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Madeleine Sylvain Bouchereau , une femme au parcours extraordinaire !

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Femme intellectuelle, féministe engagée, avec un palmarès bien rempli, Madeleine Sylvain, grâce à sa militance a marqué le monde politique et féministe haïtien. Elle est l’une des premières initiatrices du mouvement féministe en Haïti et la première Haïtienne docteure en sociologie. Ses réflexions et analyses de la femme haïtienne dans le contexte sociopolitique haïtien du XXe siècle figurent parmi les plus enrichissantes œuvres du pays.

Née à Port-au-Prince, le 5 juillet 1905, Madeleine est la fille du célèbre poète et diplomate haïtien, Georges Sylvain, et d’Eugénie Mallebranche. Elevée dans une famille de sept enfants, elle a grandi, ainsi que ses frères et sœurs, dans un environnement rempli de livres et ils ont cultivé, dès leur jeune âge, l’amour du savoir. Issue d’une famille qui croit en l’éducation et aux impacts positifs de la science, il n’est pas étonnant que Madeleine Sylvain ait été coiffée d’autant de chapeaux. Car, sa sœur aînée, Suzanne Comhaire Sylvain a été la première femme anthropologue d’Haïti ; sa sœur cadette, Yvonne Sylvain, la première femme médecin du pays ; son frère Normil Sylvain a été le fondateur de la Revue Indigène et son plus jeune frère Pierre Sylvain, botaniste, a rendu compte de la production de café en Éthiopie.

Madeleine Sylvain également, a toujours été mordue de livres et avide de savoir. Elle l’a surtout montré par les nombreuses études qu’elle a entreprises et par sa fructueuse carrière professionnelle qui ne se limite pas aux frontières du pays. Elle a obtenu un certificat de spécialisation en organisation des communautés rurales. Elle a été diplômée en droit de  l’Université d’État d’Haïti en 1933, en éducation et en sociologie à l’Université de Porto Rico et au Bryn Mawr College aux États-Unis entre 1934 et 1938. Et en 1941, elle est devenue la première femme haïtienne à obtenir un doctorat en sociologie.

Après avoir obtenu tous ces diplômes, Madeleine a décidé de partager ses connaissances avec des jeunes de partout. Ainsi, elle s’est consacrée à l’enseignement ! Elle a enseigné à l’institut d’ethnologie d’Haïti en 1941, à l’École nationale d’agriculture et à l’Université Fisk aux États-Unis, elle a été aussi consultante au département de l’enseignement rural. Elle a été aussi conférencière et s’impliquait volontairement dans la formation des jeunes Haïtiens, notamment des femmes. Décidée à partager son savoir à celles qui en ont réellement besoin, Madeleine s’est montrée d’une générosité sans bornes.

À cette époque, les femmes ne jouissaient pas pleinement de leurs droits civiques et politiques. Elle n’avait presque pas droit aux études supérieures, au droit de vote aux élections et ne participaient que passivement aux actions sociales. Ainsi, en vue de mettre un frein à cette domination masculine sans précédent qui écrasait les femmes, Madeleine et d’autres jeunes femmes ont pris la décision de mettre sur pied la Ligue Féminine d’Action Sociale, le 3 mars 1934, qui  a été la première organisation féministe d’Haïti.

La Ligue Féminine d’Action Sociale avait des objectifs clairs et précis : permettre à l’Haïtienne de jouir de ses droits sociaux, politiques et civils, d’avoir un statut de citoyenne, de conscientiser les Haïtiennes sur leurs droits et leurs devoirs envers la société et d’obtenir l’égalité sur tous les points avec les hommes et de combattre toutes les formes de discrimination fondée sur le genre. Cette organisation a réussi à toucher toutes les régions du pays, notamment grâce à sa populaire revue « La Voix des Femmes », coordonnée par Madeleine Sylvain et grâce aux nombreuses conférences et cours du soir organisés pour les femmes ouvrières, à l’assistance sociale fournie par l’organisation, aux caisses coopératives populaires, aux plaidoyers auprès des instances juridiques et à la création d’écoles professionnelle pour les filles.

