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 À la découverte de Rolando Etienne, invité d’honneur au Festival Quatre chemins

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« Aux jeunes qui  se démènent sur les planches quotidiennement, je dis bon combat», déclare Rolando Etienne, comédien et metteur en scène de haut rang, en s’adressant aux néophytes du métier de la scène. Parce qu’en effet faire du théâtre en Haïti dans ces conditions incongrues, n’est pas donné à tous. Ceux, peu nombreux,  qui  réussissent ont dû trimbaler leur croix, et ce pendant de longues années. Fort de ses trente ans de carrière dans les couloirs dramatiques, l’invité d’honneur de la 19e édition du Festival Quatre chemins a raison de leur prodiguer ses encouragements.

Sur scène, Rolando Etienne fait corps avec ses textes. Ses répliques, il ne les dit pas comme le font certains, aussi magistralement qu’ils le peuvent.  Non. Il les incarne comme rares le font. Ce qui assaisonne ses pièces d’un goût hors du commun. Très connu dans le milieu, Rolando a fait sa première apparition dans le domaine du théâtre sous la direction de Jean Kelly Damis, directeur de la compagnie nationale de théâtre et de la CHAD (Compagnie haïtienne d’art dramatique), en 1995.

 « J’ai été fasciné par sa vision et sa conception du théâtre moderne, sa grande culture générale et son envie de pouvoir construire quelque chose à partir de quasiment rien », se souvient M. Etienne, âgé de vingt-trois ans à l’époque quand il a rencontré le professeur d’art dramatique à l’Ecole Nationale des Arts (ENARTS), qui lui a inculqué les bases du métier. En effet, « le discours qu’il a insufflé aux jeunes, les cours qu’il a dispensés, les mises en scène qu’il a réalisées, poursuit le comédien, ont été pour moi un catalyseur qui m’a poussé vers  les planches et qui a déterminé ma carrière dans ce domaine ».

Le metteur en scène de la pièce « Avenue sans issue », Rolando Etienne, dit s’inspirer « des conditions humaines, des grands drames de la vie sociale, de nos problèmes existentiels tels que la migration, le pouvoir dans tous  ses aspects, que ce soit économiques, politiques, sociaux, intellectuels, religieux, ou de l’exclusion sociale, entre autres ».

En fait, « Dans mes créations, explique l’artiste, je pars du principe que j’habite un lieu, que je vis dans un univers, donc les problèmes qui le préoccupent doivent aussi me préoccuper ». En ce sens, la création de son art relève de son engagement citoyen. En témoignent ses propos. « Il faut qu’il y ait une étroite relation entre l’art et le vécu quotidien d’ici et de maintenant », dit-il d’un air persuasif, ajoutant avec conviction que ses principaux choix de création doivent pouvoir éveiller en lui des sentiments d’artiste et d’homme engagé pour le changement du pays.

Une enfance fragilisée par la dictature

Né le 26 octobre 1973 à Port-au-Prince, plus précisément dans la banlieue de Martissant, Rolando Etienne dit avoir vécu une enfance très peu épanouie dans le sous-quartier Crepsac-Sauray situé à Martissant 23. Ce qui est une évidence pour un enfant du quartier, vu le contexte socio-politique d’alors, marqué par la dictature des Duvalier, l’instabilité post-dictatoriale et le retour à l’ordre constitutionnel en 1994.

 « Très jeune j’ai vu les atrocités, les barbaries des tontons macoutes, des attachés contre les gens des quartiers populaires. Le goût du sang des pauvres  assassinés pour leurs convictions me remplit encore la bouche », se remémore tristement M. Etienne. Un chapitre de sa vie marqué  notamment par la violence, le manque de loisirs, le manque d’accès aux services sociaux de base.

Toutefois, en dépit de ce climat très tendu, il a pu s’asseoir sur les bancs de l’école. Dans une école catholique à Fontamara, « Les mains ouvertes », qui facilitait la scolarisation des enfants issus de familles modestes du quartier, il a fait ses études primaires. Puis il a poursuivi son parcours secondaire dans trois écoles différentes, dont le Collège Mixte Lamartinière, et le Lycée Toussaint Louverture. Juste avant de se lancer dans le théâtre, il avait entamé des études en Sciences Juridiques à la Faculté de Droit et des Sciences Économiques de Port-au-Prince.

