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Le contentieux électoral en Haïti, vu par des étudiants en Droit et en Sciences Politiques

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Si l’organisation des élections à intervalles réguliers constitue le poumon de toute société démocratique, il n’est pas moins vrai que les joutes électorales peuvent faire l’objet de contestations. C’est en ce sens que le contentieux électoral a pour but, lors d’une élection, de vérifier la régularité des processus et la validité des résultats. 

Qui n’a jamais entendu parler des contestations en Haïti lors des périodes électorales ? Les contestations tendent, la plupart du temps, à s’étendre au-delà des calendriers électoraux. Les mouvements de rue se veulent être plus forts que l’instance contentieuse en matière électorale. Raison ? Le système électoral haïtien est peu fiable vu d’une part le manque de confiance des électeurs vis-à-vis des dirigeants et du système, et d’autre part en raison des méthodes archaïques utilisées. 

Aux dernières élections, moins d’un quart de la population inscrite sur les listes électorales est passée aux urnes et il en est ressorti un président largement contesté jusqu’à son assassinat quatre ans plus tard. Pour Lucien (nom d’emprunt), étudiant en relations internationales dans une université à Port-au-Prince, l’ingérence de certains acteurs internationaux complique l’organisation des élections dans le pays, et lui enlève de sa crédibilité, ce qui conduit à la faible participation. « La population perd confiance dans l’instance électorale, les candidats ne sont pas dignes de confiance, ce qui aggrave la situation », dit-il.

« Le contentieux électoral consolide la démocratie, – laisse-t-il entendre dans une interview accordée au journal Le Quotidien News en requérant l’anonymat, – mais aussi, il aide la démocratie à perdurer.  Une société démocratique, pour durer, doit avoir de bonnes élections afin d’assurer l’alternance politique à temps régulier ».

Pour celui qui vient de boucler son cursus universitaire, « une élection sans période de contentieux électoral est une menace pour la démocratie et la stabilité d’un pays ». Un mauvais contentieux électoral risque de déboucher sur des troubles sociopolitiques catastrophiques. « Le contentieux électoral joue le plus grand rôle dans la sauvegarde d’une démocratie car il augmente la fiabilité des résultats lors des scrutins », répète-t-il.

« Le contentieux électoral en Haïti est d’une anomalie choquante »

Pour Mialove Barthelemy, elle aussi étudiante finissante en Droit, la période contentieuse tire toute son importance des divergences d’idées et d’intérêts qui risquent de créer beaucoup de tensions autour des enjeux qui sont énormes lors d’une élection. Selon elle, le contentieux électoral découle « d’un ensemble de litiges formés à partir d’irrégularités au cours de l’opération électorale. Cela inclut les irrégularités sur les listes électorales, les listes de candidats, les défauts de procédures liés à l’enregistrement des candidatures, etc. ».

« Lorsqu’on parle d’élection, on voit au premier abord un espace de conflits. Conflits d’idées et d’intérêts. Et c’est de là que l’inscription d’une période contentieuse tire son importance au cours d’un processus électoral. Elle permet que l’alternance se fasse de manière plus ou moins satisfaite, régularise les conflits d’intérêt et consolide la démocratie », argumente-t-elle.

 « Le contentieux électoral en Haïti est d’une anomalie choquante. Il ne relève ni d’un système judiciaire ordinaire, ni d’un juge administratif, encore moins d’un juge constitutionnel. Et même s’il relevait de ce dernier, ce serait encore la même chose parce qu’après 35 ans depuis l’adoption de la Constitution, la Cour Constitutionnelle n’a jamais vu le jour. Le contentieux électoral ne relève pas non plus d’un ordre juridique établi« ad hoc ». C’est le Conseil Électoral Permanent qui devrait s’en occuper. Malheureusement, on n’a toujours eu que des Conseils électoraux provisoires. Le CEP a à la fois des attributions administratives en organisant les élections qu’il doit contrôler (Art. 191), et des attributions juridictionnelles, car toutes les contestations doivent être portées par-devant lui (Art 197) », explique-t-elle.

Les bureaux de contentieux électoraux (BCEN, BCED, BCEC), c’est le Conseil Électoral qui les établit lors des lois électorales ou décrets comme celui de 2015 (Art.14).  La Constitution, elle, ne prévoit pas de tribunaux électoraux proprement dits pour ce qui concernent les litiges. Pour Mialove Barthelemy, ce n’est pas la meilleure option que de faire du CEP l’organisateur, le contrôleur et aussi le juge en matière électorale.

Selon elle, certaines dispositions du dernier décret électoral, celui de 2015, représentent un frein pour un contentieux électoral irréprochable. Parmi ces dispositions, elle rappelle l’article 105 de ce décret qui demande à l’électeur contestataire d’une candidature de résider sur le lieu ou de la déclaration de candidature le délai des  72 heures pour produire une contestation après la date de clôture de la période de déclaration des candidatures ; une caution pour les requêtes de saisine ; et les décisions du BCEN qui sont rendues en dernier recours, ainsi que ses arrêts qui ne sont pas susceptibles de recours.

D’un autre côté, selon elle, « tant que le pays n’aura pas acquis une normalité institutionnelle en installant un Conseil Électoral Permanent, les résultats seront toujours contestés. Les conseils électoraux provisoires risquent la dissolution même avant l’organisation des élections ».

C’est également le point de vue de Lucien (nom d’emprunt) qui pense que la violation systématique des lois et dispositions constitutionnelles agit sur le contentieux électoral. « Les élus, depuis le début du 21e siècle, sont presque tous contestés d’une manière ou d’une autre», dit-il. 

Pour lui, la nomination des membres du Conseil électoral se fait d’une manière telle qu’elle incite à la corruption plutôt qu’au travail citoyen. Notre interlocuteur est d’avis qu’il faut diminuer le nombre des conseillers électoraux, ainsi que leurs privilèges. De plus, le conseil électoral devrait être indépendant par rapport non seulement à l’exécutif,  mais aussi aux pressions médiatiques. 

Aujourd’hui, c’est une conjoncture beaucoup plus inquiétante qui menace la fiabilité des élections et qui pourrait très certainement faire baisser encore plus le taux de participation : la prolifération des gangs armés dans plusieurs villes du pays. Face à cette situation, il est à se demander si Haïti peut organiser des élections crédibles, avec les qualificatifs habituels (libres, honnêtes et démocratiques) dans ce contexte de crise, voire des élections tout court.

Clovesky André-Gérald Pierre

cloveskypierre1@cloveskypierre

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