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Le vol de bétail dans le Nord: les paysans aux abois, les autorités en mauvaise posture

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Ça fait des lustres que le secteur agricole en Haïti est en berne. Suivant les  constats, l’élevage, sous le coup du vol récurrent de bétail, devient le sous-secteur le plus brutalement frappé par cette calamiteuse situation. En termes simples, l’absence de politique agricole solide et le phénomène d’insécurité généralisée seraient les principales causes de cette détresse qui étreint le cœur des dignes paysans. Hélas! Malgré tout, les autorités (locales et  centrales) s’immergent encore dans un je-m’en-fichisme cynique vis-à-vis les pratiquants d’élevage dans leur extrême affliction. Peut-être, dirait-on, l’agriculture ne se révèle toujours pas une priorité des décideurs politiques.

En effet, si généralement, pour convaincre les paysans au moment de la campagne électorale,  l’agriculture constitue le maître-mot des discours des candidats, il ne lui suffit qu’une tierce pour s’effacer dans la mémoire et le vocabulaire des élus. Malheureusement, faute d’une habile maïeutique de la mémoire populaire pour juguler les promesses électoralistes, ça persiste et conduit à la mort lente des paysans comme des pachydermes blessés à la nécropole des éléphants. Dans l’ensemble, sans encadrement et  sans secours, les éleveurs des dix (10) départements  géographiques sont en train de vivre de plein fouet l’épreuve du calvaire. Ce terme est, dans ce contexte, utilisé pour avoir le mérite d’être mieux approprié pour décrire la pénible situation de ceux dont l’élevage est la principale activité. Ainsi, faut-il le reconnaître, le département du Nord, se basant sur: les cris d’alarmes des paysans/éleveurs, des dénonciations publiques de leur part, leurs témoignages suivis du résultat de l’observation de la réalité, fait incontestablement partie des départements comptant le plus grand nombre de victimes du phénomène de vol de bétail dans le pays.

À propos, il est légitime de se demander pourquoi le vol de bétail devient si récurrent ces derniers temps? Comment les paysans/éleveurs vivent-ils ce désastre? Qui sont responsables de ce fléau? Que font les autorités pour remédier à cette insupportable situation? Les paysans/éleveurs du département du Nord se trouvent dans la ligne de mire de cette réflexion. Par leurs témoignages et des dénonciations joints aux constats, les faits seront appréciés pour ce qu’ils valent. C’est, à juste titre, un échantillon valable reflétant, sur ce point, la réalité de tous les paysans/éleveurs haïtiens.

Jean-Jacques Rousseau, dans son œuvre  » Emile ou de l’Education », présente l’agriculture comme le premier métier de l’homme. Pour lui, c’est le plus honnête, le plus utile, et par

Conséquent, le plus noble métier à exercer. Par telle opinion, il faut admettre que  l’auteur est traversé par deux (2) sentiments: d’une part, il voudrait injecter dans les veines de chaque individu un désir intense de pratiquer l’agriculture; et, d’autre part, il entend provoquer la fierté des agriculteurs aguerris et pétris dans l’art de cultiver. Par contre, pour l’instant, en Haïti, cette fierté semble s’évanouir comme des scènes de comédie sur lesquelles le rideau tombe. Cette noblesse est remplacée par l’ignominie et le labeur corvéabilisé.

Au fait, l’agriculture est une activité économique portant sur un double champ: la culture et l’élevage. De là, naît le concept « Economie agricole »  se rapportant au secteur d’activité dont la fonction est de produire un revenu financier à partir de l’exploitation de la terre (culture), de la forêt(sylviculture), de la mer, des lacs et des rivières(aquaculture, pêche), de l’animal sauvage (chasse) et de l’animal de ferme (élevage de bétail).  Il est à préciser, ici, que le bétail est un terme collectif désignant l’ensemble des bêtes  d’élevage, hormis celles de basse-cour et d’aquaculture.

Au sein d’une ferme, le bétail forme le troupeau, et constitue, du coup,  le fond du cheptel de celle-ci. Alors, on en  distingue deux (2) catégories: 1) le gros bétail, à savoir: bovin, cheval,  mulet, âne.  2) le petit bétail tel: mouton, chèvre, porc, ect. Cette symétrie est loin d’être le fruit d’un simple hasard. Elle est plutôt liée au fait que les sociétés primitives fondées  sur le mode de subsistance « chasseur-cueilleur » ont dû passer, plus tard, à la phase de subsistance reposant sur la culture et  l’élevage (la domestication) en imposant le nomadisme dans un but de gestion, par catégorisation, des ressources végétales  et animales naturelles. A cet effet, la domestication a permis et permet toujours aux sociétés traditionnelles et modernes de sélectionner les animaux les plus favorables à l’élevage. C’est, à juste appréciation, une noble activité au sens qu’elle s’avère économiquement rentable, socialement utilitaire et surtout une véritable contribution à la souveraineté alimentaire. Bizarrement, quoique l’incontestable importance de l’élevage dans la vie des paysans haïtiens, le vol a littéralement chamboulé son exploitation sous les regards des autorités établies.