Quelques réalisations

Le comédien natif de Martissant, passionné de lecture et du sport, crée en 1990 avec quelques amis de Fontamara l’Association socio-culturelle « Etoile Filante », qui donnera naissance quatre ans plus tard à la bibliothèque du même nom. À ce sujet, Rolando Etienne, qui, rappelons-le, a reçu une formation en biblio-technique, témoigne que celle-ci a marqué un tournant important dans sa vie. « […] Elle m’a mis en contact avec les livres, les auteurs, les artistes tirés des grands journaux francophones et les intellectuels de ce pays », affirme-t-il.

En 2002, il s’est lancé dans une nouvelle aventure de metteur en scène de la Troupe Dram’art. Mais avant cela, il a dû prendre part à deux ateliers de théâtre à l’Institut Français d’Haïti, sous les directions successives d’Yves Lachapelle et d’Antoine Peugeot. Il a fallu ensuite dispenser quelques cours de théâtre et former des acteurs, avant de réaliser sa première mise en scène professionnelle en 2004, lors de la deuxième édition du Festival Quatre chemins.

L’homme de la scène déclare que sa participation dans le projet Dram’Art a été l’une de ses plus grandes réalisations. Car, « grâce à la formation de la Troupe Dram’Art, j’ai pu atteindre des objectifs que je me suis fixés dans ma vie d’artiste », enchérit M. Etienne, répondant aux questions de Le Quotidien News. Un bilan gracieux pour le metteur en scène qui a réalisé pas moins de douze mises en scène avec la troupe, qui a contribué à la formation de plusieurs promotions de jeunes dans quasiment tous les domaines du théâtre ; un parcours qui lui a valu une reconnaissance quasi unanime sur le plan national, dit-il, et des   séjours fructueux dans de prestigieux centres de résidence et de formation, notamment en France et en Belgique. Par ailleurs, il a remporté le prix Caraïbe en Création, en 2008, pour son adaptation de « Bleu de l’Ile », de l’autrice  Evelyne Trouillot.

Si l’interprète de « Bolotcho » dans « Le suicide de la mort » de Bonel Auguste, a su gravir les échelons dans le domaine du théâtre, le manque d’encadrement  ne le laisse pas indifférent, toutefois. « Ma plus grande déception dans ce secteur c’est de voir qu’en dépit des multiples efforts consentis par les acteurs, les directeurs de troupe, il y a toujours une rareté de mécénat, regrette Rolando Etienne, qui se plait à regarder des matches de foot quasiment tous les week-ends ». « Depuis mes débuts jusqu’à aujourd’hui, il n’y a que la FOKAL et quelques rares institutions internationales qui soutiennent la création littéraire et culturelle en Haïti », souligne le régisseur de la pièce « Ton Beau Capitaine » de Simon Schwartz-Bart, déplorant du même coup l’absence flagrante de l’État dans le milieu culturel.

En outre, Rolando Etienne, qui a énormément contribué à la promotion de l’art dramatique en Haïti, se réjouit de pouvoir assister à l’émancipation de nombreux auteurs qui enrichissent la dramaturgie haïtienne. Il constate qu’il est beaucoup plus facile de faire du théâtre de nos jours, car les textes sont de plus en plus disponibles. « Nos auteurs sont partout sur les listes des nominés pour des différents prix francophones. Citons la parution cette année de la nouvelle dramaturgie haïtienne dans laquelle douze pièces de théâtre sont publiées dans une édition en deux volumes. À ce niveau-là, il est plus facile de faire du théâtre aujourd’hui en Haïti », se félicite le comédien, constatant avec joie la création de nouvelles écoles de théâtre qui augmentent le nombre de comédiens et de metteurs en scène dans le milieu théâtral haïtien.

Dix-huit ans après sa première mise en scène au Festival Quatre chemins, Rolando Etienne, baron de la scène, y revient cette année comme invité d’honneur. Pour l’occasion, il promet des spectacles d’enfer. Il n’est que d’attendre la 19e édition qui s’articulera autour du thème « sou Lanmè », prévue du 21 novembre au 3 décembre 2022.

Statler LUCZAMA

Luczstadler96@gmail.com

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