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Le sondage du BRIDES : une étude scientifique qui confirme la volonté du peuple haïtien de doter le pays d’une nouvelle constitution

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Un échantillon représentatif de la population haïtienne de 14 000 personnes âgées de 18 ans et plus s’est prononcé sur la réforme constitutionnelle actuellement en cours en Haïti. À travers un sondage d’opinion publique sur la constitution haïtienne publié le 16 décembre 2020, le Bureau de recherche en informatique et en développement économique et social (BRIDES) vient d’apporter une réponse scientifique, des indications quantitatives ou statistiques de l’opinion publique haïtienne relative à l’élaboration d’une nouvelle loi mère pour le pays. Il s’agit d’une question de grande préoccupation, tant en Haïti que dans la diaspora, depuis environ deux décennies. Cette enquête est réalisée sur la base d’un sondage aréolaire, « à trois degrés d’un échantillon non pondéré de 14 000 personnes de 18 ans et plus, à raison de 100 personnes par commune », selon le sondeur qui est une institution haïtienne dotée d’une très longue expérience dans la réalisation des sondages d’opinion publique, notamment dans les périodes électorales en Haïti. Sa crédibilité et son expertise ne sont plus à démontrer.

En résumé, les résultats du sondage révèlent que 87,4 % de la population haïtienne sont d’accord à l’idée d’une nouvelle constitution, 72,3 % sont pour la suppression du poste du premier ministre, 74,2 % sont favorables à l’introduction d’un poste de Vice-Président, 75,1 % optent pour une chambre unique, 71,8 % sont pour la suppression du Sénat, 71,9 % sont d’accord pour la double nationalité haïtienne et étrangère et 58,3 % sont favorables à deux mandats présidentiels consécutifs. Les conclusions de cette enquête montrent aussi que 58,3 % de la population sont favorables à l’intégration du référendum dans la constitution, 69,4 % souhaitent placer la question de décharge administrative sous la responsabilité du CSCCA, alors que 45,5 % sont d’accord avec un cumul de fonctions de Député et Maire de la commune par une seule personne.

L’analyse des résultats de cette enquête montre que les sondés sont majoritairement des hommes, soit 64,9 % par rapport à 35,1 % de femmes. Cet écart, selon le sondeur, s’explique par le fait que ces dernières seraient moins enclines à participer aux sondages d’opinion. Avec un pourcentage de 32,7 %, les participants de la tranche d’âge de 28 à 37 ans représentent le taux de participation le plus élevé. Les participants au sondage ont répondu à des questions axées notamment sur : la possession de la Carte d’identification nationale, la participation aux élections présidentielles de 2010 et 2016, la nécessité d’une nouvelle constitution, le besoin de supprimer le poste de premier ministre, la modification du pouvoir législatif, la modification du mandat présidentiel, la tenue de référendum et l’introduction d’un poste de Gouverneur dans le pays.  

De toute évidence, cette enquête vient confirmer une préoccupation nationale relative à la nécessité de doter le pays d’une nouvelle constitution. Il s’agit sans aucun doute d’un point sur lequel la majeure partie des acteurs haïtiens se sont mis d’accord. Car, tout le monde est convaincu que la constitution actuellement en vigueur constitue une source d’instabilité qui freine le développement du pays. Même si les acteurs ne sont pas tous d’accord sur la marche à suivre pour y parvenir, il y a au moins un consensus qui se dégage sur le fait que la constitution doit être changée même si certains acteurs ne souhaitent pas que ce projet se réalise avec le Président Jovenel Moise au pouvoir. Ce qui est normal dans une démocratie, mais le dernier mot reviendra à la majorité.

