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Colonisation, néo-colonisation, néo-libéralisme, l’enfer d’Haïti et  le fonctionnement des organisations internationales mis à nu ou en filigrane (3e partie)

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1957- 1986 La dictature des Duvalier.

Elle a défrayé la chronique internationale avec la caricature des tontons macoutes. Une dictature sanglante, avec des millions d’exilés, des arrestations et des exécutions sommaires, une communauté intellectuelle et militante décimée, ravagée.  Bref une dictature très sombre avec en plus aucune velléité de développement du pays, contrairement au voisin dominicain tout autant terrifiant, mais imbu d’un développement nationaliste.  Pauvreté, famine, stagnation et délabrement des infrastructures, etc. Mais encore une fois un peuple qui malgré ses conditions de vie souvent infra humaines s’organise dans le mouvement des ti-léglises inspirées de la théologie de la libération sud-américaine du moment, et avec de nombreux militants clandestins pour finalement chasser Duvalier fils et mettre fin à 29 ans de dictature.

Pour rappel, la dictature n’est pas venue spontanément. Encore une fois, les Américains étaient à la manœuvre avec des financements de la CIA, pour permettre à Duvalier de prendre le pouvoir et surtout ensuite de le conserver. Car Haïti était au milieu du triangle Jamaïque, Cuba, République Dominicaine dont l’invasion en 1965 avait fait plus de 20 000 morts.  Contrôler Haïti, c’était pour eux s’offrir une place stratégique idéale pour contrôler les trois bouillants voisins aux portes des États-Unis.  Haïti subit aussi la mise en place du plan Condor américain sur l’Amérique latine des années 1975 avec son appui massif à toutes les dictatures sous prétexte de lutter contre le communisme. À nouveau, l’indépendance a été mise en sourdine pour ne pas dire totalement effacée.

Les années 1990 et la soumission à l’impérialisme néo-libéral

En 1987, est établie et votée à une très large majorité la Constitution de 1987. Certainement la Constitution la plus démocratique du pays qui, suite à la dictature des Duvalier, vise à établir une réelle participation démocratique appuyée par une forte décentralisation. L’espoir de tout un peuple. Elle ne sera jamais mise en place et il est important de souligner que l’aide internationale n’a pas été dans le sens de sa mise en œuvre malgré la multitude de projets financés durant les trente dernières années. Un autre chemin avait été choisi par ce que l’on appelle la communauté internationale, celui de l’imposition de l’économie néo-libérale. Cette « communauté internationale » préfère œuvrer pour imposer le modèle d‘économie néolibérale plutôt que le modèle d’organisation démocratique.

Quand, suite à des élections libres avec une forte participation, Aristide a été élu Président de la République, il a véritablement bénéficié d’une légitimité populaire. Malheureusement, son discours socialisant n’a pas toujours été bien perçu par les internationaux en particulier quand il vilipendait publiquement la bourgeoisie nationale dont il dénonçait ouvertement ses comportements prédateurs. Surtout que, lors de son élection, il a éliminé le poulain des USA, l’économiste libéral Marc Bazin, ancien cadre de la Banque Mondiale qui avait reçu un appui de 36 millions de dollars de la NED/CIA pour l’élection (NED= National Endowment Democracy, organisation américaine censée défendre la démocratie mais souvent paravent des actions de la CIA qui a si souvent défendu les dictatures sud-américaines).  Une violente campagne de déstabilisation, encore une fois supportée par l’extérieur, a exploité toutes les failles de la présidence Aristide, qui étaient réelles et qui ne pouvaient pas être niées, et est parvenu à provoquer un coup d’État le 30 septembre 1991.  Coup d’État supporté par l’armée et la bourgeoisie comprador. Avec Cedras, l’armée a pris le pouvoir et il s’est en suivi une répression massive.

Les USA jouant un double jeu ont fait  déclencher un embargo contre le coup d’État, mais en même temps ils ont fourni des armes au groupe FRAPH, une organisation para-militaire d’extrême droite, bras droit du pouvoir qui va tuer des dizaines de personnes. Et l’embargo ne fera que déclencher un marché noir qui sera dramatique pour la population et très fructueux pour les grands possédants. Les boat-peoples abordaient massivement les côtes américaines. Bush a obligé Cedras et Aristide à négocier le retour de ce dernier au pouvoir. Dans la tentative de négociation, ce que demandaient les USA, inspiré par le Fonds Monétaire International (FMI), était significatif : maintien des bas salaires, privatisation d’entreprises publiques, suppression des droits de douane, accès des entreprises étrangères au marché haïtien…La base des ajustements structurels et la marche vers la mort de la production nationale…Ce que Aristide appliquera lors de son second mandat.

Les accords de 1994, puis de 1996, et la lettre d’intention adressée au Fonds Monétaire International, signée du Ministre des finances haïtien (Fred Joseph) et du Gouverneur de la Banque Nationale de la République d’Haïti (Fritz Jean) du 19 novembre 1998 marquent l’asservissement d’Haïti à la politique néo-libérale en pleine extension mondiale.  Elles consolident la politique d’ajustements structurels.

