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Haïti face au taux de change

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La monnaie Haïtienne, la gourde, depuis un certain temps perd de sa valeur. Que ce soit face à celle du voisin terrien (le peso dominicain), que ce soit face à celle de l’oncle Sam (le dollar américain), l’observation ne change pas, la gourde subit une dépréciation…compte tenu des pendants internationaux ou encore considérant le choix mondial, le cas du dollar attire beaucoup plus notre attention car c’est avec elle que l’on paie.

Qui aime le dollar doit le suivre !

C’est en ce sens que des questions commencèrent à surgir de partout : Pourquoi cette hausse inattendue des devises ? Pourquoi la monnaie des USA crase la gourde ? Quelles en seront les conséquences.

Depuis la fin des accords de Bretton Woods en 1971, le système de taux de change flottant a été la norme pour la plupart des économies et les fluctuations monétaires sont une conséquence naturelle de ce régime. Le taux de change d’une devise par rapport à l’autre est influencé par de nombreux facteurs fondamentaux et techniques. Celles-ci comprennent l’offre et la demande relatives des deux devises, la performance économique, les perspectives d’inflation, les différentiels de taux d’intérêt, les flux de capitaux, etc. Ces facteurs étant généralement en perpétuel mouvement, les valeurs monétaires fluctuent d’un moment à l’autre.

Pouvait-on s’attendre à un dollar à 100 gourdes en 2019 ?

C’était l’épineuse question de l’actualité économique à laquelle le gouverneur de la Banque de la République d’Haïti (BRH), Jean Baden Dubois, devait répondre à la traditionnelle entrevue Leslie Delatour le 2 janvier 2019 au micro de Kesner Roro Pharel sur Radio Métropole.

Le Gouverneur n’y a pas répondu catégoriquement et il en a plutôt profité pour insister sur «l’importance de la stabilité sociopolitique sur l’efficacité de la politique monétaire visant la stabilité des prix et du taux de change.» En période de stabilité politique, la politique monétaire est extrêmement efficace, a-t-il confié. L’analyse du taux de change entre mars 2017 et décembre 2018 semble lui donner raison.

En effet, en mars 2017, le taux de change de fin de période s’élevait à 69.35 gourdes pour un dollar américain. C’était moins de deux mois après l’entrée en fonction du président Jovenel Moïse le 7 février 2017. Le marché était très optimiste à l’arrivée du nouveau chef de l’État qui se disait pro-business. On misait déjà sur une stabilité politique retrouvée avec la prestation de serment du président élu. À partir de mars 2017, le taux de change se mettait à diminuer de façon assez significative. À la fin du mois d’avril, le taux de change de fin de période était établi à 67.6 gourdes avant d’atteindre 62.2 gourdes à la fin du mois de mai 2017, soit une diminution de 10.31%. La gourde avait alors connu une appréciation significative de plus de 10 % en moins de deux mois. Elle a ensuite enregistré une certaine stabilité à ce niveau, jusqu’au mois de septembre 2017. Cette période montre effectivement que la politique monétaire, comme l’a affirmé le Gouverneur, peut bien être efficace.

«Donnez-moi un climat politique stable, je ramènerai le taux de change à un niveau plus faible !», promet-il en substance. Sur le plan de la stabilité politique, le premier semestre de l’année fiscale 2017-2018 a été relativement calme, mais cela n’a pas été le cas du second. On a connu de grandes manifestations de rue exigeant la reddition des comptes dans le cadre du fonds PetroCaribe et le départ du président Jovenel Moïse. Des zones avec des poches d’insécurité devenant inaccessibles se sont multipliées à travers la capitale et dans d’autres endroits sur le territoire national. Un tel climat n’est propice ni aux affaires ni au bon fonctionnement des simples citoyens. En conséquence, la gourde a considérablement déprécié. Si cette tendance se maintient en 2019, le dollar américain prendra la direction de 100 gourdes.

Faut s’attaquer aux causes structurelles de la dépréciation de la gourde !