En clair, le vol n’est pas un nouveau terme de la littérature juridique. Depuis les temps immémoriaux, il s’inscrivait dans l’ordre  des faits nuisibles, préjudiciables et réprimables. Moralement, il est de la grande famille des vices et légalement, celle des infractions. En un mot, le vol a été toujours un fait punissable, alors même que les sanctions y relatives varient selon l’époque et  le pays (régime juridique) en question. Dans l’histoire du droit pénal,  le passage de la « justice privée » (vengeance personnelle) à la « justice institutionnelle » (justice rendue par des tribunaux) permet de reconsidérer plus raisonnablement les mécanismes de fixation et d’infliction des peines afférentes aux différentes infractions. Dans la justice institutionnelle, les tribunaux rendent leur décision au nom de la République et à la lumière de la loi. Ce principe supporte l’idée du contrat social qui, au sens de Rousseau, pour garantir l’intérêt général,  consiste en l’organisation de la société sur un pacte garantissant l’égalité et la liberté entre tous les citoyens. Dans ce pacte social, chacun renonce à une bonne partie de sa liberté naturelle pour gagner une liberté civile administrée par des représentants du souverain (le peuple). C’est là  le principal fondement de la notion d’autorité. Le peuple désigne ses représentants pour administrer ses ressources en son nom, pour son compte et dans son intérêt. Cela se fait au moyen des institutions et, à la lumière des règles établies. Ces règles fixent les principes des jeux et condamnent, le cas échéant, les faits répréhensibles comme « le vol » dans ce cas d’espèce.

Dans la législation haïtienne, le vol est bel et bien qualifié comme une infraction pénale. Les articles 324 à  333 du code pénal (mis à jour et  annoté/ Patrick Pierre-Louis) prévoient les différentes sanctions  applicables au vol selon sa nature et  les circonstances dans lesquelles il a lieu.

Cependant, en ce qui concerne le vol de bétails des paysans du département du Nord, ces articles restent et demeurent de simples  phrases formant des paragraphes qu’il fait beau de lire. Contre toute attente, ils ne sont utilisés, par ceux à qui la charge incombe, ni  pour  prévenir ni  pour  réprimer. Ce comportement suspect des autorités (locales et  centrales) s’apparente à une sorte de complicité presque indiscutable. D’ailleurs, pour certaines victimes comme  Salnave, Anthony, Ton Jean, la plus grave erreur qu’elles  pourraient  commettre, c’est  d’aller dénoncer  ou  de porter  plainte contre  les voleurs. Selon elles,  en agissant ainsi, elles croient s’exposer  au danger de la mort ou du « maronage », tel  est le  cas de certains de leurs collègues éleveurs par le passé. Elles affirment que les voleurs sont partout, et d’ailleurs il est de principe  que: entre  collègues (voleurs) naît un devoir de solidarité. Ils ne se trahiront point.  Ils sont  là  où l’on imaginerait jamais; et,  tant que ces voleurs  ne sont  pas à leur juste place (la prison) on n’aura ni justice  ni  paix. Voilà pourquoi, pensent-elles, que leur calvaire ne cesse pas encore.

Par-dessus de tout, il faut  reconnaître que l’élevage joue un rôle très important dans l’économie haïtienne.  Cela est important pour un bon nombre de la population, en particulier, les familles paysannes œuvrant dans cette branche d’activité qui leur fournit de l’argent pour payer  l’écolage de leurs enfants, pour faire l’achat des semences destinées à l’agriculture et pour répondre à d’autres obligations de la vie sociales.

Selon le dernier recensement du Ministère d’Agriculture des Ressources Naturelles et du Développement Rural (MARNDR) en 2009, on estime que le cheptel national s’élève à 4, 661,448 têtes d’animaux.

La répartition est ainsi faite : caprin local (créole), avec 2, 091,620 têtes, soit 44,9% ; bovin, avec 1, 103,532 têtes, soit 23,7% ; porcins, avec 1, 093,749 têtes, soit 23,5% ; ovin avec 359,181 têtes, soit 7,7% et caprin amélioré avec 13,366 têtes, soit 0,3%. Les volailles s’estiment à 4, 000,000 de têtes. L’élevage  constitue  une  part  importante  (près  de  27%)  des  activités  de production  des  agriculteurs  haïtiens  (donc  7  %  du  PIB).  Il  constitue  une  trésorerie  pour  les  dépenses courantes  et  un  capital  biologique  pour  les  investissements importants  dans ce domaine. Aujourd’hui, 11 ans après, la situation  permet de douter fort de la progression  de ces chiffres  déjà  jugés  peu en raison de l’importance    démographique et culturelle de la population. A cela on  n’oserait même  pas  penser à une stagnation  sinon une régression  considérable dans les activités  dudit  secteur. Outre les problèmes  structurels liés à  l’absence de politique publique  en matière  d’agriculture, les catastrophes  naturelles, le vol  de bétail est le  principal  frein aux efforts des paysans/éleveurs haïtiens.

La situation  des paysans/éleveurs haïtiens est intolérable.  Ils en ont marre. Les autorités ( locales / centrales), chacune en ce qui la concerne, doivent œuvrer pour freiner ce fléau.  Les autorités  locales ( les Maires, les membres des  CASEC, les membres des ASEC) ont leur rôle à jouer dans la résolution  de ce problème. Vous avez un mandat et une mission, celle de servir.  Arrêtez de vous  faire passer pour  complice, conscient ou inconsciemment, soit  par commission  ou par omission. Défendez la population  par tous les moyens qui  vous sont disponibles, quand vous n’en avez plus, inventez-en. Arrêtez de vous plaindre comme des simples citoyens.

Quant aux autorités  centrales, du Président  aux policiers en passant  par le Ministre de la Justice et de la Sécurité Publique et, des Commissaires du Gouvernement, un peu de  gêne. Ouvrez vos cœurs et vos oreilles, les paysans/éleveurs haïtiens, notamment, ceux  du département  du Nord, vous demandent  une  chance. Les paysans du Nord sont aux abois.

Luxonne RENELUS

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