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Etre femme haïtienne: quand une vendeuse ambulante raconte sa vie

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Qui ne connait pas la voix tonitruante de cette commerçante qui, tous les matins, aux environs de huit heures,  perce les tympans des riverains de la route de frères ? Madeleine Jean François est cette vendeuse ambulante qui transporte sur sa tête tout un marché.

Est-ce qu’il y a des aliments particuliers qui intéressent Madeleine ? « En fait, ça dépend de la saison des récoltes. On vend ce qui est à notre disposition », déclare ouvertement Madeleine, très débrouillarde, qui, après maintes prières, a finalement accepté cet entretien pour ce numéro de Être femme haïtienne. « Mesye si w pap achte, pa fè bouch mwenlong », a-t-elle rétorqué dès le premier contact. Elle est amusante celle-là !

Originaire de Dame-Marie, Madeleine Jean François s’investit dans le commerce depuis bientôt une quinzaine d’années. Mère de trois enfants, dont une fille et deux garçons, de deux pères, Madé ainsi surnommée, rentre à Port-au-Prince en 2005, en pleine période électorale, à la recherche d’un mieux-être.

« J’étais en pleine ceinture de mon premier fils, Jean Cadet, quand je suis venue à Port-au-Prince », raconte Madé portant un tablier rouge usé  sur un T-shirt noir tombant sur son pantalon, auquel est attaché un petit sac qui a longtemps perdu son éclat. Assise à l’abri du soleil, elle savoure une tablette de pistache qu’elle vient de se procurer d’une consœur marchande. On est à la Rue Saint Louis Jeanty, sur la route de frères.

Les circonstances l’ayant introduite dans le commerce

Madé est la cinquième enfant d’un peloton de onze enfants. »Il était quasiment impossible que nous terminions tous nos études classiques », explique la vendeuse sur les raisons pour lesquelles elle n’a pas pu terminer ses études classiques. Mais pourquoi pas Madé ? Bref…Elle a néanmoins atteint le certificat à dix-huit ans, plus précisément. Un an plus tard, Madé se trouve en pleine ceinture, décide alors de laisser sa ville natale pour construire son foyer à la Rue des Miracles, à Port-au-Prince.

Mais, la capitale est loin d’être ce qu’espérait la jeune Madeleine. « Après avoir mis au monde mon premier garçon, j’étais contrainte de faire le commerce puisqu’il fallait à tout prix le nourrir », dit la jeune mère de trente-quatre ans, pleine de bravoure qui se bat pour le mieux-être de sa famille. C’est ainsi qu’elle s’est mise à vendre des produits laitiers et des sucreries, arpentant les rues de Port-au-Prince.

Les embûches sur son chemin

Il s’avère que la crise de 2008 n’a épargné personne sur son chemin. La situation était de plus en plus infernale pour Madé qui élevait seule son fils cadet, avec un loyer à payer. Où était passé le père du gosse ? « Que suis-je ?, répond Madeleine qui regrette infiniment le fait que ce dernier l’a abandonnée avec le môme qui n’avait que deux ans.

Par conséquent, elle a été contrainte de laisser la capitale en effervescence pour un climat plus clément, à Pernier, chez un frère. « C’est ainsi que j’accompagnais ma belle-sœur à Kenskoff pour acheter des aliments de toutes sortes »,  poursuit Madé.

« Elles sont nombreuses les difficultés. Il n’est pas du tout facile de faire ce long chemin pour acquérir la marchandise à vendre. Les gens refusent de nous payer convenablement », se plaint la vendeuse qui se démène pour assurer l’écolage de ses trois enfants. « Certaines fois, ils nous lancent des injures quand on refuse de céder à leur prix », ajoute-t-elle.

Espère-t-elle un meilleur avenir pour le pays ?

« Je le souhaite en tout cas », lâche vaguement la native de Dame-Marie, peu convaincante. « J’ai trente-quatre ans. Depuis mon enfance, ce sont les mêmes choses qui se répètent de nos jours. Comme on peut le constater, l’année commence à peine, on nage déjà en pleine crise politique », avance Madeleine Jean François qui manifestement a des doutes quant au changement du pays.

« C’est une situation qui ne profite guère aux marchandes. On ne peut investir les rues sans savoir ce qui nous attend », se lamente-t-elle. « Nous avons des créances à acquitter, sans compter notre épargne. Que dire des bouches à nourrir quotidiennement ? »,poursuit Madé sceptique.

Madeleine Jean François a toujours rêvé d’être commerçante puisque sa mère l’était. Toutefois, elle se voyait de préférence derrière le comptoir de sa boutique. « Il n’est jamais trop tard pour bien faire. On y pense », espère la vendeuse toute souriante. Juste avant de reprendre son panier garni de légumes de toutes sortes, elle laisse ces mots à la jeunesse : »se pou timoun yo konnen lavi pa fasil, se pandan yo tou piti an pou yo pran desten yo an men ».

*Elle ne voulait pas se prendre en photo*

Statler LUCZAMA

Luczstadler96@gmail.com

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