranger, il doit d’abord s’inscrire dans l’Ordre de la localité où il se trouve. Hélas ! Ce n’est pas le cas chez nous. Mais pour mettre sur pied cette instance, il faut que les concepteurs aient la confiance de la communauté médicale. À défaut de laquelle, cette démarche pourrait être perçue comme une mainmise sur le corps médical…Par conséquent, je pense que pour instaurer l’Ordre il faut d’abord trouver des formules incluant la participation de tous, sans aucune exclusion », argumente Kerry Norbrun.
Grâce à ce qu’il entreprend notamment sur les réseaux sociaux, Kerry Norbrun inspire beaucoup de jeunes à travers le pays. Il les encourage à mettre à profit leur savoir-faire afin de divulguer des messages utiles au développement de la société. « L’avenir d’Haïti repose sur la jeunesse. L’éducation est la seule clé qui ouvre un grand avenir pour le pays. Autant il y a de jeunes autant il y a de clés. À chacun de poser sa pierre pour le développement de notre chère patrie », conclut le jeune médecin, qui souhaite marquer de son empreinte le système médical haïtien.
Statler LUCZAMA