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Quand l’université s’invite dans l’arrière-pays oublié

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Un coup de fil de Coimbra, au Portugal, de mon ami Lemarec Destin, sur le point de visiter, à titre de touriste, la plus ancienne université d’Europe, vient me rappeler de pareilles satisfactions que j’avais éprouvées au même endroit en 2018. Toutefois, cet instant de bonheur partagé fut de courte durée quand, à rebours, ma pensée escalada le temps, pour découvrir que le premier campus du Portugal fut fondé en 1290 et que celui de Coimbra, que les voyageurs admirent aujourd’hui, fut érigé en 1537. Ce qui signifie que ces fieffés marins, qui nous avaient mis dans les chaînes après le génocide des premiers habitants de l’Amérique, étaient des gens instruits, sans foi ni loi, loin d’être des forbans ignares, comme le cinéma veut nous les montrer.

            Notre conversation se déroula sur le plan bien arrêté de ces élites européennes cultivées qui ne s’embarrassaient d’aucun scrupule pour s’enrichir dans la création du Nouveau Monde. Si nos ancêtres n’avaient pas trouvé la faille, dans leur funeste stratégie de prospéritépharaonique, pour les bloquer dans leur marche triomphante, nous serions aujourd’hui encore dans les fers, à danser comme des animaux de cirque, ignorants et bêtes. En conséquence, nous avons doublement raison de sanctifier nos héros.

            Malgré tout, chez nous, en 1825, certains pseudos héritiers, « péteurs de tête » de leur état, reniant leurs racines négroïdes, se prenant pour des Caucasiens, en se trompant d’histoire et de paternité, avaient joué avec l’idée de refermer leurs cousins dans l’enclos colonial, en commençant par éliminer toutes les maisons d’enseignement du pays, à part une ou deux, restées dans la capitale1. Ce fut une décision cynique, dont la nation pâtit jusqu’à aujourd’hui. La maîtrise de la langue du patron était un atout qui conférait tous les privilèges à un petit groupe. Pour les autres, c’était le mépris assuré, la raillerie et le confinement dans l’ignorance abjecte.

            Toutefois, sous la pression de quelques humanistes, des écoles ont été érigées très tard dans les grandes cités. Mais, étant donné la précarité de certaines familles, des étudiants étaient confrontés à la difficulté de laisser leur patelin pour aller fréquenter une maison d’enseignement loin de leur campagne natale. Pour remédier à cette carence, ISTEAH, une université en ligne, par la magie de l’internet, vient frapper à la porte de ces chaumières à la découverte des savants, que feu Leslie Manigat croyait voir crever d’ennuis dans les clairières de l’arrière-pays.

            En effet, lors de la présentation virtuelle des bénéficiaires de bourses au public, le mardi 14 mai, il nous a fait chaud au cœur de visualiser sur le petit écran les nouveaux inscrits réunis par grappe dans leur localité respective. Plus de 70 boursiers ont été admis, provenant de 8 départements et de 20 communes de l’île, ainsi répartis :

1 — Grand-Sud (Aquin, Camp-Perrin, Cayes, Îles-à-Vaches, Saint-Louis-du-Sud)

2 — Artibonite (St-Marc, Gonaïves)

3 — Nord (Cap-Haïtien, Milot, Plaine-du-Nord)

4 — Grand-Anse (Beaumont, Corail, Dame-Marie, Jérémie)

5 — Centre (Hinche, Thomonde)

6 — Nord-Est (Ouanaminthe)

7 — Sud-Est (Jacmel)

8 — Ouest (Port-au-Prince, Tabarre)

            De 1290, date de la naissance de la plus ancienne université d’Europe, à 2024 en Haïti, un océan d’érudition a pu couler sciemment sous les ponts sans imbiber l’esprit de certains déshérités. Comment ne pas s’installer dans la corruption, le désordre, l’injustice et l’instabilité, quand l’ignorance s’est faite litière dans la tête de ces rescapés, ces laissés pour compte, lorsque par miracle, ils accèdent au pouvoir. Selon les mots d’Aimé Césaire, ils ont déjà été, «gavés de mensonges et gonflés de pestilence» par l’Europe colonisatrice, qui leur « inculqué savamment la peur, le complexe d’infériorité, le tremblement, l’agenouillement, le désespoir, le larbinisme».

Voilà, ISTEAH a saisi l’opportunité de délester, une fois pour toutes, l’arrière-pays de l’inégalité sociale qui l’étrangle depuis des lustres. Car, c’est dans les livres qu’on trouvera le chemin de la rédemption pour Haïti et non dans la privation. L’éducation est le seul instrument qui peut corriger les erreurs du passé.

Max Dorismond

–NOTE—

1 — Les deux écoles laissées dans la capitale en 1825 ne furent pas un acte généreux. Ce furent deux écoles secondaires (un lycée et une école pour fille). Il n’y a pas eu d’école primaire, car les enfants de l’élite étaient dotés de précepteurs privés pour les études à la maison. Peut-on rentrer au secondaire sans son primaire? Tout était calculé à dessein pour enfermer la masse dans l’ignorance crasse et la garder loin du pouvoir.

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