Le bicolore haïtien!
4 min readHaïti a célébré, le 18 mai 2022, le 219e anniversaire de la création de son drapeau. Le 18 mai 1803, les généraux indigènes ont réalisé le grand congrès de l’Arcahaie qui concrétisa l’union entre les nouveaux et les anciens libres. Ce fut la création du bicolore haïtien, symbole de l’unité et de l’indépendance.
À l’issue d’une longue période passée dans la servitude et la maltraitance, les pères de la nation haïtienne (anciens esclaves pour la plupart) avaient vite compris que leur souhait de chasser les colons du territoire et de rapatrier leur humanité n’était réalisable que dans la réconciliation. Ils ont accompli le dépassement de soi, dissipé leurs différends et rompu la dépendance pour proposer à tous une alternative viable qui allait marquer l’histoire de l’humanité. La base de la liberté et des droits humains était jetée.
Loin d’être un folklore, le Congrès de l’Arcahaie a été un symbole de grand sacrifice et l’expression d’un patriotisme qui dépasse l’entendement. En plus d’être le symbole de la nation, ce drapeau est un livre ouvert. C’est une source d’inspiration inépuisable, capable de guider le peuple vers une réflexion en profondeur.
219 ans après, la nation haïtienne est en train de célébrer cette prouesse dans la honte, le désespoir, la misère, la peur et l’indifférence totale des hommes au pouvoir. Le symbolisme du bicolore est souillé. Le pacte conclu le 18 mai 1803 est rompu. Dommage, qu’après tant d’années, ce soit l’égoïsme, la cupidité et la mesquinerie qui gouvernent ce peuple courageux et résiliant. La lutte de classe et l’exclusion sociale continuent de s’exacerber.
En réalité, ce 219e anniversaire coïncide avec l’une des plus graves crises sociopolitiques que connaît ce pays. Autrefois, Haïti célébrait cette date avec faste. Les Écoles, les groupes de Scouts, les Universités, l’État haïtien, entre autres, réalisaient des activités multiformes pour entretenir la mémoire de cette date historique. Des exhibitions, des parades militaires, des fanfares avaient lieu dans toutes les rues. Les jeunes écoliers chantaient à gorge déployée l’hymne national. Le Drapeau flottait au sommet des institutions publiques et privées du pays.
Malheureusement, la nation depuis un certain temps ne montre pas le même respect pour ce symbole national. L’emblème national se trouvant dans certaines institutions de l’État est souvent déchiré. Dans certains cas, le Drapeau est tout carrément absent. De même pour certaines écoles qui fonctionnent sans drapeau ou qui ne hissent plus jamais le Bicolore dans leur enceinte.
C’est malheureux que des milliers de jeunes d’aujourd’hui ne puissent plus continuer d’aller à l’école à cause d’une situation de terreur qui s’est installée dans plusieurs zones de l’aire métropolitaine de Port-au-Prince. La guerre des gangs ne permet plus la tenue des traditionnelles activités civiques dans ces zones. De nombreux citoyens vivent avec la peur au ventre. La société est en lambeaux, et ce, à tous les niveaux. Si en 1803, l’unité nationale visait le rejet du système esclavagiste, de nos jours, cette date devrait être pour nous un catalyseur capable de nous conduire à la réconciliation. Dommage qu’on soit plongé dans une guerre fratricide à l’issue incertaine.
Pour cette année 2022, l’exécutif haïtien, acteur-clé dans la crise, a célébré cette date autour du thème : « Catherine Flon a cousu notre drapeau : recousons notre pays ». Ce thème est choisi dans un contexte où les acteurs politiques ont du mal à se mettre ensemble autour d’une seule table. Chaque acteur reste sur sa position pendant que le pays est en train de se précipiter dans l’abîme. Quel est le sens d’une telle thématique dans un contexte où tous les acteurs continuent de se méfier les uns des autres ? Que représente ce thème si aucun sacrifice n’est possible pour sauver le pays? Les généraux mulâtres et noirs avaient un objectif commun : celui de libérer Haïti du joug esclavagiste français. Ils avaient décidé de mettre de côté les intérêts de classe. Aujourd’hui, nous faisons face à une réalité en quelque sorte similaire. Comment mettre en évidence le congrès de l’Arcahaie pour rebondir ? Le colon dont nous devons nous débarrasser aujourd’hui, c’est notre ambition négative. Ensuite, il nous faut récupérer notre dignité et notre souveraineté.
À l’Arcahaie, le 18 mai 2022, le Premier Ministre haïtien, Ariel Henry, a tendu la main à tous les acteurs. Il les invite à se laisser traverser par le courant de nos héros visionnaires. Depuis plus d’une décennie déjà, on ne parle que de ce congrès pour une nouvelle réconciliation. Mais, à chaque fois, ce ne sont que des mots creux qui tombent dans l’indifférence. 219 ans déjà, le pays ne peut plus respirer. Les discours portant sur la nécessité d’un dialogue franc et sincère se multiplient. En attendant, les discussions sont sur le point d’être reprises entre le Chef du Gouvernement et ses opposants. Que peut-on attendre de cette nouvelle initiative ? Sera-t-elle un nouveau départ ou seulement du folklore pour faire passer le temps ?
Daniel SÉVÈRE
danielsevere1984@gmail.com