Ces ajustements structurels ne sont pas différents de ceux qui ont été mis en place en Afrique à la même époque et qui sont encore aujourd’hui au cœur des politiques d’austérité des pays du nord. Encore une fois, le sud a servi de brouillon, de test. Ces programmes d’ajustements structurels sont souvent présentés par les médias dans un langage obscur qui invite les populations à surtout ne pas s’en mêler car ce serait trop difficile à comprendre. La stratégie est pourtant d’une simplicité déconcertante : au nom de la recherche de l’équilibre budgétaire et de la balance des paiements, il faut diminuer le coût de la fonction publique.  Ça c’est le côté officiel, le masque pour aller vers la privatisation totale hors contrôle des États. C’est une mécanique simple, on met l’accent sur les dysfonctionnements des ministères et des entreprises publiques, on n’essaie pas de les rationaliser pour y pallier, non, il suffit d’annoncer qu’elles sont trop chers et peu efficaces, alors on diminue leur personnel ça coûte moins cher, les services évidemment moins pourvus fonctionnent encore plus mal, ce n’est pas grave, il reste la solution miracle : la privatisation.  Et pour que la privatisation soit performante, il suffit d’en limiter les réglementations, les contrôles et bien sûr la fiscalité.  Il ne reste aux détenteurs de capitaux qu’à s’enrichir et aux licenciés de se retrouver sans salaire, et aux acheteurs de services à les payer un peu plus chers, il faut bien rémunérer les actionnaires.

Mais il y a encore plus grave, quand vous êtes un privé vous fonctionnez avec les banques pour vos investissements et vos fonds de roulement, ce sont elles qui acceptent ou non de financer vos orientations, selon qu’elles les jugent rentables ou non. Les stratégies des services privés sont donc définies par les banques en fonction de leur rentabilité et non des besoins des citoyens. C’est un abandon du pouvoir des gouvernements élus sur ce qui était auparavant des politiques publiques sur lesquelles les citoyens pouvaient encore peser par leurs votes au moment des élections.  Au début du vingtième siècle l’un des Rothschild, grand banquier, n’avait-il pas déclaré publiquement « bientôt nous n’aurons plus besoin des Etats nous savons ce qu’il faut faire, pour les peuples ». Nous y sommes.

Le peuple haïtien est donc passé du génocide des Indiens à la traite des noirs pour installer le système esclavagiste, de la colonisation à la néocolonisation par la dette, puis à l’occupation américaine, pour se trouver prisonnier d’un néolibéralisme imposé. 200 ans d’indépendance officielle mais à peine  10% de ce temps en indépendance réelle. À ceux qui recherchent les sources du drame actuel du pays il me parait important d’en relire l’histoire et de dépasser l’idée d’un peuple incapable de se gouverner.  Si au moins on lui avait donné la chance de se gouverner lui-même. Car à cette histoire dramatique il faut rajouter le rôle de ce qui est appelé depuis les années 1970 l’aide internationale. Pour ne pas être trop long, je vais rappeler ici quelques éléments clés concernant ces institutions internationales, ils vous permettront d’apprécier si elles auraient pu ou non pallier les désastres générés en Haïti par les grandes puissances. 

La communauté internationale

Cette expression laisse entendre qu’il existe une entité qui, quelque part, représenterait les intérêts majeurs de tous les peuples.  Or, cela n’existe pas et n’a jamais existé.  À la limite, seule l’Organisation des Nations Unies créée avec  cette intention pourrait prétendre recevoir une telle appellation, – l’intention en a été affichée à sa création – mais nous sommes bien loin du compte, nous allons y revenir. Quand les journalistes emploient ce terme de communauté internationale, ils se dispensent à chaque fois de préciser de qui il s’agit.  Une preuve, en fin d’année 2021, avec l’affaire des mercenaires russes du groupe Wagner au Mali. Dans ce cas, c’est la France qui est à la manœuvre. Quand la Ministre française de la défense relayée par les médias disent que  la communauté internationale retirera son soutien au Mali, aucun des pays africains n’a été consulté, ni les européens et encore moins les latino-américains ou asiatiques.

         À chaque fois que le terme communauté internationale est prononcé, c’est un abus de langage mais surtout un abus de pouvoir au bénéfice de quelques dominants.  Dans les faits, la communauté dite internationale est effectivement à géométrie variable et elle se constitue souvent autour du leader des anciens colonisateurs de l’espace géographique.

À chaque fois que les médias parlent de communauté internationale il ne s’agit que de quelques pays dominants, d’ailleurs on ne parle jamais de communauté internationale quand quelques pays africains, asiatiques ou latinos regroupés émettent un avis sur une situation.  Vous pouvez le constater, le vocable communauté internationale n‘est utilisé que si une « grande puissance » émet un avis.  Dans les faits, la communauté internationale n’a absolument aucune existence juridique ni aucune légitimité, cette chose n’est autre qu’une création de médias peu rigoureux au service des plus puissants.  Ce terme est un de ceux les plus couramment employés pour légitimer des pouvoirs impérialistes. Que pouvait attendre Haïti de cette fantomatique communauté internationale si ce n’est de se voir obliger d’obéir aux volontés américaines, les maîtres de cet espace géographique.

