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Anne-Marie Coriolan, une humaniste dans le corps et dans l’âme !

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Femme pleine de vie et d’énergie, Anne-Marie Coriolan est une féministe et militante engagée dans la lutte pour le respect des droits humains et pour une société fondée sur la justice et l’équité. Femme déterminée et optimiste, elle est l’une des fondatrices de SOFA (Solidarite FanmA yisyèn). La société haïtienne lui doit bien des réalisations dans le domaine du développement humain, des centres d’alphabétisations et de conscientisation à la citoyenneté.

Dotée d’une sensibilité qu’elle ne manque pas de faire ressortir dans chaque action posée, Anne-Marie Coriolan s’est donnée sans aucune réserve dans la lutte pour les causes qu’elle estime justes et urgentes. Née en 1956, elle a fait des études en sciences économiques et en linguistique. Anne-Marie, selon le témoignage de ses proches, même toute jeune, a toujours été prête à servir et à aider les nécessiteux. Cependant, c’est vers la fin des années 70, alors que la dictature battait son plein, qu’elle a commencé à s’affirmer et à s’investir pleinement dans les actions d’aide communautaires. Elle passait la plupart de son temps à observer le mode de vie des hommes et des femmes, par rapport à leurs positions sociales et leurs niveaux éducatifs, afin de trouver les moyens de résoudre certains problèmes.

À l’époque de la dictature, le pays comptait plus de 80% d’analphabètes.  Anne-Marie Coriolan était consciente du danger que l’analphabétisation représentait pour le développement et l’avenir de la nation. Elle était d’autant plus persuadée que l’éducation était l’arme à utiliser en vue de relever le pays et d’ouvrir les yeux des citoyens haïtiens. Elle était également consciente du travail qui l’attendait et des sacrifices que cela impliquait pour alphabétiser tant de personnes dans les milieux défavorisés. De ce fait, elle s’est investie, sans retenue, dans une campagne d’alphabétisation à grande échelle, malgré les moyens restreints dont elle disposait.

Accompagnée des membres du groupe Jèn Ouvriye Katolik (JOK), elle s’adressait en priorité aux jeunes ouvriers et ouvrières évoluant à Martissant, à Cité Simone (Cité Soleil, aujourd’hui), et à Saint-Joseph et dans d’autres quartiers de Port-au-Prince. Anne-Marie avait un objectif précis ; son idéal était de faire connaître leurs droits aux ouvriers et par le biais de l’alphabétisation, leur faire réaliser dans quelles conditions inhumaines ils travaillaient, car le salaire minimum était de moins de 1 dollar américain par jour. La jeune militante rêvait d’un Haïti où le soleil brillerait pour tous les fils et filles de la nation avec la même intensité. Elle n’a pas tardé à ouvrir les fenêtres pour permettre à ce soleil de pénétrer d’abord les mentalités, ainsi que les consciences. Par où commencer si ce n’est   avec les jeunes ? Ainsi, elle discutait avec eux dans les quartiers démunis, leur ouvraient les yeux en leur faisant prendre conscience des inégalités entre les classes sociales et de l’urgence de changer ce système !

Son travail ne se limitait aucunement à la capitale, mais s’étendait sur tout le territoire. Anne-Marie, malgré ses études, se rendait dans les provinces et dans les lieux les plus reculés afin de rencontrer des jeunes et des paysans qui travaillaient très dur, avec de faibles revenus. Elle leur faisait prendre conscience de la gravité de leurs situations de vie et les incitait à revendiquer leurs droits. Pour elle, la principale source vitale du pays ne pouvait pas posséder de si faibles moyens et être aussi vulnérable. Ainsi, le mouvement « Tèt kole Peyizan », dont elle fut la principale initiatrice, était présent dans plusieurs départements du pays et plusieurs paysans et paysannes en ont bénéficié.

Après s’être intégrée volontairement dans diverses activités humanitaires, elle a jugé que c’était une nécessité de mettre sur pied des structures ouvertes, ainsi, accompagnée de ses camarades, elle a fondé le « CAD », Centre d’Action et de Développement. Le CAD est un organisme de conscientisation et d’alphabétisation. À travers cet organisme, plusieurs personnes, notamment les ouvriers et ouvrières, les paysans et paysannes et les gens issus des quartiers défavorisés ont non seulement appris à lire et à écrire, mais ils ont également pris conscience de leurs droits civiques. CAD, devenu entretemps, CRAD, Centre de Recherche et d’Action pour le Développement, a eu un impact très positif sur la population. Plus tard, Anne-Marie créera une entité au sein du CRAD dénommée « Aksyon Pou Fanmak Timoun ka jwennidantiteyo », dans la commune de Marchand Dessalines. Cette entité avait pour but de permettre à 6 300 femmes et enfants d’avoir un acte de naissance et environ 2000 d’entre eux ont pu ainsi l’obtenir. 

Toujours dans le cadre de la lutte pour un monde plus juste et plus équitable, pour réduire les inégalités, faire tomber les barrières et les stéréotypes, toujours avec la même fougue, le même rêve de voir un Haïti meilleur où les fils et filles de la nation seront égaux dans tous les domaines, toujours dans l’objectif de vivre dans un Haïti plus humain, Anne-Marie Coriolan mit sur pied  la  « SOFA »,  Solidarite Fanm Ayisyenn  en 1985. Cette grande organisation qui, comme son nom l’indique, a pour objectif de se battre contre toutes les formes de discrimination   et de violence dont sont victimes les femmes, et de lutter contre ce système d’exploitation des femmes et des hommes. À cette époque, SOFA et d’autres organisations féministes ont contribué à faire reconnaître le viol comme un crime.

En 1994, grâce au mouvement de plusieurs entités féministes, dont SOFA, le gouvernement d’Aristide, a instauré le Ministère à la condition féminine et aux droits des femmes. Organisatrice politique, femme responsable et disciplinée, Anne-Marie a été cheffe de cabinet, puis conseillère principale de la Ministre Lise-Marie Déjean, également membre fondatrice de SOFA. Anne-Marie était cette figure présente partout où son intervention  était nécessaire, pour défendre la cause des femmes et faire passer les revendications des femmes envers et contre tout !

Anne-Marie Coriolan est partie vers l’au-delà, dans un tourbillon de poussières, le 12 janvier 2010, lors du terrible tremblement de terre qui a secoué Haïti. L’histoire du féminisme haïtien se souviendra toujours d’elle, comme une femme au grand cœur, toujours prête à partager, même le peu qu’elle possédait avec les autres, comme celle qui s’est battue malgré les embûches du temps. Anne-Marie Coriolan, l’inoubliable, l’humaniste dans l’âme !

Leyla Bath-Schéba Pierre Louis

Pleyla78@gmail.com

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