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Relations haïtiano-dominicaines : la résultante de nombreux contentieux historiques

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La République d’Haïti et la République Dominicaine sont deux États partageant l’Ile d’Hispaniola. Les histoires des deux peuples se recoupent à de nombreuses reprises, le colonialisme, l’esclavage, les Traités de Ryswick, de Bâle, les événements de 1822 et 1844, ou encore les occupations américaines en sont des exemples. Au cours de ces siècles d’histoire, deux pays sont nés, développant entre eux des rapports sur fond d’inégalité. Pour le Professeur Ismaël P. Volcymus, l’économie dominicaine aurait régressé sans les Haïtiens.

« Par leur trajectoire historique, les deux nations voisines sont appelées à évoluer différemment », estime le Professeur Ismaël P. Volcymus lors d’une interview accordée au journal Le Quotidien News. Les événements ayant conduit à l’indépendance d’Haïti sont très différents de ceux des Dominicains. Alors qu’Haïti a dû tout détruire pour pousser les colons vers la sortie, la République Dominicaine a eu droit à une indépendance sans grande lutte, en s’affranchissant du protectorat haïtien en 1844. Pour le professeur et géographe, « cette situation est une singularité dans la région, la République Dominicaine » est « le seul État ayant acquis son indépendance auprès d’un autre État caribéen ».

Après l’indépendance haïtienne, le professeur relève deux événements qui ont fracturé Haïti, et qui ont causé son déséquilibre. « Suite à deux événements, l’un d’ordre socio-politique, à savoir l’assassinat de l’Empereur Jacques 1er en 1806, ainsi que l’instauration d’un régime qui a accaparé le pouvoir en générant une fracture sociale immense. L’autre événement est d’ordre économique, en devant faire face à la double dette, le pays a connu un déséquilibre aggravé plus tard par l’occupation américaine et ses conséquences ».

Les occupations américaines comme facteur déterminant des différences haïtiano-dominicaines

Aujourd’hui, les relations haïtiano-dominicaines, pour paraphraser le Professeur Sandy R. Larose, se présentent sous la forme d’un rapport ambigu, « singeant un type de relations nord-sud », avec la République Dominicaine qui se définit comme étant un pays du Nord face à Haïti considérée comme un pays du sud. Pour le professeur Volcymus, c’est le résultat de vieux contentieux historiques entre les États-Unis d’Amérique et l’État d’Haïti, exprimés lors de l’occupation de 1915.

« Avec les occupations étasuniennes de la République d’Haïti et de la République Dominicaine, respectivement en 1915 et en 1916, des fonctions différentes ont été attribuées aux deux pays. À la République Dominicaine, il a été attribué une fonction de développement, avec la mobilisation de quelques équipements, donnant l’apparence du développement, tandis qu’à Haïti, il a été systématiquement demandé d’inciter la main-d’œuvre à partir vers d’autres pays de la région, pour y travailler comme ‘’braceros’’ dans les ‘’batey’’ », explique le Professeur. « La population haïtienne s’est appauvrie. Les conditions ont été créées pour que les jeunes soient obligés de partir », dit-il.

La migration des travailleurs haïtiens vers la République Dominicaine a été l’une des œuvres majeurs de l’occupation, et jusqu’à aujourd’hui, elle demeure l’un des plus grands défis à relever dans le cadre de la coopération entre les deux pays. Des migrants haïtiens en République Dominicaine sont maltraités, et déportés dans de conditions infrahumaines vers Haïti depuis de nombreuses années. Cependant, le géographe estime que les travailleurs haïtiens maintiennent en équilibre l’économie dominicaine, et que la chasse contre les migrants haïtiens ne sert qu’à leurrer l’opinion publique, et à renforcer l’image des relations de supériorité. « Sans les Haïtiens, l’économie dominicaine aurait régressé. La chasse contre les Haïtiens en République Dominicaine ne sert qu’à les leurrer et de les distraire des véritables enjeux », dit-il.

Selon M. Volcymus, le peuple dominicain ne vit pas non plus dans l’opulence, les richesses y sont également mal distribuées, et les conditions de vie des masses n’y sont pas exemplaires. « Le peuple dominicain souffre également, la majorité de la population dominicaine vit dans des conditions difficiles, dans la misère. C’est l’oligarchie, les dealers qui vivent dans l’opulence et qui jouent le rôle de satellites pour la communauté internationale. Ils ont certes plus d’équipements, mais ce n’est aucunement un pays plus égalitaire que Haïti », explique le Professeur Ismaël P. Volcymus.

Selon lui, Haïti doit trouver elle-même la voie afin de mieux gérer son espace et produire de la richesse qui sera par la suite équitablement redistribuée. Pour lui, la coopération internationale et l’aide ne profitent pas à Haïti, et les solutions aux différentes crises doivent provenir des Haïtiens eux-mêmes. Toutefois, le Professeur tient à préciser qu’aucun régime de droit ne pourra, en l’état actuel des choses, apporter une solution durable aux problèmes du pays, celle-ci doit « nécessairement passer par un régime progressiste, soucieux des intérêts du peuple haïtien, et des valeurs haïtiennes ».

Clovesky André-Gérald PIERRE

cloveskypierre1@gmail.com

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