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  Le secteur informel en Haïti

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Les faiblesses structurelles auxquelles fait face le pays n’épargnent aucunement le secteur économique. Représentant 80% de l’emploi du pays, l’activité informelle est dominante. Pour l’économiste Djim Guerrier, il faut rendre inverser la tendance, et le meilleur moyen reste « l’incitation des acteurs économiques à se régulariser ».

L’économie informelle s’étend sur l’ensemble des activités économiques qui fonctionnant en dehors des dispositions légales. Pour l’économiste Djim Guerrier, cela comporte plusieurs inconvénients. « Lorsque le marché est informel, l’État a moins de contrôle sur la production, moins de contrôle sur  la qualité hygiénique des produits, plus de difficultés à recouvrir les taxes également. Qu’on le veuille ou non, l’État est investi de cette lourde responsabilité qui consiste à veiller au bien-être de la population, et cela passe nécessairement par le contrôle  des produits.

Pour lui, fonctionner dans l’informel, c’est s’exposer à des risques, surtout en ce qui concerne le petit commerce. « La régularisation comporte un avantage aussi pour ceux qui font du commerce, car même s’ils sont dans l’informel, la plupart des vendeurs payent ce que j’appelle un frais à l’administration du marché, en tout cas pour ceux qui y sont. Il existe assurément peu de données sur cela, mais ces impositions peuvent excéder largement les taxes que percevrait l’État si ce marché était formel ; d’autant plus qu’elles peuvent être quotidiennes, hebdomadaires, mensuelles ou complètement  dépendantes des caprices des directeurs des marchés ou de celles des autres responsables », explique-t-il lors d’une interview accordée au journal Le Quotidien News.

« Autre avantage d’une économie formelle, souligne-t-il, la participation citoyenne. En ayant son petit business en règle, le commerçant sera plus confortable pour faire passer ses revendications, et ainsi faire avancer la démocratie dans le pays. Ils pourraient également, dans une moins large mesure, faire passer plus facilement leurs revendications dans les espaces de marché, c’est-à-dire leurs exigences concernant le nettoyage du marché, la sécurité, etc. »

« Il n’y a qu’un seul moyen, dit-il, dans l’état actuel des choses, qui nous permettrait de faire passer l’économie de l’informel au formel. Il s’agit de l’incitation. Il faudrait mettre sur pied toute une panoplie de politiques publiques axées sur la motivation pour pouvoir inciter à la fois les consommateurs et les producteurs à modifier leurs habitudes commerciales ».

Pour l’économiste qui est également professeur au Nouveau Secondaire, trois éléments sont nécessaires afin d’inciter les acteurs économiques à mettre en œuvre ce changement .« Il faudra d’abord leur communiquer efficacement les avantages que cela procure, ensuite offrir des avantages pour celles et ceux qui régularisent leurs activités, puis décentraliser les services d’enregistrement des petites entreprises afin d’alléger la bureaucratie qui pourrait contrecarrer la motivation ».

Faut-il régulariser les entreprises ? Des entrepreneurs répondent

Pour Sophie M. Louis dont l’entreprise « Addachakreyasyon » est spécialisée dans la production et la vente d’accessoires de beauté, la régularisation permet de répondre à des besoins vitaux de l’entreprise, et est avant tout une protection. « La régularisation de l’entreprise nous confère plusieurs avantages. D’une part, cela nous permet de garder l’exclusivité de notre marque, c’est ici une protection. D’autre part, en tant qu’entreprise, nous bénéficions d’opportunités comme celles  d’avoir des échanges avec les grandes entreprises qui ne traitent pas avec les individus, de faire du commerce international, ou encore de trouver des investisseurs, et d’avoir un compte en banque, ce qui nous ouvre l’accès aux prêts bancaires », répond celle dont l’entreprise fonctionne selon les règles.

D’un autre côté, pour Woodson J. Augustin dont l’entreprise de commercialisation de la bière Prestige démarre à peine, la régularisation n’est pas encore à l’ordre du jour ; il lui faut construire son rêve quotidiennement. « Nous aimerions légaliser notre business. Cependant, nous ne sommes pas encore au point pour le faire, nous n’avons pas encore pris la forme souhaitée. Donc nous attendrons encore un peu, quand nous parviendrons à atteindre l’objectif fixé », confie-t-il au  journal Le Quotidien News.

Toutefois, les défis sont immenses pour ceux qui fonctionnent dans l’informel. « Pour l’instant, nous faisons face à deux défis majeurs. D’une part, nous manquons de moyens financiers, et d’autre part, nous n’avons pas encore un local pour entreposer nos marchandises. Ces deux défis influencent la livraison lors des commandes. Ces situations sont également celles qui nous encouragent à entreprendre des démarches de régularisation ; nous voulons écouler beaucoup plus de produits et être reconnus sur le marché, surtout si nous voulons effectivement être distributeurs autorisés et spécialisés dans le commerce des produits de la Brasserie Nationale », explique Woodson J. Augustin.

Bien qu’il  soit obligé de surmonter de nombreux défis, le jeune entrepreneur explique que les inconvénients ne sont pas  si nombreux pour un petit business informel. « Rares sont les inconvénients pour l’instant du fait que nous fonctionnons dans l’informel, il n’y a pratiquement aucun contrôle de nos activités. Nous sommes libres de décider des prix, de la vitesse à laquelle nous évoluons, etc. Le seul inconvénient se trouve dans notre incapacité à traiter directement avec la brasserie, nous sommes obligés d’acheter nos produits chez d’autres distributeurs », dit-il.

Pour Sophie M. Louis, il n’est pas question de fonctionner dans l’informel, car la sécurité vient avant tout, quoiqu’il faille payer des taxes. « Payer des taxes ne m’effraie pas du tout. En plus d’être un devoir, les taxes sont payées en fonction de notre chiffre d’affaires. De plus, la sécurité de l’entreprise est plus ou moins garantie avec la régularisation. Nous pouvons faire appel à un avocat pour nous défendre en cas de problème, nous bénéficions de la personnalité juridique entant que personne morale », argumente-t-elle.

Pour elle, l’intérêt général doit primer, les entreprises servent d’abord au progrès social. « Passer de l’informel au formel contribuera très certainement au progrès du pays. Les taxes sur les activités économiques pourront rapporter gros à l’État qui lui, aura les moyens d’œuvrer  en faveur du bien-être général. Et enfin, il convient de dire que les activités économiques du secteur informel ne sont pas appelées à prospérer si elles ne sont pas régularisées ».

Clovesky André-Gérald PIERRE,

cloveskypierre1@gmail.com

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