Le Gouverneur Dubois avoue que la BRH ne peut pas combattre à elle seule la dépréciation de la gourde. Il faudra la contribution des autres autorités, particulièrement les responsables de la politique fiscale. La dépréciation observée, rappelle-t-il, est le résultat d’un déséquilibre vieil de plus de 30 ans. Un ensemble de choix politiques et économiques a conduit à cette désarticulation structurelle de l’économie durant les 30 dernières années. Parmi ces choix, le gouverneur mentionne celui de libéraliser le marché local sans protéger les producteurs nationaux ainsi que celui de satisfaire la consommation locale à partir des importations et non la production nationale. Cette désarticulation a conduit à une nouvelle structure de l’économie où le commerce représente 28 % du produit intérieur brut en 2018 au détriment de l’agriculture qui ne conserve que 20 % du PIB. Pourtant, le commerce ne dispose pas d’une forte valeur ajoutée, précise M. Dubois. Le secteur Bâtiments et travaux publics (BTP) qui représente 10 % du PIB est parfois dominé par des compagnies étrangères. Au fil du temps, la balance des paiements devient structurellement déficitaire. En 2018, le pays a importé pour environ 5.6 milliards de dollars américains alors qu’il a exporté pour à peine 1.6 milliard de dollars. Cette importation de 5.6 milliards, confie le Gouverneur, finance la création d’emplois dans d’autres pays et non en Haïti, elle génère de la croissance économique ailleurs. La République voisine est un des principaux pays bénéficiaires.

Voyons quelques impacts !

L’impact des investissements direct à l’étranger

Sur l’investissement direct étranger, le Gouverneur a émis une réserve : les investisseurs étrangers ont tendance à retourner tout le profit engrangé à leurs pays d’origine en dollars américains. Cette tendance crée une pression constante sur le taux de change. Les compagnies de télécommunications en sont des exemples éloquents. À noter également que l’instabilité politique nuit à l’affluence des touristes et des investisseurs locaux et étrangers en Haïti.

Dans un tel contexte, on ne peut continuer à envisager des solutions cosmétiques, a tranché le Gouverneur. Il faut des mesures conjoncturelles mais aussi structurelles qui s’attaquent aux causes réelles du problème. Le gouverneur Dubois confirme l’intervention de la BRH dans ces deux domaines à travers les interventions sur le marché des changes et d’autres mesures en droite ligne avec son agenda monétaire pour la croissance économique. Mais à côté de cet agenda, il faudrait aussi, conseille-t-il, un agenda fiscal pour la croissance économique.

L’impact de la hausse consommation de l’essence.

Jean Baden Dubois a fait ressortir l’impact de la hausse de la consommation de l’essence sur le taux de change. À la fin de l’année 2018, celle-ci était passée de 16 000 gallons à 22 000 gallons par jour, soit une hausse de 38 %. Comme explication à cette augmentation, le Gouverneur privilégie la thèse d’un approvisionnement de la République Dominicaine sur le marché local, comme si l’État Haïtien subventionnait la consommation d’essence en République Dominicaine. Il faudrait également considérer le gaspillage dû aux embouteillages monstrés constatés dans les grands centres urbains sans négliger le nombre considérable de motocyclettes qui circulent au pays.

Le poids de l’essence et des banques commerciales.

La consommation de l’essence en Haïti s’élève à 100 millions de dollars américains par mois, soit 1.2 milliards de dollars américains par an. Elle représente un poids considérable sur l’évolution du taux de change.

Par le passé, les Organisations internationales et les Organisations non gouvernementales (ONG) jouaient aussi un rôle sur le marché des changes en y vendant des devises aux enchères. La BRH avait dû intervenir pour interdire ces ventes aux enchères qui tiraient, selon elle, le taux de change vers le haut. Aujourd’hui, ces organisations doivent vendre leurs devises aux banques commerciales, confirme le Gouverneur qui a été invité à opiner sur le rôle des banques commerciales les plus importantes sur l’augmentation du taux de change. Le marché formel des changes mobilise environ 40 millions de dollars américains par semaine pour un total de 160 millions de dollars américains par mois.

Un total de huit banques commerciales partage ce marché oligopolistique. Les trois principales en captent environ 80 % et en sont les leaders. Ils bénéficient en conséquence d’un énorme pouvoir de marché. Même si le Gouverneur pense qu’elles ne peuvent pas spéculer sur le taux de change à cause de la supervision effectuée par la BRH, elles peuvent utiliser leur pouvoir de marché pour l’influencer.

