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La diplomatie haïtienne éclaboussée par un scandale de corruption : l’image du pays se ternit encore plus

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L’image du pays par-devant la communauté internationale n’en finit pas d’être salie. Alors que la diplomatie haïtienne semble s’activer en vue de trouver une assistance étrangère face à la crise socio-sécuritaire, des diplomates ont été rappelés par la Chancellerie haïtienne suite à de graves soupçons de corruption à notre Ambassade à Washington.

Le 3 mai dernier, après avoir été rappelé dans le pays par le Ministère des Affaires Étrangères (MAE) pour consultations, le chef de la diplomatie haïtienne à Washington, Bocchit Edmond a été définitivement écarté de son poste de diplomate suite à de graves accusations portées contre lui et plusieurs diplomates de l’Ambassade. Ces accusations ne datent pas d’hier pourtant. Depuis 2021, une enquête avait été diligentée par la Chancellerie haïtienne, à l’époque menée par le Dr Claude Joseph. Cette enquête a fait suite au rappel, le 9 août 2021, du Conseiller et Responsable de la Section consulaire de l’Ambassade d’Haïti aux États-Unis d’Amérique (Washington), Gélorme Juste, suite à son « implication présumée dans la réception irrégulière de documents pour la fabrication de passeport », une activité frauduleuse dont les bénéfices sont énormes, selon certaines sources.

L’actuel Directeur Général de l’Unité de Lutte Contre la Corruption, selon ce que rapporte le quotidien Le Nouvelliste, a assuré que l’institution diligente une enquête depuis septembre 2021 sur cette situation dans la diplomatie haïtienne, comme le recommande la loi en la matière. De son côté, le diplomate Bocchit Edmond, jusqu’à très récemment Ambassadeur d’Haïti aux États-Unis d’Amérique, s’est dit innocent à travers une publication du 4 mai 2023 dans laquelle il affirme « n’avoir rien à voir, ni de près ni de loin, avec cette affaire » dont il dit qu’elle ne lui avait été signalée « que par voie diplomatique du Département d’État des États-Unis d’Amérique en août 2021 ». Entretemps, le diplomate semble vouloir lier à l’affaire l’ex-ministre Claude Joseph dont le principal soupçonné, Gélorme Juste serait le cousin, selon ses déclarations dans sa publication du 4 mai.

Les conclusions du MAE

Selon un rapport du MAE publié en août 2021, ces opérations frauduleuses dans la fabrication de passeports s’apparentent à « une pratique à la fois courante et banalisée » à l’Ambassade d’Haïti aux États-Unis. « L’Unité de production de passeports de l’Ambassade d’Haïti aux États-Unis ressemble à une entreprise individuelle dont le fonctionnement est largement lié à l’influence de position, au copinage et plus que tout, au pouvoir de l’argent, ouvrant ainsi la voie au trafic d’influence, chantage et essentiellement à des stratagèmes de corruption, probablement bien exploitée ou cautionnée à différents niveaux de l’Ambassade d’Haïti aux États-Unis », pouvait-on lire dans ce rapport.

Selon ce rapport, Monsieur Gélorme Juste avait « reconnu son implication » dans l’affaire, mais l’enquête a parallèlement révélé que ce dernier « n’aurait pas pu agir seul, sans la complicité d’un responsable notamment au niveau de l’Unité de production de passeports aux États-Unis ». Et c’est ainsi que le lien a été fait avec Emmanuel Content, qui à la fois propriétaire d’agences dans différents pays et Directeur technique à l’Unité de production de passeports à l’Ambassade, « tout en se présentant comme celui qui contrôle les entrées et sorties du « Système de production de passeports » », toujours selon le rapport d’enquête du MAE.

Également, M. Content aurait, à de multiples reprises, donné « constamment accès à son compte électronique à accès illimité à des tiers, dont Madame Bettina Edmond, sœur de l’Ambassadeur Bocchit Edmond et ex employée de l’Ambassade d’Haïti aux États-Unis ». Mme Edmond aurait fabriqué de nombreux passeports dont le nombre échappe aux enquêteurs du MAE, « encore moins la provenance et la destination des fonds générés ». D’un autre côté, l’ex ambassadeur Edmond était partie prenante, d’après le rapport d’enquête, dans la mise en place d’une pseudo antenne consulaire à Salisbury sans l’approbation du MAE, et cette action était en lien avec ces opérations frauduleuses.

« Cette pseudo antenne consulaire n’est autre qu’une stratégie de couverture à l’installation d’une véritable agence et une tentative de normalisation du processus de production irrégulière de passeports à l’Ambassade d’Haïti aux États-Unis, assimilable à un stratagème de corruption. Ainsi, loin d’être une antenne consulaire, elle représente de préférence l’arbre qui cache la forêt d’une pratique institutionnelle de corruption en lien à la fabrication irrégulière de passeports à l’Ambassade d’Haïti aux États-Unis, dont les pratiques de leadership sont particulièrement troublantes », lit-on dans le rapport. 

Des comportements décourageants pour les étudiants aspirants diplomates

Accusations de corruption, de détournement de fonds publics, de financement d’activités criminelles et de contribution à leur élargissement, instabilité politique, gangstérisation de la politique, assassinats et complots contre la sureté de l’État, autant de raisons aujourd’hui pour que des jeunes, parents, adultes, puissent avoir le doute avant toute entrée dans la politique haïtienne, également dans les représentations diplomatiques.

Lors d’une interview avec le journal Le Quotidien News, Soledad Francesca Edouarzin, mémorante en Relations internationales sur « la modernisation de la politique en Haïti » a déclaré ne percevoir chez les représentants de l’État haïtien « aucun plan de développement », avant d’estimer que « si toutefois il en a un, son exécution est inspirée par des pratiques de corruption ».

S’exprimant sur l’affaire de la production irrégulière de passeport à l’Ambassade haïtienne aux États-Unis, l’aspirante diplomate estime qu’il s’agit là de comportements « non-éthiques et prédateurs » de la représentation diplomatique haïtienne à Washington, et ceci « ne fait que confirmer que la corruption est l’apanage du Gouvernement actuel à travers les hautes sphères étatiques ». 

Pour Soledad Francesca Edouarzin, « l’arène politique est comme un espace imperméable qui ne permet pas d’espérer ». Toutefois, l’étudiante appelle ses pairs à ne pas cesser d’espérer, et à créer l’espoir dans le pays, car faire de la politique, servir son pays n’est pas que ce qui semble se passer aujourd’hui, mais une « action visant à réduire les inégalités sociales, permettre un accès plus large à l’éducation, etc. ». Et être diplomate, c’est contribuer à « optimiser les opportunités permettant de réduire notre statut de pays périphérique sur la scène internationale ».

Clovesky André-Gérald PIERRE

cloveskypierre1@gmail.com

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