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«Le gouvernement d’exception d’Ariel Henry n’a pas les leviers pour agir efficacement sur cette réalité socio-économique », selon le CARDH

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Dans son  dernier rapport intitulé « Dégradation accélérée des conditions de vie dans le contexte post-assassinat du Président Jovenel Moïse », le Centre d’analyse et de recherche en droits de l’Homme estime que le gouvernement d’Ariel Henry ne peut répondre à la crise socio-économique que traverse le pays. Entre mars 2021 et mars 2022, dit le rapport, pas moins de 200 000 personnes supplémentaires se retrouvent dans une situation d’insécurité alimentaire, faisant passer leur nombre de 4,4 à 4,6 millions.

La République d’Haïti ne cesse de battre les mauvais records dans les questions liées aux droits socio-économiques au cours de ces dernières décennies. Déjà affublé depuis belle lurette du sobriquet peu noble de « seul PMA des Amériques », le pays ne parvient pas à stopper sa chute. Entre les mauvaises bases structurelles de l’économie nationale et les catastrophes naturelles qui ne cessent d’enfoncer le clou, la population haïtienne fait aujourd’hui face à la pire crise économique de son histoire.

La crise économique et politique à laquelle le pays fait face s’est beaucoup accentuée depuis l’assassinat dans la nuit du 6 au 7 juillet 2021, du Président Jovenel Moise. Huit mois après, le pays se retrouve encore dans sa plus longue crise politique, caractérisée par une longue vacance présidentielle et parlementaire. De plus, les deux administrations provisoires qui ont succédé au défunt Président ont dû faire face un mois après, au très destructeur séisme dans la péninsule sud du pays, le 14 août dernier.

Hausse vertigineuse de l’insécurité alimentaire chronique

Les conditions matérielles d’existence de la population sont très précaires depuis maintenant plusieurs décennies. Ces cinq dernières années, le nombre de personnes se trouvant en situation d’insécurité alimentaire chronique a presque quadruplé en passant de 1,3 millions en 2017, à 4,6 millions en 2022 selon le rapport du Centre d’analyse et de Recherche en Droits de l’Homme (CARDH) en date du 9 mars 2022 se référant au chiffre de la Coordination Nationale de Sécurité Alimentaire (CNSA). D’après cette dernière, 4.6 millions d’Haïtiens seront en insécurité alimentaire en mars 2022, alors qu’en mars 2021,  4.4 millions d’Haïtiens y étaient déjà.

Pour ce qui est du carburant

Toujours selon ce rapport, la crise du carburant entre septembre et octobre 2021 a mis plusieurs secteurs de la vie nationale à genoux, causant par la même occasion des dommages considérables sur l’économie du pays. Cette crise du carburant qui a provoqué un ensemble de dysfonctionnements sociaux, a été un moment choc pour la population haïtienne. La flambée des prix de la gazoline qui a atteint plus de 1 500 gourdes par gallon sur le marché informel, a provoqué la fermeture de diverses institutions sociales telles que des écoles, hôpitaux, universités, et a nui au bon fonctionnement d’autres comme le travail, les transports, les medias…

Cette situation a des conséquences terribles également sur la sécurité publique, en causant de grands dégâts du fait des stockages illégaux et dans de mauvaises conditions des produits pétroliers. « Des incendies dans des maisons de stockage ont occasionné des décès : à Petit-Goâve, un vendeur retrouvé calciné et quatre maisons détruites le 21 septembre ; au Cap-Haïtien deux décès, dont un enfant et plusieurs maisons et 200 motocyclettes détruites, les 25 et 27 septembre ; à Debussy (Port-au-Prince) une maison détruite le 17 septembre ; à Limonade (Nord) sept maisons le 23 octobre… Ces cas évoqués sont des exemples parmi d’autres », lit-on dans ce rapport du mois de mars.

Des décisions aux conséquences désastreuses

Sous l’administration du Premier Ministre Ariel Henry et des autres signataires de « l’Accord du 11 septembre », les prix des produits pétroliers ont atteint leu pic. Le 7 décembre 2021, rappelle le rapport, le Gouvernement a pris la décision de retirer la subvention des produits pétroliers. Cette décision, dit-il, a causé une augmentation de 109% des prix à la pompe pour le diesel qui est passé de 169 gourdes à 353 gourdes, et de 116% des prix du kérosène qui est passé de 163 gourdes à 352 gourdes.

Toutefois, le CARDH reconnait dans son rapport que la subvention était très néfaste pour l’économie haïtienne. « Sur les 254 milliards de gourdes de prévisions budgétaires pour l’exercice 2020- 2021, seulement 96 milliards ont été collectés, dont 30 milliards utilisés pour subventionner le carburant. Selon les prévisions de certains économistes, la subvention des produits pétroliers pourrait atteindre entre 60 et 90 milliards de gourdes pour l’exercice 2021-2022 », lit-on dans le rapport.

Le retrait de la subvention des produits pétroliers aurait pu apporter des résultats selon le CARDH, si les plus vulnérables étaient protégés contre les conséquences de la mesure. « La décision du Gouvernement de ne pas subventionner les produits pétroliers devrait être constructive si, en tenant compte des impacts sur les plus vulnérables, il pouvait la gérer efficacement. En subventionnant le diesel, par exemple, le Gouvernement accorde de l’argent notamment aux grandes entreprises, à ceux qui possèdent des grosses cylindrées, aux Dominicains dans le transport… », soutient le CARDH.

Selon l’économiste Eddy Labossière, le retrait de la subvention aurait dû se faire progressivement en suivant trois étapes. Dans un premier lieu, l’économiste pense que le Gouvernement aurait dû rationnaliser ses choix budgétaires en supprimant les mauvaises dépenses liées aux différentes largesses de l’État envers ses hauts fonctionnaires, telles que les secondes résidences, les voitures luxueuses…Ensuite, il explique que la seconde étape devait être une « relance de la réforme fiscale, qui permettrait d’éliminer les évasions fiscales et la contrebande dans la zone frontalière et  au niveau des douanes ». Et pour la troisième étape, la mise en place d’un filet de protection sociale pour les personnes défavorisées.

Ces différentes décisions du Gouvernement, ajoutées aux autres éléments qui perturbent la vie nationale comme la montée de l’insécurité dans le pays et des actes de kidnapping, vont enfoncer le pays beaucoup plus dans sa dégradation rapide, selon les conclusions du rapport. « Le Gouvernement d’exception d’Ariel Henry n’a pas les leviers pour agir efficacement sur cette réalité socio-économique et politique complexe dont les causes sont surtout structurelles. La coopération internationale est toujours dans sa rhétorique de promesses, de conférences…depuis des décennies en Haïti », regrette le CARDH.

Clovesky André-Gérald PIERRE

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