Nous sommes en 2019 et à la lumière de la dépréciation rapide de la gourde, la Banque de la République d’Haïti (BRH) a cherché à mettre en œuvre et à appliquer des mesures réglementaires visant à décourager les spéculations sur le marché des changes, qui exercent une pression à la baisse sur la valeur de la monnaie locale.

1) Sur la base de la position cambiste des banques, les fonds que BRH obtiendra des banques seront remis sur le marché le lendemain par l’intermédiaire des banques dont le spread est le plus faible afin de permettre un meilleur contrôle des achats des institutions financières.

2) La BRH prend également des mesures visant à réduire les pratiques abusives des agents des transferts de fonds et le marché noir en les obligeant à respecter le taux de change de la banque affiliée ainsi qu’à la divulgation et à la comptabilisation des taux de change.

3) Elle adopte également des politiques monétaires directes. Certaines de ces mesures comprennent des hausses de taux d’intérêt.

Le taux d’intérêt sur les obligations à 91 jours sera porté à 22%, les obligations à 28 jours à 14% et les obligations à 7 jours à 10%. Bien que cette mesure augmente le prix de la monnaie et affectera les crédits, la Banque Centrale a promis de maintenir son programme en faveur de la croissance en soutenant les entreprises opérant dans des secteurs de production tels que l’agriculture, le tourisme, l’immobilier et les exportations.

4) Et, dans le cadre de mesures visant à améliorer l’offre de devises sur le marché des changes, la Banque Centrale Haïtienne a annoncé aux banques, aux agents de change et au grand public la vente de 150 millions de dollars américains d’ici la fin de l’exercice.

Depuis janvier 2020, la monnaie haïtienne a perdu près de 3.5% de sa valeur par rapport au dollar américain qui est actuellement échangé contre environ 97,50 gourdes sur le marché local. À ce jour, BRH est intervenue sur les marchés des devises pour un montant de 15 millions de dollars, une intervention minimale, par rapport à la même période de l’année dernière où la gourde perdait environ 0,15 centime par jour contre un dollar. BRH parvient à briser ce rythme avec des interventions sur le marché de plus de 27 millions de dollars nets, et dès la première semaine de mars, la gourde avait perdu 6% par rapport au dollar. Ce qui fait qu’actuellement l’on a besoin de plus de 100 gourdes pour un dollar américain.

Plus la gourde perd de sa valeur dans une économie aussi dollarisée et aussi dépendante des importations que la nôtre, plus la population perd de son pouvoir d’achat et peut ne pas pouvoir se procurer les mêmes biens et services avec le même salaire.

Quelques propositions !

Faut savoir avant tout que la chute de la gourde ne date pas d’hier et si elle persiste, c’est parce que le vrai problème n’a pas encore été adressé.

1) Reprenons les propositions du Dr Eddy Labossiere à savoir qu’il faut changer notre système de change flottant qui, selon lui est un système de « change flottant pur » qui favorise la confrontation entre l’offre et la demande afin de déterminer le cours de la gourde par rapport au dollar américain. L’Économiste avance et dit que ce régime fonctionne mal en Haïti, et ceci pour plusieurs raisons dont :

a) des distorsions et faillite du marché,

b) abus de position dominantes,

c) aléa moral,

d) asymétrie des d’informations, ect.

Sur ce, « le système de change flottant pur » qui est mal pratiqué sur notre territoire doit être remplacé par un « système de change Administré » sous la commande de la Banque Centrale et sans interférence des Banque privées.

Elle donne une fourchette pour la variation du taux de change de la gourde par rapport au dollar américain qu’elle estime souhaitable et compatible avec sa politique monétaire.

2) Il est important que nous suivions l’évolution de ce qui se cache derrière le taux de change.

3) Il faut surveiller et entretenir les niveaux d’importations et d’exportations, mais surtout la balance des paiements, car plus nous importons, plus nous avons besoin de devises étrangères, plus nous en demandons et comme pour tout autre produit quand il y a une forte demande, le prix augmente. La devise étrangère s’apprécie et notre monnaie est dépréciée.

Sauvons notre monnaie (la Gourde Haïtienne), qui est une composante de notre souveraineté !

Don Waty BATHELMY

Économiste, Blogueur.

donwatybathelmy@gmail.com

Références

Thomas Lalime

thomaslalime@yahoo.fr

Roudy Bernadin

Economiste

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