Cette organisation qui a vu le jour, peu après l’occupation américaine, n’a pas pu comme d’autres, résister au régime des Duvalier. Les membres fondateurs, ainsi que d’autres membres influents de l’équipe ont été persécutés par Papa Doc, ils ont dû plier bagages et mettre un terme à l’organisation. À la chute du régime dictatorial, ils ont tenté de remettre sur pied la Ligue Féminine d’Action Sociale mais ce fut un effort vain ! Toutefois, seul le foyer Alice Garoute a survécu aux sévices du temps. Ce foyer contient une école professionnelle qui vise à former des jeunes filles issues des milieux ruraux, on y trouve un centre d’alphabétisation pour adultes, un centre de mères et un centre nutritionnel.

Madeleine Sylvain, en tant qu’avocate, enseignante, en tant qu’Haïtienne et surtout en tant que femme, s’est livrée corps et âme dans le cadre de la lutte pour l’exercice des droits des femmes haïtiennes. Elle a consacré ses journées et ses nuits à la coordination de campagnes d’éducation à la citoyenneté politique, à l’élaboration de propositions pour le Code pénal et le Code civil. Grâce à son combat, les Constitutions de 1950 et du 25 janvier 1957 ont confirmé la jouissance des droits civiques et politiques de la femme haïtienne. Et pour concrétiser cette loi, elle s’est présentée aux élections sénatoriales du parlement de l’Ouest en 1957, elle n’a pas été élue mais c’est une grande première pour la communauté féminine qu’une femme se présente aux élections sénatoriales !

Durant sa carrière, elle a occupé des postes prestigieux. Elle a été vice-présidente de la Ligue internationale des femmes avocates, déléguée à la troisième conférence internationale américaine sur l’éducation en 1937, chargée par les Nations Unies de l’organisation des services sociaux dans plusieurs camps de prisonniers polonais déportés en Allemagne en 1944, elle a été membre du comité pour la planification des cours d’été de la Ligue internationale des femmes pour la paix et la liberté et co-titulaire des cours de Copenhague et de Hambourg de 1952 à 1956, et conseillère pour le développement communautaire auprès du Gouvernement du Togo de 1966 à 1968.

Femme éduquée et féministe engagée dans l’éducation à la citoyenneté politique des femmes, elle a été la première à  livrer des réflexions théoriques sur le parcours des femmes dans l’histoire haïtienne dans ses nombreux ouvrages : Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle (sa thèse de doctorat en 1941), L’éducation des femmes en Haïti (pour lequel elle a reçu le prix Susan Brounwel Anthony), Lecture haïtienne : La famille Renaud en 1944, Les droits des femmes et la nouvelle Constitution en 1946, Haïti, portrait d’un pays libre en 1954 qui a été traduit en allemand. Ses œuvres sont toutes empreintes d’une analyse critique de la réalité de la femme haïtienne.

Madeleine Sylvain Bouchereau, cette femme généreuse, perspicace et ambitieuse qui a réalisé bien de choses pour la communauté féminine haïtienne ! Avec son charisme et sa voix qu’elle n’a pas laissé taire par une société machiste, Madeleine a lutté avec toutes les armes dont elle disposait pour garantir une vie et un avenir meilleurs aux Haïtiennes. Car, disait-elle,  “Nous avons foi dans le succès. Qu’importe qu’il brille seulement pour ceux et celles qui nous suivront, pourvu que nous ayons contribué à instaurer la justice et la démocratie dans notre pays”. C’est bien grâce à son combat qui a pris des formes diverses qu’aujourd’hui la femme haïtienne peut clamer haut et fort qu’elle a un statut social et politique et qu’elle est une citoyenne!

Leyla Bath-Schéba Pierre Louis

Pleyla78@gmail.com

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