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L’épidémie de la peur

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À mesure que les jours passent en Haïti, l’État n’arrête pas d’envoyer le signal d’une corporation dépassée par les évènements. À longueur de journée, au vu et au su de tous, les bandits enlèvent la population, la torture et parfois la tue. Çà et là, des voix s’élèvent pour condamner, déplorer et appeler les dirigeants à assumer leurs responsabilités. Hélas ! Les autorités haïtiennes toujours aux abonnés absents ne parlent que pour amuser la galerie.

La peur est à son comble en Haïti. La population ne sait plus à quel saint se vouer. Chacun attend son tour. La caravane de la mort arrive d’une heure à l’autre. Le pouvoir figé dans sa réflexion pour savoir comment arriver jusqu’au 7 février 2022, se prolonger s’il le faut et neutraliser les emmerdeurs de l’opposition. Le tourment de la nation lui importe peu.

L’opposition politique plurielle n’est pas différente. Mettre hors-jeu Jovenel Moïse est sa principale priorité. Mais, d’autres objectifs mesquins hantent ce bloc politique, comme par exemple combattre dans l’ombre des alliés pour les empêcher après la bataille de prendre le pouvoir. « Jovenel Moise doit partir, c’est la condition de base. Entretemps, je dois me préparer à éliminer sur le champ de bataille ceux qui militent avec moi et qui ont plus de chances de prendre le contrôle post-Jovenel. La transition, ce doit être moi, pas toi », voilà le dilemme de ces opposants qui se frottent les mains en appelant à un soulèvement populaire. Avec quoi, comme en juillet 2018, en février 2019 ou en septembre 2019, ils se préparent à en profiter pour faire de la politique.

Bref, les gens qui osent sortir dans la rue ces derniers temps, le font comme s’ils allaient vivre les dernières minutes de leur vie. Les « Au revoir, à plus tard » sont involontairement remplacés par « Dieu seul sait ». Prendre la rue de nos jours en Haïti c’est comme si on allait participer à un combat de gladiateur. La chance de revenir au bercail est vécue comme aléatoire.

Seuls, les dirigeants de l’Etat semblent ne pas prendre la mesure de la complexité de la situation. Pourtant, ils sont, comme le commun des mortels, aussi exposés au phénomène qui fait augmenter les palpitations cardiaques de tout un chacun. Traumatisée, terrorisée les gens se méfient les uns des autres.

Au regard de l’ampleur prise par cette situation, chaque individu est perçu comme un potentiel kidnappeur. Et, c’est dommage qu’on arrive à ce stade où le kidnapping s’impose à tous sans distinction. Face à un acte répressible, les témoins s’enfuient sans même prendre l’initiative de parler à la police. Car, la majorité pense que les malveillants sont partout. Le silence est la meilleure précaution à prendre.

En fait, ils ont raison vue que les actes de kidnapping se font, pour la plupart, avec des uniformes de police. La PNH l’admet, tout comme elle admet que l’institution policière a en son sein de mauvais éléments. Compte tenu de ces données, la population en vient à ignorer l’entraide, se montre indulgente face à ce qu’elle voit ou entend pour pouvoir vivre tranquillement sans s’attirer l’animosité des bandits. C’est dommage que l’État chargé de l’administration de la nation nous mette dans une telle situation.

Le plus dangereux dans tout cela, c’est que les autorités de l’État sont mises en cause dans la naissance et le développement du phénomène des gangs dans le pays. Au regard des circonstances, il est difficile d’avancer un argument contraire. Car, que l’on soit fou ou sage, il n’est pas question que la sécurité d’un peuple soit laissée entre les mains de civils armés.

C’est en fait une notion basique que l’État est régulé par la loi ; que la Constitution haïtienne définit clairement les identités des organes chargés de la sécurité de la nation. Laisser libre cours aux agissements des gangs armés qui sèment la pagaille ; permettre à des frustrés de la nation de se fédérer ; considérer comme normal ou comme un pas vers le désarmement la fédération des gangs ; ne jamais rien dire ni essayer de laver le visage de l’exécutif dans ce complot contre le peuple, ne sont que des actes de trahison à la patrie.  Finalement, l’État admet laisser la main aux chefs de gangs qui décapitalisent encore plus la population. Cap sur les élections.

Tout se fait par rançons. Un policier kidnappé connaît le même sort que le médecin, que l’anonyme, que la femme du chef de sécurité du palais national, du chauffeur de taptap, ou du prêtre, etc. Le chemin est le même pour tous, le montant à payer est presque similaire pour tous. Ironie du sort, l’État, face à son indifférence par rapport à cette situation, va-t-il permettre aux kidnappeurs inconscients de fixer un prix standard pour leurs activités de kidnapping ?

Le constat pour l’instant est qu’une peur bleue envahit la population. Mais, la situation qu’on doit redouter le plus, c’est la réponse populaire. À trop encaisser, la population peut avoir des réactions, mêmes imprévisibles. Livrés à la peur, à la misère, sans recours possible auprès de la justice, portant des cercueils à longueur de journée, et les écoutant réagir, les citoyens concluent que les dirigeants de l’État leur préparent une très mauvaise surprise. Ils peuvent être les premières victimes du complot des hommes au pouvoir.

Daniel Sevère

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