Autrement dit, les réflexions autour de la réforme constitutionnelle ne datent pas d’aujourd’hui. Elles sont engagées depuis quelques années, notamment au niveau du parlement haïtien et de la société civile. Pas moins de trente propositions d’amendement de la constitution venant de différents secteurs de la vie nationale ont déjà vu le jour. Très récemment, le 29 mars 2017, la Chambre des députés a mandaté une commission dirigée par le très influent Député de Pétion-ville, Jerry Tardieu, pour élaborer une proposition d’amendement de la loi mère du pays. Cette commission a conduit des consultations tant en Haïti que dans la diaspora afin de recueillir les revendications du peuple haïtien. Nous souhaitons que les données collectées par cette commission comme tant d’autres puissent servir de base pour le Comité consultatif chargé d’élaborer le projet de la nouvelle constitution. Ce dernier a été récemment installé par le Président de la République d’Haïti, Son Excellence Jovenel Moise, sur la base d’un constat d’inapplicabilité de la constitution actuelle, partagé par tous les acteurs du pays.

Beaucoup de grandes figures haïtiennes se sont prononcées publiquement en faveur d’une nouvelle constitution. Très récemment, dans sa dernière déclaration publique avant son assassinat, le Bâtonnier de l’Ordre des avocats de Port-au-Prince, le professeur émérite du droit constitutionnel, Me Monferrier Dorval, disait et nous citons : « Le moment est propice pour changer la Constitution avec Jovenel Moise au pouvoir ou dans une transition, il faut changer la constitution avant les élections et en dehors du parlement ». Cette constitution actuelle est, selon lui, inapplicable et constitue une source d’instabilité dans le pays. Elle est, en partie, responsable de multiples crises sociopolitiques que connait le pays depuis la chute de la dictature des Duvalier. Ce constat d’inapplicabilité de la constitution de 1987 est une constante dans le discours de quasiment tous les acteurs du pays.

Faut-il souligner que Jovenel Moïse n’est pas le premier chef d’État à vouloir changer la constitution ? En octobre 2007, René Préval avait, lui aussi, constaté l’inapplicabilité de la constitution de 1987 pour les mêmes raisons déjà évoquées dans les débats et connues de tous. Lors de son investiture, le Président du comité consultatif chargé d’élaborer le projet de la nouvelle constitution, Maitre Boniface Alexandre, qui est d’ailleurs un ancien président de la République et ancien président de la Cour de cassation, a souligné et nous citons : « À la Cour de cassation, j’ai traité tous les dossiers relatifs à l’inconstitutionnalité des lois. Au palais national, toutes les difficultés que nous avions à résoudre résidaient dans la constitution de 1987 ». Jovenel Moïse est peut-être le Président qui fait preuve d’une plus grande détermination à opérer ce changement constitutionnel tant souhaité par la population haïtienne tenant compte des résultats du sondage et des préoccupations exprimées par les acteurs du pays. Les sondages d’opinion publique dans le contexte de la réforme constitutionnelle deviennent une pratique courante dans les démocraties occidentales. Ils occupent une place prépondérante dans la conduite des politiques publiques des États. On se rappelle, entre autres, les sondages d’opinion relatifs au référendum sur la réforme constitutionnelle, notamment en Espagne en 1978, sur le projet de constitution européenne en 2004, en Russie en janvier 2020 et très récemment en Algérie en novembre 2020.

De tout ce qui précède, nous pouvons en déduire que l’adoption d’une nouvelle constitution devient une nécessité absolue pour la population haïtienne. Les résultats du sondage apportent une réponse scientifique qui mesure l’opinion publique haïtienne sur le processus du changement constitutionnel en cours. Selon l’actuel Président haïtien, l’aboutissement d’un tel projet permettra notamment de préserver les acquis démocratiques et les aspirations au développement durable du peuple haïtien, de renforcer les mécanismes de l’État de droit, de rationaliser et de préciser la nature du régime politique, de réaffirmer et de consolider le caractère démocratique et républicain de l’État, de prendre en compte l’évolution du contexte institutionnel, politique, économique, social et culturel du pays. Plus d’un se demande si le problème du pays résulte effectivement d’une carence législative ou tout simplement d’un problème d’application des lois existantes. De toute façon, nul ne peut ignorer le fait que notre constitution a fait son temps et qu’elle ne reflète plus la réalité actuelle du pays. En conséquence, elle doit être changée. C’est ce que réclame la majorité de la population haïtienne.

Wisnique Panier

Doctorant en communication publique à l’Université Laval (Québec)

Courriel : panicky2004@yahoo.fr

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