Les Nations Unies

         Si la communauté internationale n’existe pas, les Nations Unies par contre ont bien une existence légale fondée sur la signature des 189 pays membres qui y ont adhéré.  L’article 2 de la Charte commence par : « L’organisation est fondée sur le principe de L’EGALITE SOUVERAINE DE TOUS SES MEMBRES. »

         Comme vous le savez, un de ces organes les plus importants est le Conseil de sécurité : 15 membres, 5 permanents: USA, Russie, France, Royaume Uni, Chine. Ce sont ces pays qui ont le fameux droit de véto. S’y ajoutent 10 élus pour deux ans par l’Assemblée Générale. Vous ne vous rappelez pas les membres permanents ?  Ils sont pourtant faciles à connaître, vous allez sur internet vous tapez : quels sont les 5 plus grands vendeurs d’armes dans le monde ?  Bingo, vous avez gagné, ce sont les mêmes. Et cela ne gêne personne. Les médias n’en parlent jamais. Poussons un peu plus loin les constats, année 2020, le budget des Nations Unies est d’environ de 6,5 milliards pour le maintien de la paix et 5,8 milliards pour le fonctionnement, soit 12,3 milliards.  Alors vous vous inquiétez de savoir le rapport entre le budget de l’ONU pour défendre la paix et les dépenses annuelles pour l’armement dans le monde, ça tombe bien en 2020, le record a été battu : 2 000 milliards pour l’armement ! Environ 160 fois plus que pour le budget des Nations Unies.

         Pour information, en 2020, les 4 plus grands fonds d’investissement totalisaient environ 22,6 billions de dollars, 22 600 milliards de dollars US.

À votre avis où est le pouvoir mondial ? Aux Nations Unies ou chez les maîtres de la finance internationale ?

         Cependant aux Nations Unies pour les votes à l’Assemblée Générale, le principe qui prévaut, c’est un pays une voix. Ça c’est bien, me direz-vous, dans l’intention oui. Mais quand vous êtes un pays pauvre, vous avez intérêt à faire attention à voter avec le ou les pays qui vous apporte un soutien quel qu’il soit. Dans le cas contraire cette aide pourrait rapidement disparaître. La puissance de la France dans l’organisation a été longtemps maintenue par les votes automatiques de ses anciennes colonies, outil fondamental de ce qui fut appelé la « France Afrique », et il en est de même pour les USA, la Russie, la Chine, etc. Un pays une voix ? Oui mais pour les puissants une voix libre pour les autres une voix contrainte, et une voix sans pouvoir de véto n’est pas une voix avec pouvoir de véto. La charte fondamentale est tout simplement ouvertement bafouée.

         Revenons sur les résolutions du Conseil de sécurité.  En plus du caractère inacceptable des cinq pays avec droits de véto, se pose le problème du non-respect des résolutions. Israël est l’un des cas emblématiques, les USA mettent un véto à chaque fois qu’il est question de le condamner pour non-respect d’une ancienne résolution. Mais il y en a d’autres : la Syrie, la Libye, etc.

Alors quel est le poids du peuple haïtien aux Nations Unies ? Que peut-il en attendre? Lui qui a vu au début des années 2000, pendant  une dizaine d’années une force internationale de l’ONU, la Minustha, provoquer une épidémie de choléra qui a fait plus de 15 000 morts, que l’ONU a refusé d’assumer et qui, à son départ, a laissé une situation sécuritaire encore plus précaire qu’à son arrivée.

Venons-en  aux agences techniques internationales :

         UNESCO,OMS, UNICEF, BIT, FAO, etcElles sont normalement des agences des Nations Unies puisqu’elles appartiennent officiellement au système des Nations Unies. Dans les faits, elles ont toutes leur autonomie. Pendant 15 ans j’ai bien eu le passeport bleu des Nations Unies mais je n’ai jamais eu aucun compte à rendre à cette structure. La Banque Mondiale était mon seul employeur et c’est à elle que je devais rendre des comptes.  La meilleure preuve de cette autonomie est que chacune d’entre elles a son système de financement, ses ressources humaines et sa politique. Pourtant cette autonomie est toute relative car elles supportent toutes la même idéologie néolibérale. Le fonctionnement de toutes ces agences techniques dépend beaucoup plus des orientations et injonctions du FMI que des discours d’orientation de l’ONU.  Le sommet de l’architecture mondiale des organisations internationales est bien le FMI, pas l’ONU.  Dans tous les domaines techniques, en Haïti comme ailleurs, ces institutions internationales ont mené toutes leurs opérations en imposant au pays un seul cadre de travailler, celui de l’économie néolibérale avec son cortège de privatisations dans tous les secteurs tout en affaiblissant les structures des administrations nationales.

Christian FAULIAU

christianfauliau@yahoo.fr

Mars 2024

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