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Haïti se vide de son capital humain !

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Depuis plusieurs années, Haïti se vide d’une bonne partie de sa population, notamment des jeunes et des professionnels aguerris. Insécurité, quête d’un mieux-être, fuite pour échapper aux persécutions politiques pour les uns,  recherche d’opportunités pour les autres, et dans quelques rares cas, pour des études : les raisons qui expliquent ce phénomène de migration sont aussi multiples que variés. Les chiffres migratoires ne font que grossir…

Rien qu’en 2023, plus de 85 000 Haïtiens ont déjà quitté le pays pour se rendre aux États-Unis via le programme Humanitarian Parole (communément appelé « programme Biden »), lancé en janvier dernier par le gouvernement américain. À cela s’ajoutent environ 31000 Haïtiens, si l’on en croit ABC News et Associated Press,  qui ont rejoint depuis août 2023 le Nicaragua. À défaut d’être le nouvel eldorado des Haïtiens, le Nicaragua sert de pays de transit pour se rendre aux États-Unis. En effet, depuis plusieurs semaines, des files de jeunes désireux de quitter le pays se forment quasi quotidiennement à l’aéroport Toussaint Louverture. Des départs qui s’apparentent fort souvent à une fuite. 

Des causes multiples

Pour beaucoup de jeunes, partir devient une nécessité. Les raisons qui les poussent à quitter le pays sont multiples. Pour une petite partie, c’est la possibilité de faire des études qui les motivent. En 2017, le nombre d’étudiants haïtiens en République Dominicaine a été évalué à 40 000, selon l’Observatoire Binational sur la Migration, l’Éducation, l’Environnement et le Commerce. Il n’en reste pas moins que cette catégorie [les étudiants] reste une très infime partie des gens qui quittent le pays. Les causes de la migration excessive des Haïtiens s’expliquent par d’autres facteurs. 

En effet, l’insécurité galopante de ces dernières années constitue la première cause de cette fuite massive des jeunes. Joseph (nom d’emprunt), obligé de se rendre au Mexique après avoir fui son quartier de Carrefour-Feuilles nous a confié : « Je ne voulais pas partir. C’est l’insécurité qui m’y a obligé ». Étudiant et activiste social, très engagé dans diverses organisations de jeunes, Joseph se dit prêt à retourner dans son pays une fois que la situation se sera améliorée. Pour lui, tenant compte de la situation actuelle du pays, « partir, semble être un choix rationnel ».

L’insécurité n’est cependant pas la seule cause du délaissement du pays par ses fils et ses  filles. Pour plus d’un, c’est la quête d’une vie meilleure qui les pousse à partir. L’instabilité chronique et les crises sociopolitiques récurrentes ont des effets néfastes sur les Haïtiens vivant dans le pays. « Mwen oblije pati, paske bò isit la pa gen lavi (je suis obligé de partir car ici, il n’y a pas de vie) », nous a dit une jeune femme sur le point de quitter le pays. Ainsi, partir est le seul moyen pour ces personnes de se construire une vie. Pour elles, le principe est simple : partout ailleurs est mieux qu’en Haïti.

Un phénomène qui n’est pas nouveau

Le phénomène n’est pas nouveau. À travers son histoire, Haïti a connu différents moments de migration massive. Selon le Collectif Haïti de France, les premières grandes vagues migratoires haïtiennes datent de la fin du XIXème siècle. À cette époque, les Haïtiens se dirigeaient principalement vers Cuba. Cette première vague sera suivie par de multiples autres, dont les plus marquantes sont les vagues successives vers les États-Unis dans les années 70, 80 et 90 (avec le phénomène des « boat people »). Plus récemment, dans les années 2010, vers les pays de l’Amérique du Sud, et les États-Unis, via le programme Humanitarian Parole. 

Selon les chiffres publiés par l’Organisation Internationale de la Migration, rien qu’en 2016, les Haïtiens vivants à l’étranger étaient évalués à 67 000, 18 000 au Chili et plus d’un millier en Argentine. La grande majorité d’entre eux ont rejoint ces pays de l’Amérique du Sud entre 2014 et 2016. Des chiffres qui n’ont pas cessé de s’accroître depuis.

Il faut ajouter aussi les migrants qui vont illégalement vers la République Dominicaine et les différentes îles de la Caraïbe dans de petites embarcations de fortune. Des migrants dont le nombre ne peut pas être évalués, ces derniers étant en situation irrégulière.

Et des conséquences…

La fuite des Haïtiens à l’étranger n’est pas sans conséquences sur le pays. Du point de vue économique, le départ des Haïtiens en terre étrangère a un coût pour les familles haïtiennes. Au cours de la période de grande vague migratoire vers l’Amérique du Sud entre 2010 et 2017, entre les frais de documents et les frais de voyage, il fallait en moyenne de 1000 à 3 000 dollars à un Haïtien pour quitter le pays. Une somme faramineuse pour une famille dans un pays où près de 60% de la population vit en dessous du seuil de  pauvreté. Beaucoup de familles sont obligées de s’endetter pour pouvoir compléter les frais de voyage d’un de leurs membres. Parallèlement, cette fuite des Haïtiens constitue également une fuite des cerveaux. Aussi, le pays se vide de son capital humain, indispensable pour le développement du pays.

Toutefois, les Haïtiens de la diaspora jouent un rôle de premier plan dans l’économie nationale. Des milliers de familles vivent aujourd’hui exclusivement des transferts venus de l’étranger. En 2021, les transferts vers Haïti ont atteint le chiffre de 4.4 milliards de dollars. Ce qui représente plus de 20% du PIB du pays au cours de cette même année 2021.

Reste à savoir si les bons côtés de ce phénomène pourront contrecarrer ses côtés négatifs…

Roobens Isma

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