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Les médias haïtiens face à leur responsabilité de quatrième pouvoir

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Au plus haut niveau de la politique, les multiples crises et scandales de toutes sortes fragilisent constamment les institutions républicaines et démocratiques haïtiennes. Si les trois pouvoirs de l’État n’assument guère leur responsabilité, les medias en tant que contre-pouvoir, ont quand même leur rôle à jouer dans l’instauration d’un système véritablement démocratique, en insistant sur la transparence, l’éthique et la moralisation de la politique.

Dès le début de l’ère de la communication de masse, les médias ont constitué dans les régimes dits démocratiques, un pouvoir d’influence important vis-à-vis des trois pouvoirs politiques de l’État que sont l’exécutif, le législatif et le judicaire. Haïti qui tente depuis près de quatre décennies de s’engager sur  la voie de la démocratisation et de la libéralisation a opté pour faire des médias le quatrième pouvoir. « Le rôle d’un média est crucial dans une société démocratique », explique Godson Lubrun, Président de l’Association Nationale des Médias en Ligne ANML. « Il est au centre pour contrebalancer les actions de ceux qui détiennent les vrais pouvoirs constitués ».

Cependant, les multiples crises et scandales politiques qui ternissent la réputation des trois grands pouvoirs de l’État haïtien n’ont cessé d’éclabousser celui de la presse haïtienne également. Le patron de media, Jacques Sampeur, président de l’Association Nationale des Médias Haïtien (ANMH) plaide en faveur d’une presse fiable et morale qui dénonce les faits scandaleux : « Je pense que c’est le rôle basique de la presse. Les medias doivent dénoncer, informer la population, relater ce qui se passe, alarmer même parfois ».

« Quand on parle de quatrième pouvoir, en fait, c’est symbolique, parce que nous n’avons pas effectivement la capacité de prendre des décisions », reconnaît M. Sampeur tout en insistant par ailleurs sur la nécessaire crédibilité de l’information relayée par la presse.  « Il faut aussi des médias qui soient professionnels, qui informent, qui dénoncent sans ajouter du vinaigre, du piment comme on dit, à l’information, ni quoi que ce soit, parce que cela entache votre crédibilité », prévient cette icône de la presse libre haïtienne.

De son côté, le spécialiste en management de médias Godson Lubrun pense qu’il incombe à tous les médias d’assumer leurs responsabilités sociales, c’est-à-dire préserver à la fois leur objectivité et leur indépendance pour servir le pays.

 Le PDG de Radio Antilles Internationale rappelle que tout media reconnu par l’État a l’obligation, selon la loi sur les télécommunications, de fournir à l’État un pourcentage de temps ou d’espace minimum pour la promotion d’activités relevant directement de l’État, sur la santé, le civisme, etc. Parallèlement, l’État peut aussi, sur la base de contrats, obtenir plus d’espaces de publicité ou de passage à l’antenne. Mais, prévient M. Sampeur, « Cela doit se faire sur tous les médias, car si l’État place ses publicités uniquement dans certains médias c’est plutôt un avantage qu’il accorde à ces derniers, ce qui n’est pratiquement pas équilibré ».

Insistant dans le même sens, le communicateur Lubrun affirme que « les mêmes règles de finance publique existent pour tous les médias concurrents et la publicité accordée ne devrait pas être le prix de la ligne éditoriale du média en question ».

Par rapport à la promotion de l’activité gouvernementale, les médias haïtiens ont également un rôle et une responsabilité vis-à-vis de la population. En effet, ces derniers sont un contre-pouvoir de façon générale, affirme M. Sampeur qui connaît bien le métier de l’antenne. Cependant, il croit tout de même que la presse est et doit demeurer libre dans un gouvernement démocratique.

 « Même dans les démocraties, il existe certains organes de presse, certains médias ponctuels qui font de la propagande pro-gouvernementale, et d’autres qui prennent une posture de média de l’opposition », reconnaît l’animateur de Radio Antilles. « Mais il faut  de la probité pour dire que vous êtes une presse ponctuelle pro-gouvernementale ou de l’opposition. Il ne faut pas tricher, il faut le dire carrément, même si vous êtes un organe de presse privé »,affirme   Jacques Sampeur.

Approfondissant le sujet, le responsable de l’ANML juge que : « Promouvoir un programme effectif du gouvernement n’est pas mauvais, mais aider un gouvernement improductif et corrompu à faire de la propagande par votre organe de presse est condamnable ». « Par éthique, si le produit à vendre est faux, on ne le vend pas », insiste-t-il.

C’est malheureusement l’inverse qui se produit parfois en Haïti où la presse généraliste, c’est-à-dire qui n’est ni pro-gouvernementale ni de l’opposition mais théoriquement neutre, donne plus de temps ou d’espace d’expression à l’opposition justement. Du fait qu’il n’existe pas vraiment de presse de l’opposition à strictement parler, tandis que l’État possède ses propres organes, télévision, radios etc., les médias privés ont tendance à privilégier ceux qui se réclament de l’opposition, quoique l’équilibre et la neutralité de la presse haïtienne s’en trouve fortement touchée. « J’enjoindrais plutôt les propriétaires de médias à faire l’équilibre en ayant l’objectivité comme boussole »,  confie M. Lubrun.

Cependant, face au phénomène de l’insécurité et particulièrement à la montée en puissance de chefs de gangs devenus tristement célèbres, les médias haïtiens ont aussi un important travail, compte tenu de leur capacité d’influence. « Les bandits doivent tout bonnement être censurés des espaces médiatiques », pense le communicateur.

Une proposition toutefois nuancée à travers l’expérience du président de l’ANMH Jacques Sampeur qui, lui aussi, croit qu’un média sérieux ne devrait pas accorder la parole aux bandits mais qui voit derrière ce phénomène la peur, suscitée par la faiblesse de l’État face à l’action de ces chefs qui dans les quartiers populaires font la loi et s’octroient le droit de vie et de mort sur les populations.

« J’ai dit au Premier Ministre lors d’une rencontre que si l’État donnait le signal clair qu’il veut vraiment se débarrasser des bandits et instaurer un climat de sécurité dans le pays, automatiquement plus aucune presse n’accorderait la parole  aux bandits », confie M. Sampeur, avant d’ajouter  que «c’est le rôle de l’État de colmater, d’endiguer et d’enrayer le phénomène de l’insécurité, d’établir un État de droit apte à protéger la population, sa vie et ses biens. Si l’État n’arrive pas à jouer son rôle, alors il y a des dérives un peu partout ».

De fait, le quatrième pouvoir en Haïti n’est pas épargné par la crise multidimensionnelle que connait le pays. Néanmoins, selon l’avis des leaders de la presse, les medias ont encore ce rôle et cette responsabilité d’influencer positivement la vie sociale et politique. Face à l’insécurité, aux crises politiques, aux scandales de corruption, aux crimes d’État et à diverses autres immoralités dans la vie publique, le défi de la construction d’une société démocratique est jeté à la presse en première ligne de cette bataille pour la moralisation de la politique haïtienne. La liberté de la presse est l’un des plus importants acquis démocratiques du pays, garanti par la Constitution depuis 1987.

Daniel Toussaint

danieldavistouss@gmail.com

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